Delphjine, travailleuse domestique burkinabée au Liban - crédit photo Amélie David pour JdA-PA

Amélie David, correspondante

Environ 250 000 travailleuses et travailleurs migrant.es, principalement d’Afrique et d’Asie, sont employé.es au Liban. Avec la guerre qui s’intensifie, ces travailleurs.ses domestiques se retrouvent abandonnés.es par les familles qu’ils servaient. Aujourd’hui, ils font face à une réalité difficile, marquée par peu d’options et un racisme omniprésent.

Maria*, une travailleuse domestique originaire du Burkina Faso, lutte pour retenir ses larmes en retraçant son parcours des dernières semaines au Liban. Elle se souvient de l’incertitude et de la terreur — être piégée dans une guerre dans un pays étranger, sans sentiment d’appartenance ni de sécurité. «Mes employeurs ont quitté la maison à 10 heures du matin. Les bombardements ont commencé une heure plus tard», raconte la jeune femme, qui travaillait pour une famille libanaise, sous le système de la kafala, dans le sud du Liban.

Piégée dans une guerre et dans le système de la kafala

Ce système fait référence à une procédure qui permet à un enfant d’être placé dans une famille non apparentée. Depuis les années 1970, il est devenu un système institutionnalisé et légalisé de main-d’œuvre bon marché au Liban. Environ 400 agences spécialisées le régulent. Human Rights Watch affirme que le système génère plus de 100 millions de dollars US par an. On estime à 250 000 le nombre de travailleuses et travailleurs domestiques au Liban, principalement originaires d’Éthiopie, du Kenya, des Philippines et du Bangladesh.

Pour Maria, tout a basculé le lundi 23 septembre. L’armée israélienne a commencé ses frappes aériennes dans le sud du Liban. Le chaos a suivi. Rien que ce jour-là, près de 600 vies ont été perdues et des milliers de personnes ont été déplacées. Depuis octobre 2023, le conflit a fait plus de 2 000 morts, 10 000 blessés et 1,2 million de personnes déplacées, selon le gouvernement libanais.

Maria a appelé ses employeurs pour l’aider à fuir, mais le couple a refusé. «Puis, un missile a frappé juste devant ma porte», raconte-t-elle. Patrick*, un collègue burkinabè, est venu à sa rescousse. Ensemble, ils ont fui à Beyrouth à moto, trouvant refuge dans un appartement exigu à Nabaa, un quartier de Burj Hammoud, à Beyrouth.

Retourner au travail?

Aujourd’hui, Maria, qui est venue au Liban il y a plus d’un an pour subvenir aux besoins de sa famille restée au pays, ne rêve que d’une chose : retourner à Ouagadougou. «Quand je suis arrivée à Beyrouth, mes employeurs m’ont appelée. Ils ne m’ont même pas demandé si j’étais en sécurité. Ils m’ont simplement dit de venir là où ils se trouvent en sécurité et de travailler à nouveau pour son employeur. J’ai refusé! Je jure, même mon cadavre, ils l’auraient ramené pour travailler», dit-elle, la voix pleine de colère.

La communauté burkinabè, ainsi que le consulat du Burkina Faso, cherche des solutions pour aider celles et ceux qui souhaitent rentrer au pays. Pour l’instant, beaucoup ont trouvé refuge dans des abris fournis par leur communauté. Bien que la guerre ait touché tout Beyrouth, les travailleurs domestiques sont particulièrement vulnérables, exposés à un risque accru d’abus.

L’Anti-Racism Movement (ARM) a rapporté que des travailleuses et travailleurs ont été abandonné.es, et plusieurs se sont vu refuser l’accès aux abris gouvernementaux, réservés uniquement aux citoyens et citoyennes libanai.es. D’après un article de L’Orient-Today, l’Office international de la migration (OIM) estime que 17 500 migrants ont été déplacés en raison de la guerre, dont 4500 pour lesquelles l’organisation a pu trouver un hébergement. «Nous entendons tellement d’histoires; il est difficile de saisir toute l’ampleur de cette catastrophe», déclare Kareem Nofal, spécialiste des communications à l’ARM. La situation est encore pire que lors de la guerre de juillet 2006, ajoute-t-il. «C’est au-delà de tout ce que nous avons documenté.»

De nombreuses associations fondées et dirigées par d’actuelles et d’anciennes travailleuses domestiques viennent en aide aux personnes déplacées. L’Alliance Migrant Workers (AMW) distribue des vivres et des produits de bases et organise aussi des repas pour des déplacé.es à Beyrouth. Au milieu des ravages de la guerre, la lutte continue contre l’exploitation systémique et le racisme qui les rend plus invisibles que jamais. Et malgré la peur.