Klara Alkalla, participante à la conférence de New YorK.
Dans La République, Platon affirme que la démocratie est la dictature de l’ignorance. Ignorer les droits humains, les droits des réfugié.es et le principe d’humanité. La Grèce en est coupable. Projeté le 2 juin 2024 à l’Université de Long Island à Brooklyn, le documentaire 142 années (142 years) de Stelios Kouloglou inculpe, choque, interpelle. C’est un appel poignant à la justice et à la solidarité.
Ce sont des images bouleversantes entre caméras embarquées dans des tribunaux et sauvetages de personnes migrantes en mer, narrations de condamné.es et discours d’espoir, plans longs sur des larmes et message d’avenir libre. À travers ce documentaire, c’est la crise des réfugié.es en Méditerranée qui est montrée.
Mohammad Hanad Abdi condamné à 142 ans de prison
La crise ? Une réalité. Cent quarante-deux ans de prison ? La réalité de Mohammad Hanad Abdi qui a été condamné en 2021 à 142 années de prison ferme en Grèce par la cour pénale de Lesbos. Son crime ? Avoir sauvé la vie de 31 personnes migrantes en prenant les commandes d’un radeau de fortune au large de la mer Égée. Et comme nul n’est censé ignorer la loi, Mohammad et d’autres aurait du savoir que depuis 2014, le berceau de la démocratie condamne par la loi 4251/2014 « toute personne surprise à tenir le gouvernail d’un navire » transportant des hommes, femmes et enfants ayant risqué leur vie pour trouver un soupçon de liberté en Europe.
Mohammad Hanad Abdi est condamné comme « trafiquant », trafiquant d’êtres humains. Sa sentence inspire le titre du documentaire, mais ce n’est pas un cas isolé. En effet, les prisons grecques sont remplies de réfugié.es condamné.es pour trafic, sinon, pour être en vie. C’est aussi le destin d’Aki Razuli et Amir Zahiri, tous deux réfugiés afghans qui écopent de 50 ans de prison.
Nicolas Machiavel soutient dans son traité politique Le Prince que celui qui contrôle la peur des gens devient le maître de leurs âmes. À ce regard, le film soulève l’hypothèse que le gouvernement grec justifie le traitement infligé aux réfugié.es par un sentiment d’insécurité et par la crainte de perdre le contrôle de son territoire. Ainsi, l’injustice comme souffrance est un outil pour dissuader de futurs migrant.es à accoster en Grèce. Cependant en considérant que la liberté est à minima le principe d’agir et de penser par soit même, condamner des individus qui ont fait le choix de se sauver ne respecte en rien les droits humains. Rappelons que l’Organisation des Nations Unies (ONU) définit ces derniers comme des principes inaliénables, incluant le « droit à la vie et à la liberté ».
Iasonas Apostokopoulos, figure d’espoir et de résilience
Par ce documentaire, le sentiment de colère l’emporte. Cependant, l’espoir n’est pas néant. Il est essentiel de retenir le nom de Iasonas Apostokopoulos. Sauveteur en Méditerranée, militant pour la défense des personnes réfugiées et le droit humain, il apparaît à l’objectif de Stelios Kouloglou comme une figure incontournable d’espoir et de résilience. Son engagement transcende le terrain. Il accuse. Ici ses mots prononcés en 2022 au Parlement européen : « En Grèce, nous avons le seul garde-côte au monde qui, au lieu de sauver les gens en mer, les jette par-dessus bord. Les autorités grecques enlèvent les migrants qui ont déjà atteint les côtes grecques et les rejettent en pleine mer ».
Cette déclaration vaut à Iasonas Apostokopoulos de devenir la cible du gouvernement grec. Son porte-parole le qualifie de « traître à son pays ». Pourtant, les images du sort que réserve la Grèce aux migrant.es au large de ses côtes ont fait le tour du monde. 142 ans les diffusent. Bien que documentée et irréfutable, la récupération politique de l’engagement du sauveteur dépasse tout entendement. Accusé de traîtrise pour avoir dénoncé les violations des droits humains, il subit une campagne de harcèlement médiatique orchestrée par l’extrême droite, ainsi que du cyberharcèlement. Ses pirates vont jusqu’à diffuser son adresse et lui souhaiter la mort.
Assister à la projection de 142 ans questionne la protection des réfugié.es en Grèce et remet considérablement en cause les politiques migratoires violentes en Europe. La tragédie qu’est la crise des réfugié.es en Méditerranée interroge sur la situation des droits humains et invite à une réflexion profonde sur les responsabilités internationales et les valeurs humanitaires fondamentales. Finalement, 142 ans est une injonction à la vie, un combat pour la liberté.
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