La Cour internationale Cour internationale de Justice à La Haye a été saisie d'une plainte pour génocide contre Israêl par le gouvernement d'Afrique du Sud. crédit photo CIJ CC BY-SA 4.0

Vinod Mubayi, collaborateur d’Alternatives International

Les agressions génocidaires d’Israël contre les Arabes — d’abord de Palestine et maintenant du Liban — s’intensifient. Les sondages ont montré qu’un grand nombre de personnes aux États-Unis, peut-être même une majorité, soutiennent un cessez-le-feu à Gaza, ce dont le gouvernement israélien refuse de but en blanc d’entendre parler. Dans une démocratie, on pourrait s’attendre à ce que les opinions du peuple soient actées dans les politiques du gouvernement et des représentants et représentantes élus. Que font les nations démocratiques de ce monde?

Parmis les 535 membres du Congrès américain, soit 100 au Sénat et 435 au parlement, seules 17 voix se sont élevées pour préconiser un cessez-le-feu, ce qui ne représente que 3 % du total. Les 97 % restants ont rejeté l’idée haut et fort. L’administration Biden a beau faire partie de cette majorité écrasante, elle continue de fournir à Israël son armement, une assistance militaire active quand le besoin s’en fait sentir (comme quand les États-Unis ont participé à l’effort pour abattre des missiles iraniens), une aide à la collecte de renseignements, ainsi qu’un soutien diplomatique et politique inconditionnel au sein des Nations unies ainsi que sur d’autres tribunes. Il ne serait pas erroné de qualifier la classe politique américaine, qu’elle soit républicaine ou démocrate, de complice du génocide perpétré par Israël à l’égard de la population palestinienne. Et on serait loin d’avoir tort de décrire Israël comme un avant-poste de l’empire mondial américain au Moyen-Orient et dans le monde arabe.

Malgré les montagnes de preuves rassemblées par ses propres agences d’investigation qui mettent en évidence des violations flagrantes des droits humains par Israël de nature à justifier un embargo sur les armes américaines à destination d’Israël, l’administration Biden a choisi de passer par-dessus ses propres fonctionnaires, dont les démissionnaires en signe de protestation, et de mentir au Congrès américain pour assurer la fluidité de l’approvisionnement en armes et en bombes utilisées par Israël pour commettre un génocide.

On estime que dans le cadre de son opération dans le sud de Beyrouth visant à assassiner une seule personne, le chef du Hezbollah Hassan Nasrallah, Israël a fait près d’un millier de victimes collatérales, pour la plupart des civils innocents, avec l’aide de bombes perfectionnées fournies par les États-Unis.

Aucune des candidatures à l’élection présidentielle du mois prochain n’a fait grand cas de la question morale la plus cruciale de notre époque : le génocide perpétré par Israël. Du point de vue des affaires palestiniennes, faire un choix entre la vice-présidente Kamala Harris et l’ancien président Donald Trump (un criminel condamné pour certains de ses méfaits) revient tout simplement à opter pour le mauvais ou pour le pire. La seule différence éventuelle est que Kamala Harris continue de prôner une solution à deux États — concept que le gouvernement israélien, par ses actes, a vidé de sa substance —, tandis que les vues de Trump s’alignent vraisemblablement sur celles des racistes et fascistes israéliens d’extrême droite comme Smotrich et Ben Gvir, qui souhaitent qu’Israël conquière non seulement la Cisjordanie et la bande de Gaza, mais aussi le Sud-Liban.

La répression pure et simple exercée contre l’activisme d’étudiant.es et d’enseignant.es protestant contre le génocide palestinien dans les universités américaines est une nouvelle illustration du fossé qui existe entre ce que pense l’électorat moyen et les positions de l’élite aux commandes. Ces manifestations ont été réprimées sans ménagement, notamment dans les universités Columbia (à New York) et UCLA (à Los Angeles), et les autorités veulent maintenant tuer dans l’œuf toute récidive.

Des changements de politique visant à institutionnaliser la répression à l’égard des revendications propalestiniennes dans les universités ont été réclamés par des élu.es républicains comme démocrates, par des membres de conseil d’administration d’universités et par des donateurs contribuant à leur financement dont certains sont directement liés à des sociétés du complexe militaro-industriel vendant des armes à Israël dans le cadre de l’« aide » américaine. Ces politiques draconiennes visant personnellement des individus étudiants ou enseignants sont mises en œuvre par des administrations universitaires dociles et ont pu se traduire par le licenciement de professeurs auxquels il a été reproché de s’être prononcés en faveur de la Palestine en salle de cours et par l’ouverture de procédures d’expulsion à l’encontre d’étudiant.es étrangers ayant pris part à des gestes collectifs de solidarité avec la Palestine.

Là où cette répression confine, dans certaines universités, à l’absurde, c’est quand l’amalgame est fait entre antisionisme et antisémitisme, ce qui revient à traiter une idéologie politique, le sionisme, comme une identité sémite protégée. Cela a donné lieu à des situations abracadabrantes dans lesquelles des personnes étudiantes et enseignantes juives antisionistes ont été taxées d’antisémitisme.

Cependant, alors même qu’Israël dévaste Gaza, des antisionistes juifs font acte de résistance, s’insurgeant contre l’assimilation de l’antisionisme à de l’antisémitisme. Dans un billet cinglant publié le 3 octobre 2024, Brant Rosen, un juif antisioniste pratiquant de la congrégation Tzedek de Chicago, rend compte de manière très incisive et directe de la manière dont le sionisme israélien est en train de provoquer un génocide. Au moment des fêtes de Roch Hachana, le Nouvel An juif, M. Rosen s’ouvre ainsi par écrit : « À l’occasion de la nouvelle année juive, nous devons regarder en face le carnage qu’a entraîné le sionisme. »

Il élabore :

Je ne me souviens pas d’un Roch Hachana où la communauté juive américaine a pu faire l’expérience d’enjeux moraux collectifs aussi majeurs que ceux de cette année. (…) Comment pouvons-nous ne serait-ce qu’entamer le processus d’absorption du choc que représente sur le plan moral le génocide qui est en train d’être perpétré en notre nom ?

Selon les chiffres officiels, plus de 41 000 Palestiniens et Palestiniennes ont été tués à Gaza à ce jour et plus de 95 000 ont été blessés, la majorité d’entre eux étant des femmes et des enfants. Selon une estimation qui a été faite du nombre total de morts, le bilan pourrait déjà avoisiner les 200 000 victimes…

Des familles élargies, entières, des lignées palestiniennes complètes ont été anéanties. Gaza a en grande partie été réduite à l’état de cimetière où sont ensevelis une multitude de corps, enterrés sous les décombres des maisons détruites et rasées. Des quartiers et des régions ont été littéralement rayés de la carte. Les infrastructures et le système de santé de Gaza ont été ravagés. Selon les Nations unies, une “campagne de famine intentionnelle et ciblée” a entraîné une dénutrition et des maladies qui se sont répandues dans toute la bande de Gaza… D’innombrables professionnel.les de la santé, travailleuses et travailleurs humanitaires et journalistes ont été tué.es, blessés ou emprisonnés. Des organismes de protection des droits de la personne ont documenté des cas de tortures et d’abus visant plusieurs personnes prisonnières, dont certaines ont été victimes d’abus sexuels dans un réseau de camps de torture…

Veuillez noter que cette litanie de crimes odieux n’est pas qu’un bilan de l’année écoulée ; c’est la description de ce qui se passe en ce moment même, un cauchemar dont on ne voit pas la fin.

D’un point de vue strictement juridique, une myriade d’universitaires et de juristes ont depuis longtemps attesté du bien-fondé des accusations de génocide qui ont pu être portées. Dès le mois d’octobre, Raz Segal, professeur agrégé d’études sur l’Holocauste et les génocides, a qualifié les actes d’Israël à Gaza de “cas d’école de génocide”. Le 18 octobre, près de 800 universitaires, juristes et praticiens et praticiennes du droit ont appelé “tous les organes compétents des Nations unies […] ainsi que le bureau du procureur de la Cour pénale internationale à intervenir immédiatement […] pour mettre la population palestinienne à l’abri d’un génocide”. Plus récemment, Omer Bartov, historien respecté versé dans les études sur l’Holocauste et les génocides à la Brown University (à Providence), a accusé Israël de commettre “des crimes de guerre systématiques, des crimes contre l’humanité et des actes génocidaires”.

Mais au-delà des arguments juridiques se profile un problème moral aigu. Pour de nombreux Juifs, il est impossible d’imaginer — et même impensable de dire à voix haute — qu’un État juif, fondé dans le sillage de l’Holocauste, puisse perpétrer un génocide… Les violences du 7 octobre ne se sont pas produites en vase clos. Il s’agissait d’une réaction brutale à un régime de violence structurelle qui opprime la population palestinienne depuis des décennies. À l’origine de cette oppression se trouve le sionisme : un mouvement colonial qui cherche à établir et à maintenir un État-nation à majorité juive dans la Palestine historique.

L’État d’Israël a été fondé en 1948 avec pour souci d’assurer la quiété et la sécurité du peuple juif après le traumatisme de l’Holocauste. Mais cela s’est fait sur le dos d’un autre peuple, ce qui met au bout du compte en péril la sécurité aussi bien de la population palestinienne que celle juive. La création d’Israël a également procédé de ce que la population palestinienne appellent la Nakba, soit le nettoyage ethnique qui a chassé 750 000 Palestiniens et Palestiniennes de leurs maisons la même année. Depuis lors, Israël soumet la population palestinienne à un régime de suprématie juive dans le but de maintenir son ascendant démographique dans la majeure partie des territoires.

Plus que jamais, la présente période de grand recueillement appelle les communautés juives à regarder en face les conséquences funestes du sionisme — non seulement à Gaza, mais dans toute la Cisjordanie, où la violence et le nettoyage ethnique font tache d’huile, ainsi qu’au Liban, qui connaît actuellement son propre carnage et ses propres déplacements de population, de telle sorte que toute la région s’enfonce dans le gouffre de la guerre.

Comment pourrait-il en être autrement ? On a là le résultat d’une idéologie et d’un mouvement qui, dès le départ, ont considéré la sécurité juive comme un jeu à somme nulle dans lequel notre sécurité ne peut être obtenue qu’aux dépens d’autrui, notre mainmise reposant sur une technologie militaire supérieure, des armes plus puissantes et des murs plus hauts ».

Dans le passé, les directions du mouvement syndical américain soutenaient généralement la politique étrangère impériale du gouvernement américain sans se poser de questions. Toutefois, le syndicat United Electrical Workers, qui compte 30 000 membres, a dénoncé en des termes très durs les actions militaires israéliennes, et ses cadres élus ont exhorté le président Biden à mettre immédiatement fin à toute aide militaire à Israël en déclarant qu’il s’agissait du « seul mécanisme disponible pour amener Israël à accepter un cessez-le-feu immédiat ». Ce syndicat, qui a une tradition bien établie d’opposition aux guerres et aux occupations américaines, a lancé un appel strident en faveur d’un cessez-le-feu immédiat et a dénoncé l’aide militaire américaine à Israël. Outre cela, il a joué un rôle important pour ce qui est d’encourager d’autres syndicats à signer un appel à un cessez-le-feu rapide, alors que l’administration Biden allait jusqu’à bannir du vocabulaire de son propre personnel le terme même de cessez-le-feu.

Les pays d’Europe occidentale ont aujourd’hui pour point commun d’être écartelés entre l’opinion d’un grand nombre de leurs concitoyens et concitoyennes qui sont révulsé.es par le massacre à grande échelle de Palestiniens et de Palestiniennes innocent.es — et maintenant de personnes au Liban, dont beaucoup de femmes et d’enfants — et la politique de leurs gouvernements qui ont continué à envoyer du matériel militaire à Israël. L’impact de l’opinion publique commence à se faire sentir, puisque le président français Macron a appelé à un embargo sur les livraisons militaires à Israël en déclarant : « Il est prioritaire de revenir à une solution politique et d’arrêter les livraisons d’armes qui alimentent les affrontements dans la bande de Gaza. »

Pendant ce temps, l’Inde, qui se présente comme la plus grande démocratie au monde et dont le dirigeant Narendra Modi se considère comme un Vishwaguru (gourou mondial), n’a fait aucune déclaration sur le génocide en cours, préférant lancer des appels ineptes en faveur de la paix et d’une solution à deux États. Il y a quelques jours, Modi a fait une déclaration sur le conflit, dénonçant le « terrorisme » qu’il attribuait implicitement au Hamas ou au Hezbollah plutôt qu’à Israël.

À l’ONU, l’Inde s’est récemment abstenue de voter une résolution de l’Assemblée générale des Nations unies qui appelait à un cessez-le-feu immédiat. Or, la balance penchait très nettement d’un côté, puisque cette résolution a recueilli 124 votes pour et 14 votes contre, seuls les États-Unis, Israël et quelques États insulaires — dont les États-Unis ont certainement dû forcer la main — s’y étant opposés. L’Inde a continué de fournir des armes à Israël par le biais de coentreprises telles que celle entre Adani et Elbit. La proche amitié entre Netanyahou et Modi et l’adhésion de l’Hindutva (idéologie nationaliste hindoue) au sionisme ont été des facteurs déterminants à cet égard.

Le mois dernier, le terrorisme israélien s’est manifesté au grand jour au Liban lorsque des milliers de téléavertisseurs et de talkies-walkies piégés par Israël ont explosé, tuant notamment de jeunes enfants. Même Ofer Cassif, du parti Hadash, membre du Parlement israélien, s’est insurgé : « L’activation d’engins explosifs dans des lieux bondés est un acte de terrorisme selon toute définition reconnue de ce terme, a-t-il déclaré. Et cela, peu importe qui en est responsable, que ce soient les forces de la défense israélienne (FDI), le Hamas, la CIA ou le Mossad ». Modi et son gouvernement, qui se gardent bien d’évoquer cet acte terroriste à l’état pur attribuable au gouvernement israélien, sont donc loin d’être prêts à jeter la pierre à ce dernier.

On voit à quel point l’Inde a dérivé par rapport à la pensée de Mahatma Gandhi lorsqu’on se remémore le constat dressé par lui en 1946, qui met incidemment en lumière la place du terrorisme juif dans la création de l’État d’Israël : « À mon avis, ils (les Juifs) ont commis une grave erreur en cherchant à s’imposer en Palestine avec l’aide de l’Amérique et de la Grande-Bretagne et maintenant à l’aide d’un terrorisme pur et dur… Pourquoi devraient-ils compter sur l’argent américain ou sur les armes britanniques pour s’imposer sur une terre où ils ne sont pas les bienvenus ? Pourquoi devraient-ils recourir au terrorisme pour débarquer en force en Palestine ? », a en effet écrit Gandhi le 14 juillet 1946.

Traduction Johan  Wallengren