Herbert Hellmuth au sommet du mont Everest, le 23 mai 2013 (Crédit : Herbert Hellmuth, 2013 - CC BY-SA 4.0 – via Wikimedia Commons)

Rozanna Ryan – correspondante au journal et stagiraire pour l’ONG Alternatives au Népal 

Le mont Everest, culminant à 8 848,86 m est la plus haute montagne du monde. Il est situé au Népal, un pays dont l’économie et l’identité culturelle sont étroitement liées à ce sommet majestueux.

Depuis son ouverture au public en 1950, et surtout après l’ascension historique de sir Edmund Hillary et Tensing Norgay en 1953, l’Everest est devenu un symbole de dépassement de soi et un but ultime pour les alpinistes du monde entier. Cependant, cette popularité croissante a entraîné une série de controverses liées au tourisme de masse, qui touche aujourd’hui la montagne à plusieurs niveaux.

Une quête du sommet à tout prix

Avec la montée en popularité des sports d’aventure comme l’alpinisme, l’Everest a progressivement perdu son caractère sacré pour se transformer en une destination de plus en plus commerciale. Cette quête effrénée du sommet a engendré des conséquences désastreuses, allant des risques pour la sécurité à des comportements éthiquement répréhensibles. Par exemple, le cadavre d’un grimpeur surnommé «Green Boots», abandonné sur la montagne, est devenu un repère pour les alpinistes. Ou encore des comportements irrespectueux, comme le vol de bouteilles d’oxygène, et une négligence générale envers l’importance culturelle et environnementale de la montagne.

La montagne est désormais victime d’une exploitation qui dépasse la simple ambition personnelle, entraînant des impacts écologiques, sociaux et culturels.

Une perte de signifiance

Pour les peuples locaux, l’Everest est un lieu empreint de spiritualité. Appelée Sagarmatha par la population népalaise («Mère de l’Univers») et Chomolungma par la population tibétaine («Déesse mère de la Terre»), cette montagne a toujours été vue comme une entité divine, un lieu à vénérer et à protéger. Les Sherpas, eux, considèrent que la montagne est habitée par des esprits et des démons, et elle est même le siège de Jomo Miyo Sangma Lang, une divinité nourricière pour les personnes de l’Himalaya.

Renommée en 1865 en hommage à Sir George Everest, un géomètre britannique, la montagne a vu sa valeur culturelle et spirituelle supplantée par une quête occidentale de prestige.

Chaque année, des centaines de grimpeurs tentent de gravir l’Everest, entraînant un véritable embouteillage sur ses pentes. L’image de longues files d’alpinistes attendant leur tour pour atteindre le sommet est devenue un symbole de l’exploitation commerciale de la montagne.

Aujourd’hui, les foules d’alpinistes provenant de l’étranger sont perçues comme des profanateurs, manquant souvent de respect pour les traditions spirituelles locales.

Les rituels sacrés, comme la puja, qui consiste à vénérer les esprits de la montagne avant l’ascension, sont désormais considérés comme une formalité plutôt qu’un véritable acte spirituel. Pour beaucoup de Népalais et Népalaises, l’Everest n’est plus un lieu sacré, mais un simple produit à vendre aux plus offrants.

Les Sherpas : des guides essentiels, mais exploités

Les Sherpas jouent un rôle crucial dans les expéditions sur l’Everest. Originaires de la région, ces guides expérimentés sont indispensables pour le succès des ascensions. Ces guides sont responsables de porter les charges lourdes, d’aménager les camps et de sécuriser les chemins, tout en affrontant des conditions extrêmement dangereuses.

Cependant, malgré leur expertise et les risques qu’ils prennent, les Sherpas sont souvent sous-payés et invisibilisés par rapport aux grimpeurs occidentaux qui captent l’attention médiatique.

Des accidents tragiques, comme l’avalanche de 2014 qui a coûté la vie à 16 Sherpas, illustrent les risques qu’ils prennent régulièrement. Pourtant, la majorité continue de travailler sur les expéditions, souvent par nécessité économique.

Cette relation avec le tourisme est complexe. Les Sherpas dépendent du tourisme pour survivre, mais ils sont aussi exploités dans cette économie lucrative. Alors que les touristes paient des dizaines de milliers de dollars pour escalader l’Everest, les Sherpas, eux, risquent leur vie pour des salaires dérisoires, comparés aux bénéfices énormes générés par le secteur de l’alpinisme.

La dépendance économique du Népal 

L’alpinisme est une source majeure de revenus pour le Népal, attirant chaque année des millions de dollars dans l’économie locale via les permis, les services de guide et l’hébergement. Le Népal, qui accorde des permis d’ascension à celles et ceux qui en ont les moyens (environ 11 000 dollars par permis), contribue à ce phénomène. En 2023, 478 permis ont été remis, illustrant l’engouement croissant pour l’Everest.

Cependant, cette dépendance au tourisme de haute montagne a rendu le pays vulnérable. La pandémie de COVID-19 a mis en évidence cette fragilité, avec un effondrement du nombre de touristes et une crise économique locale.

De plus, le contrôle des expéditions est de plus en plus détenu par des compagnies étrangères, qui captent la majorité des profits. Cette situation laisse les populations locales dépendantes d’emplois précaires et mal rémunérés, tandis que les bénéfices sont souvent accaparés par une élite économique internationale.

Un désastre écologique 

Le tourisme de masse a également laissé une empreinte écologique désastreuse sur l’Everest. Les déchets, plus de 100 000 tonnes laissées par les expéditions — bouteilles d’oxygène, tentes abandonnées, déchets humains —, s’accumulent année après année. Les camps III et IV, situés près du sommet, sont particulièrement touchés par cette pollution. L’Everest a été surnommé «la plus haute décharge du monde» en raison de la pollution qui s’accumule à ses sommets.

Des efforts de nettoyage ont été entrepris, notamment par le gouvernement népalais et des ONG, mais ils sont insuffisants face au flux constant de visiteurs et de visiteuses. Le projet «Himalayan Clean-Up» a permis de ramasser des tonnes de déchets, mais la pollution persiste. L’Everest, autrefois sanctuaire naturel, est aujourd’hui un site dégradé par l’activité humaine.

En parallèle, les effets du changement climatique aggravent la situation. La fonte des glaciers expose les corps des alpinistes décédés et rend les ascensions plus dangereuses, modifiant les conditions naturelles de la montagne.

Quel avenir pour l’Everest?

Le mont Everest, autrefois symbole de dépassement et de spiritualité, est aujourd’hui au cœur de multiples controverses. Entre exploitation commerciale, profanation spirituelle, catastrophe écologique et exploitation des Sherpas, il est clair que la gestion de cette montagne légendaire doit être repensée.

Des initiatives comme la récente décision de la Cour suprême du Népal de limiter le nombre de permis sont des signes encourageants, mais elles ne suffiront pas à elles seules. Un équilibre doit être trouvé entre la préservation de l’environnement, le respect des traditions locales et le développement économique. L’avenir de l’Everest dépendra de la capacité à instaurer un tourisme durable qui respecte à la fois la montagne et ceux qui y vivent.