FABIEN OFFNER, MÉDIAPART, 9 JUIN 2018
Quelques semaines de l’élection présidentielle, l’échec de la militarisation du pays est patent. L’incapacité de l’État à exercer sa souveraineté, notamment dans les régions de Ménaka et de Mopti, à la frontière du Niger, laisse en germe des guerres civiles locales, et fait craindre les scénarios du pire.
En cette période de jeûne, on ne mange ni ne boit de l’aube jusqu’au crépuscule dans les hameaux des régions de Ménaka et de Mopti, mais l’on tue jusqu’à être repu de vengeance. Six ans après la rébellion de 2012 et son cheval de Troie djihadiste, les guerres du Mali sont en train d’échapper aux uniformes.
Signe funeste, des observateurs tels que le Centre Simon-Skjodt pour la prévention du génocide s’intéressent désormais au Mali et établissent les scénarios du pire. « Escalade continuelle de la violence entre groupes djihadistes, forces de sécurité maliennes et milices d’autodéfense opérant au nom des communautés bambara et dogon », « atrocités contre les civils » dans la région de Ménaka, envisagent les auteurs d’un rapport publié en avril. Événement inimaginable il y a quelques années, plusieurs centaines de personnes ont manifesté en mars à Bamako pour dénoncer les amalgames dont sont victimes les Peuls, présents dans la plupart des régions du Mali.
« La faiblesse des institutions mandatées pour protéger les populations civiles, combinée à la stratégie des groupes djihadistes consistant à exploiter les divisions intercommunautaires, ont créé un risque extrêmement élevé de morts civils en nombre considérable », constate Corinne Dufka, chercheuse à Human Rights Watch. Le commandant de l’opération Barkhane évoquait en avril une situation de « quasi-guerre civile ».
Il s’agirait plutôt de germes de guerres civiles locales, comme dans la région de Mopti, où la falaise de Bandiagara n’aura finalement été qu’une illusoire muraille de grès pour le Pays Dogon. Il a été gagné par la discorde entre éleveurs peuls et agriculteurs dogons, comme l’a été avant lui le delta intérieur du fleuve Niger par les affrontements entre
Dans un pays réputé jusqu’à la caricature pour la capacité de ses sociétés à réguler pacifiquement les conflits, la communication a atteint ses limites. Les autorités, quelles qu’elles soient, ne contrôlent plus. « Les autorités traditionnelles tant dogons que peuls sont de bonne foi et en ont marre, mais d’autres acteurs font des actes isolés incontrôlables », témoigne Youssouf Aya, député de Koro. S’il devait retenir un événement à l’origine de l’effondrement de l’équilibre précaire entre Dogons et Peuls dans sa région, ce serait l’assassinat en 2017, dans le cercle de Koro, de Souleymane Guindo, figure locale de la confrérie des chasseurs, les « Dozos ».
« La stratégie des djihadistes consiste à inciter aux violences communautaires, explique Corinne Dufka. Depuis 2016, ils ont ciblé et éliminé des cibles stratégiques, des autorités respectées. Ils tuent des gens en sachant que les autres vont réagir, ils les laissent s’entretuer, puis ils viennent exploiter la situation en recrutant, voire en prônant la réconciliation. »
« Tenir un discours de paix est vain tant que l’État et l’armée ne peuvent pas ramener la sécurité », assure le député. Le premier ministre, Soumeylou Boubèye Maïga, l’avait promis lors de son passage dans la ville en mars, tout comme il avait promis de « désarmer de gré ou de force les milices qui détiennent des armes de guerre ». Mais les nombreuses annonces non suivies d’effet ne font qu’acter chaque jour un peu plus l’incapacité de l’État à exercer sa souveraineté, et encouragent l’autarcie et l’autodéfense.
Depuis le passage du premier ministre, la militarisation des civils a gagné du terrain. Les expéditions punitives se poursuivent dans les villages, les gens sont abattus dans les champs, des déplacés rejoignent Bandiagara ou même Bamako. À la milice dogon Dan Na Ambassagou a répondu l’Alliance pour le salut du Sahel, groupe peul supposément créé en mai par des « personnalités politiques et militaires »dont l’apparition densifie encore un peu plus la forêt sahélienne d’acronymes.
Quant au désarmement, l’injonction gouvernementale s’est heurtée au refus du groupe armé dogon, qui l’avait conditionné au retour de l’armée malienne dans la zone. Mais l’armée ne vient pas, ou pas assez vite. « Faire bouger les Famas est un véritable problème. Quand on les appelle, ils prennent beaucoup de temps alors que le G5 Sahel est dans la zone. On n’arrive vraiment pas à comprendre », témoigne dans la presse malienne un autre député du Pays Dogon, Bocari Sagara.