Peu savent que Montréal a été le théâtre d’importants événements du mouvement des droits civiques dans les années 1960. Ce moment de l’histoire de l’émancipation des Noirs a depuis été oublié par les Canadiens et les Canadiennes, ce que déplore David Austin, auteur d’un important ouvrage sur ce rôle méconnu de la métropole québécoise.
Octobre 1968, l’élite intellectuelle et militante du Black Power se réunit à l’université McGill pour le Congrès des écrivains noirs, une première mondiale, et ce, à Montréal. Les médias du monde entier ont les yeux rivés sur les débats chauds entre les figures de proue venues de toutes les Amériques et de l’Afrique. Les intellectuels noirs crient au monde leur présence politique et leur soif de changement, qui aura un effet boule de neige.
La puissante symbolique de ce rassemblement inédit donnera le courage à une poignée d’étudiants de l’université Sir George Williams, l’ancêtre de l’université Concordia, de contester le racisme d’un professeur de biologie en février 1969. Après une dizaine de jours d’occupation du centre informatique universitaire et de son saccage, la police arrête une centaine d’étudiants, dont certains seront expulsés du pays. L’événement enflamme les communautés noires, d’autant plus que le professeur est réintégré dans son poste et les charges de racisme pesant contre lui sont abandonnées.
Sortir l’histoire de l’ombre
Pourtant, cette face cachée de Montréal est peu enseignée de nos jours. « C’est parce que ce sont ceux qui détiennent le pouvoir qui construisent le récit historique collectif que l’on prend pour acquis, explique David Austin, auteur de Fear of a Black Nation: Race, Sex, and Security in Sixties Montreal. « Nous vivons dans un pays où ce récit est construit autour de l’idée de deux peuples fondateurs, ce qui rend invisibles les autochtones, l’esclavage et tout groupe qui n’entre pas dans ces deux catégories dominantes. Cela renforce notre idée d’un pays homogène. »
Bien que les volontés d’autodétermination des Noirs et des Québécois francophones se soient alimentées entre elles, l’ébullition de la Révolution tranquille et les décennies passées ont fait oublier ce pan de l’histoire des Noirs, qui est aussi celle des sociétés canadienne et québécoise, dit David Austin.
Il rappelle d’ailleurs que le poète Pierre Vallières a qualifié les Canadiens français de « Nègres blancs d’Amérique » dans son célèbre livre autobiographique, paru la même année que le Congrès mondial des écrivains noirs. Devant cette appropriation, la communauté noire se demandait alors: « Si les Québécois sont des nègres, on est quoi, nous? »
La proximité avec les États-Unis, où la ségrégation raciale était flagrante à l’époque, a aussi contribué à un certain aveuglement face au racisme. « Le Canada est dans l’ombre des États-Unis, ce qui lui a permis de créer ce récit historique collectif qui suggère que le Canada n’a aucune histoire d’esclavagisme, de colonisation, de mouvement anti-immigration ou de xénophobie », explique l’auteur. Croire que le Canada est libre de toute forme d’exclusion est illusoire, puisqu’ « aucune société ne peut encore dire qu’elle est libre du racisme ».
- Nègres blancs, nègres noirs: race, sexe et politique dans les années 1960 à Montréal, chez Lux Éditeur (2015).