Massi Belaid, correspondant en stage

En tournée au Québec, La (très) grande évasion s’est arrêtée dans plusieurs villes au Québec. Le documentaire de Yannick Kergoat est suivi d’une discussion avec le philosophe Alain Deneault depuis le 22 septembre. Il s’agit d’un film qui dénonce les évasions fiscales comme un phénomène de grande ampleur. Pour Alain Deneault, qui échangeait lors des projections dans les différentes villes du Québec, ces phénomènes sont l’émanation d’une oligarchie économique internationale que l’on tolère.

Le film vise à exposer l’ampleur du problème de l’évasion fiscale en présentant, de manière amusante et divertissante, les diverses magouilles et stratagèmes qui la rendent possible. Dans une ambiance légère et presque moqueuse des différentes parties impliquées, Yannick Kergoat explique et vulgarise des concepts qui peuvent sembler complexes, tout en soulignant l’importante croissance de ces pratiques. L’évasion fiscale y est décrite comme l’un des grands maux de notre système économique actuel.

À titre d’exemple frappant, avant le scandale des Panama Papers, les pertes dues à l’évasion fiscale étaient à 500 milliards de dollars par an, mais les révélations ont permis de mettre en lumière l’ampleur réelle du phénomène, avec plus de 1,2 milliard de dollars récupérés à travers 200 pays différents . Le Fonds Monétaire International estime que l’évasion fiscal coûte 600 milliards de dollars par an rien qu’en Europe, montrant ainsi l’énorme impact de ces pratiques sur l’économie mondiale.

La projection débute en revenant sur plusieurs moments clés, témoin de la prise de conscience croissante du phénomène. L’hypocrisie croissante de nos dirigeants politiques et la non-action y est mise en lumière.

Parmi ceux-ci on compte, en plus de la crise du Panama Papers, le scandale du « LuksLeacks », mais également la fameuse crise de la Covid-19, qui a exacerbé l’appauvrissement des classes populaires tout en accentuant l’enrichissement des classes aisées.

Le film fait intervenir de nombreux spécialistes qui expliquent, vulgarisent et mettent en garde contre le phénomène. On souligne que ce problème n’est pas seulement toléré, mais est en réalité promu par la mondialisation du système économique, qui centralise davantage les richesses, et par la logique néolibérale qui le valorise. Ainsi, le récit cherche à nous alerter sur le fait que l’évasion fiscale n’est pas un processus isolé et distinct, mais qu’elle est profondément enracinée dans le fonctionnement de plus en plus mondialisé dans lequel elle se développe.

Il s’agit là de parler non seulement des plus grandes richesses de ce monde, mais également des multinationales et des hauts dirigeants politiques qui en profitent et qui les autorisent à agir ainsi. Le documentaire met en avant la toile tissée de ce système qui se glisse dans tous les paliers décisionnaires et qui créent des failles permettant de faire échapper près de 600 milliards d’euros annuellement de la responsabilité fiscale de ceux-ci.
Kergoat souligne que l’évasion fiscale n’est pas un simple accident du système, mais qu’elle est le fruit d’une intention délibérée. Ce vaste réseau ne fait pas que s’infiltrer dans les rouages du système capitaliste libéral et mondialisé, mais en constitue l’objectif même. Malgré les nombreux scandales qui ont éclaté, témoignant d’une inquiétude croissante autour de l’évasion fiscale, ces événements n’ont engendré que des actions strictement symboliques et des promesses vaines.

On observe plutôt une résurgence inquiétante de cette problématique. Malgré les engagements répétés des dirigeants internationaux de changer la situation, l’évasion fiscale ne cesse de croître et montrent une augmentation de plus en plus forte de tout procédés d’enrichissement des élites économiques. Comme c’est le cas avec le fameux LuksLeacks, qui nous révéla un accord secret entre le gouvernement et les multinationales. Ce scandale financier nous révéla une réalité affligeante qui témoigne de l’importance du phénomène. Comme l’a dit Pierre Gramegna, le ministre des Finances du Luxembourg à l’époque, son pays n’est pas le seul pays à user de ce genre de pratique, donc la solution ne peut être que luxembourgeoise. L’évasion fiscal n’est pas de l’affaire que des entreprises, mais bien l’affaire de tous.

Il n’existe pas d’évasion fiscale légale ou illégale. Le film aborde cette question de manière directe, avec des exemples accablants comme celui-ci. La frontière entre le légal et l’illégal n’est qu’un flou soigneusement entretenu par le secret des dirigeants. Il ne s’agit pas de savoir si c’est légal ou non, mais plutôt de se demander si cela est légitime.

En soit, le documentaire remet finalement en question la légitimité du système gouvernemental et pose une perspective critique. Il conclut que l’évasion fiscale n’est qu’une partie d’un réseau plus vaste de répartition inégale des richesses, un symptôme de l’appauvrissement croissant de la majorité au profit d’une minorité avide de richesse. Le documentaire amène à une prise de conscience nécessaire: pour parvenir à la justice fiscale, il ne s’agit pas simplement de contrôler un phénomène qui nous échappe, mais bien de changer tout un système qui le favorise.

Il est important de le voir. D’autres représentations sont également prévues en début octobre à la Cinémathèque québécoise, avec également plusieurs autres dates partout au Québec. Les détails se trouvent ici.