Charlie Wittendal, collaboration spéciale
Qu’il s’agisse des luttes des Autochtones au Canada, des peuples palestiniens ou afrodescendants, la question de la violence comme moyen de libération reste centrale. La quatrième édition de la conférence de Bandung du Nord visait à renforcer les alliances entre les mouvements décoloniaux occidentaux, pour l’autodétermination des peuples du monde et dans l’espoir d’un avenir meilleur. Elle s’est tenue pour la première fois en Amérique du Nord, à Montréal, du 27 au 29 septembre 2024.
Intitulé « Pour une Internationale décoloniale, les subalternes du Nord parlent ! », cet événement, organisé uniquement par des personnes non blanches et porté par le collectif montréalais « Pour une dignité politique », s’inspire de l’esprit de Bandung de 1955. Une vingtaine de panélistes y ont débattu des moyens de lutte contre le colonialisme, le néocolonialisme et l’impérialisme occidental.
La fausse réconciliation envers les autochtones au Canada
Katsi’tsakwas Ellen Gabriel, artiste et militante autochtone, a été porte-parole de la résistance autochtone lors du siège à Kanehsatà:ke en 1990. Lors du panel, elle a insisté sur le fait que le Canada est un État occupant et colonial, qui perpétue encore aujourd’hui les mêmes systèmes d’oppression, sans reconnaître ses crimes ni montrer une réelle volonté de réconciliation. « La prospérité que vous, en tant que citoyen.nes canadien.nes ou québécois.es ressentent, c’est grâce au génocide qui a été commis contre les communautés autochtones. » Cette vérité, tant qu’elle n’est pas enseignée dans les écoles, perpétuera la marginalisation des peuples autochtones.
La résistance armée n’est pas une solution privilégiée selon elle, mais souvent la seule option laissée lorsque le gouvernement refuse de reconnaître les droits fondamentaux des Autochtones sur leurs terres. Lorsque l’État criminalise la résistance, soutient des violences policières répétitives, et dépeint ceux et celles qui se défendent comme des menaces pour le système capitaliste, cela renforce la marginalisation des Autochtones.
Face à un État qui ne cède pas de pouvoir et qui perpétue le génocide culturel et physique, la résistance physique devient une question de survie.
Nécessité de distinguer les différentes formes de colonialisme.
Pour les panélistes Omar Barghouti, Katsi’tsakwas Ellen Gabriel, Amzat Boukari-Yabara et Michèle Sibony, il est nécessaire de repenser les stratégies de résistance face aux réalités contemporaines de la colonisation et de souligner la diversité des expériences coloniales.
Il faut alors distinguer les différentes formes de colonialisme, notamment le colonialisme de peuplement. Une colonie de peuplement achevée désigne une colonie où les colons ont réussi à s’installer de manière durable, structurant ainsi la société locale. À l’inverse, une colonie non achevée est un territoire où les tentatives de colonisation n’ont pas abouti à une domination permanente.
Michèle Sibony, militante franco-marocaine, a présenté divers exemples historiques de colonies de peuplement achevées et non achevées. En Algérie, une colonie de peuplement dite non achevée, les colons européens ont été contraints de partir après l’indépendance parce qu’ils refusaient l’idée d’égalité avec la population algérienne.
Elle a comparé cela à la Palestine, où en 1969, le mouvement de libération nationale palestinienne appelait à la création d’un État palestinien démocratique où Juifs et Arabes auraient des droits égaux. Cette déclaration d’indépendance a été rejetée avec condescendance par Israël, et la violence contre la population palestinienne a continué.
Ici, au Canada, comme dans d’autres colonies, les solutions pacifiques ont déjà été envisagées, mais il semble trop difficile pour les colonisateurs d’envisager une égalité. « La paix ne peut être imposée par ceux qui ont perpétré les violences, d’autant plus lorsqu’ils refusent de les reconnaître » estime Sibony.
Elle cite le grand rabbin de France qui a récemment exprimé son soutien aux actions militaires israéliennes, disant que « tout le monde » serait bien content qu’Israël finisse le boulot et construise enfin une paix au Proche-Orient […] ». Une « paix des cimetières » comme elle l’appelle.
Ellen Gabriel aussi, compare la lutte des communautés autochtones à celle de la population palestinienne, notant que les deux groupes font face à une occupation et à la violence des forces de l’État lorsqu’ils défendent leurs terres. Pour elle, « tant que les peuples autochtones ne peuvent pas déterminer leur propre destin, la violence révolutionnaire peut être perçue comme un acte de légitime défense contre un système oppressif ».
Omar Barghouti, militant palestinien et cofondateur du mouvement BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions), a également plaidé pour l’autodétermination des peuples colonisés. Bien qu’il reconnaisse l’importance de l’éthique et du droit dans les luttes de libération, notamment dans le cas de la Palestine pour laquelle la cour internationale de justice reconnaît le génocide en cours, il affirme qu’elles ne suffisent pas.
Pour démanteler un système d’oppression, les opprimé.es doivent nécessairement acquérir du pouvoir, du pouvoir citoyen, de solidarité, et dans les domaines culturels, politiques et médiatiques.
La solidarité internationale comme stratégie
Amzat Boukari-Yabara, historien et militant panafricaniste, a quant à lui souligné l’importance de la solidarité entre les peuples colonisés. En évoquant les cas de la Martinique et de la Guadeloupe, des colonies de peuplement à la fois achevées et non achevées, il a démontré comment les mécanismes de contrôle et d’assimilation imposés par les colonisateurs favorisent les intérêts capitalistes au détriment des colonisés. Pour Boukari, l’autodétermination des peuples est cruciale, mais elle ne peut être atteinte sans une résistance collective qui inclut parfois la violence. Il a appelé à une unité stratégique, une solidarité au sein des Antilles et à travers le monde, pour contrer l’héritage du colonialisme et permettre la libération.
Face à des systèmes d’oppression enracinés, la résistance, qu’elle soit pacifique ou armée, est une réponse nécessaire. L’autodétermination des peuples colonisés, renforcée par la solidarité internationale, apparaît comme l’un des piliers pour une véritable libération.
Compte rendu de l’ouverture officielle de la conférence Bandung du Nord 2024 à Montréal
Penser la libération dans une colonie de peuplement achevée et non achevée
Vendredi 27 septembre 2024. avec la participation de
Omar Barghouti, Katsi’tsakwas Ellen Gabriel, Amzat Boukari-Yabara et Michèle Sibony.
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