Lina Al khatib – Correspondante en stage
Beaucoup de regards étaient tournés vers l’Est au cours du weekend du 22, 23 et 24 octobre 2024, alors que s’est tenue la 16e réunion des BRICS+ à Kazan en Russie. Malgré et à cause de l’élargissement, les BRICS+ n’arrive pas à clarifier leurs perspectives. Le manque de cohésion de l’alliance semble entraver leur ambition d’alternative mondiale.
Les chefs d’État brésilien, chinois, russe, indien, iranien, émirien, sud-africain, éthiopien et égyptien étaient réunis à l’occasion du sommet annuel de l’alliance 1. Chaque pays est arrivé avec son propre agenda et a voulu tirer son épingle du jeu à la fin de ces trois jours. La complexité des BRICS+ réside dans son hétérogénéité. Elle serait un avantage pour la surmonter, considérant la volonté partagée de remodeler l’ordre mondial. Or, l’alliance ne réussit pas à s’imposer comme une alternative logique à l’Occident.
Une naissance circonstancielle
Ironiquement, ce sont les États-Unis qui ont amorcé la formation des BRIC. Jim O’Neill, un des économistes en chef de Goldman Sachs, réunit dans les années 2000 le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine sous l’acronyme BRIC pour distinguer ce groupe émergeant du reste du marché mondial. Cependant, le mérite ne revient pas uniquement aux États-Unis, puisque la collaboration entre ces quatre puissances est apparue indépendamment de la tutelle américaine.
Le premier sommet officiel des BRICS prit place en 2009 en Russie. Ce que les spécialistes ne comprennent pas tout à fait, c’est que les cinq puissances, l’Afrique du Sud ayant rejoint entre temps la bande des quatre, ne cherchaient pas un statut public. Il a fallu plus d’une décennie de rapprochement pour que la rencontre de 2009 confirme la naissance de ce front commun.
Aujourd’hui, les BRICS+ ont troqué l’ombre au travers de laquelle ils se sont construits. Ils réclament une place dans le système international. Malgré la médiatisation accrue autour des BRICS+, la critique qui revient souvent de la part des pays du Sud global sur l’alliance concerne le manque d’institutions et de structures claires, suscitant des questionnements quant à sa capacité à répondre aux attentes en matière de gouvernance alternative.
Lorsque ces pays prétendent être les successeurs des puissances occidentales traditionnelles, plusieurs pointent un minimum de matérialisation institutionnelle plus formelle. Certes, le projet de la Nouvelle banque de développement (NBD) s’inscrit en faux à une telle affirmation, Son incapacité à formaliser ses projets limite son potentiel transformationnel. La NBD n’est donc qu’un potentiel ad hoc gâché.
Neutralité comme mot d’ordre
Contrairement au MNA et à celui pour un Nouvel ordre économique international qui étaient guidés par un engagement politique, l’alliance BRICS+ est caractérisée par sa force économique. La dépolitisation de l’alliance n’est pas encore assumée, puisque les enjeux politiques sont toujours abordés lors des sommets. Toutefois, les États semblent s’engager timidement et défendent leurs positions à reculons.
Lors de ce 16ème sommet, la condamnation d’Israël sans utiliser le mot « génocide » a suscité l’indignation, surtout lorsqu’on sait que l’Afrique du Sud était de la partie. De même, la mise sous silence de l’invasion ukrainienne depuis 2022 conforte ce mutisme sélectif de l’alliance. Ce silence est d’autant plus frappant quand les BRICS+ choisissent de seulement dénoncer les actions des Houthis en mer Rouge et dans le détroit de Bab Al-Mandab. Rompre le silence uniquement lorsque des intérêts commerciaux sont en jeu relève d’un opportunisme, non pas d’un dévouement politique.
Dans cette même démarche de neutralité, les BRICS critiquent l’Occident pour son recours aux sanctions économiques à des fins politiques. L’alliance demande la levée des sanctions unilatérales, soulignant que ces mesures nuisent aux droits humains et entravent le développement des populations les plus vulnérables des pays ciblés. Alors que le droit international sert de fondement à ces réclamations, l’éthique des BRICS amène à s’interroger sur la cohérence de leurs positions face à leurs propres pratiques internes.
Front commun désuni ?
Les BRICS représentent avant tout un choix stratégique de leurs membres. Imaginer que ces États se réunissent chaque année par simple complaisance ne correspond pas à la réalité, tout comme supposer qu’ils partagent un consensus sur l’ensemble des enjeux abordés.
Au sein même de l’alliance, des rivalités refont surface, comme pour la Chine et l’Inde. Les deux puissances, en pleine période de froid diplomatique, ont cherché à rétablir un certain dialogue en marge du sommet. Cependant, un apaisement des tensions semble peu probable, après plus de quatre ans de dispute à propos de la frontière himalayenne.
Les divergences persistent également sur l’idéologie des BRICS. Alors que l’alliance s’est fondée sur un espoir postcolonial, les membres peinent à concorder leur vision d’un nouvel ordre mondial. Le Brésil et l’Inde demeurent prudents face à l’anti-occidentalisme prôné par la Russie et la Chine, privilégiant plutôt une stratégie de réforme des institutions existantes, sans confrontation directe avec l’ordre dominé par les États-Unis. Cela transparaît d’ailleurs dans la déclaration finale du sommet, qui ne remet en aucun cas en cause le Font monétaire international et la Banque mondiale .
Le grand projet de monnaie commune des BRICS, qui avait suscité de vives discussions, a également généré des discordes. Quand le président brésilien Lula avait annoncé le projet au sommet de 2023, le scepticisme était déjà palpable. Un an plus tard, l’omission complète de celui-ci est notée. Certains membres craignant que cette monnaie, soit dominée par les intérêts des économies les plus influentes, comme la Chine, freinent la réflexion, renforçant ainsi les tensions de pouvoir au sein du groupe. Autant de désillusions qui éloignent les perspectives d’une coopération Sud-Sud réussie et d’un rabattement de cartes de l’échiquier mondial.
- L’Argentine a formellement refusé l’adhésion aux BRICS+ tandis que le statut de l’Arabie Saoudite au sein du groupe reste vague. Ont obtenu le statut de partenaires les pays suivants: Algérie, Biélorussie, Bolivie, Cuba, Indonésie, Kazakhstan, Malaisie, Nigeria, Ouganda, Ouzbékistan, Thaïlande, Turquie et Vietnam. [↩]