Usha Kumar, journaliste

À première vue, la composition du cabinet de Trump 2.0 révèle une étonnante diversité parmi une brochette traditionnelle de faucons anti-immigration, de libertaires de Wall Street et de nationalistes chrétiens. Mais les traits de cette diversité sont trompeurs. De Kash Patel, Tulsi Gabbard et Vivek Ramaswamy à Usha Vance, Jay Bhattacharya et Sriram Krishnan, le caractère multiracial du nouveau MAGA (Make America Great Again) est dominé par une élite américaine d’origine indienne, principalement hindoue.

Cette configuration n’est pas le fait du hasard, mais reflète l’influence de l’«hindutva », un mouvement suprémaciste hindou dans l’extrême droite américaine.

Idéologie centenaire, l’hindutva (qu’il ne faut pas confondre avec l’hindouisme) s’inspire du nazisme et du fascisme italien et veut faire de l’Inde laïque et démocratique un État nationaliste hindou. À l’instar du nationalisme chrétien blanc, le mouvement s’en est souvent pris aux minorités religieuses, notamment par des épisodes de lynchage. 

Première organisation hindoue créée aux États-Unis il y a plus de cinquante ans, le Vishwa Hindu Parishad of America (VHP-A) lui sert de pilier. En s’appuyant sur la réussite économique des communautés indiennes aux États-Unis, cette organisation a formé une myriade d’associations qui financent le secteur caritatif, la culture, la religion, les lobbys, ainsi qu’un réseau de comités d’action politique (PACs).

Pendant longtemps, le Parti démocrate et les institutions libérales ont accueilli ces groupes comme les représentants de la communauté indienne, sans y reconnaître leurs fondements racistes. Mais le triomphe de Trump a démasqué le mouvement et l’a poussé à changer son fusil d’épaule. 

Le rapprochement entre le mouvement suprémaciste blanc et l’hindutva ne devrait pas nous étonner. Ce dernier s’est ouvertement inspiré des théories racistes de Jim Crow et des traitements réservés aux Juifs par les nazis. Par ailleurs, tous les deux partagent la même rhétorique d’une majorité opprimée dans son propre pays : la majorité blanche et chrétienne aux États-Unis et la majorité hindoue en Inde. Ils nourrissent en outre une haine commune contre les minorités musulmanes.

S’il a fallu des années pour consolider son programme, la nomination en 2019 de Steven Bannon, militant conservateur et stratège politique de l’extrême droite républicaine, comme président honorifique de la Coalition hindoue républicaine lui a donné sa direction définitive. C’est aussi à ce moment-là que le MAGA s’est ouvert aux mouvements d’extrême droite non blancs. Après l’officialisation de cette nouvelle alliance et la rencontre entre Trump et le premier ministre indien Narendra Modi lors du « Howdi Modi », un événement culturel en 2019, les tenant·es de l’hindutva n’ont pas tardé à adopter l’idiome trumpiste.

Outre ces rapprochements politiques, les suprémacistes hindous ont mené plusieurs attaques au sein même de la communauté indienne aux États-Unis : en jouant la carte du terrorisme afin d’incriminer les groupes de confession musulmane et sikhe, en récoltant des fonds pour la démolition d’églises en Inde et en s’opposant à des mesures contre la discrimination fondée sur le système de castes. Si ces stratégies s’apparentent à des tensions intracommunautaires, elles renvoient, dans le contexte du MAGA, à des dynamiques politiques beaucoup plus vastes. 

Il est vrai, en revanche, que certains milieux libéraux, y compris des sections du Parti démocrate, commencent à voir plus clair dans les mensonges colportés par le mouvement. Vu la longue liste de ses méfaits, ses partisans arrivent de moins en moins à se frayer un chemin dans les espaces plus progressistes. 

Peu à peu, le mouvement est prêt à laisser tomber le masque du libéralisme qu’il arborait jusqu’ici. Et pourquoi pas ? Même sans le poids démographique, l’hindutva a les ressources financières, un contexte géopolitique qui lui est favorable et une liste croissante d’ennemis en commun avec le MAGA (les musulmans, les wokes, les gauchistes, les sans-papiers, etc.) pour étendre son influence dans l’appareil de l’extrême droite américaine.

Mais cette convergence ne se fera pas sans tensions. D’abord parce que la base évangélique de Trump considère les hindou·es comme des païen·nes. Ensuite, il n’est pas clair que le mouvement parviendra à rompre avec les positions plus libérales des différents groupes de la communauté indienne aux États-Unis — hindous et autres — ou s’il est prêt à fermer les yeux sur le passé douloureux du mouvement suprémaciste blanc, ainsi que sur les attaques racistes de certains membres de la coalition MAGA.

Ce que confirme l’ascension des suprémacistes hindous est que, sous Trump, tout est flexible et négociable pourvu qu’on accepte de porter des attaques bien vitriolées et teintées de panique morale contre les libéraux. Pour l’instant, la partie n’est pas gagnée. Aux États-Unis, près de la moitié de la population d’origine indienne n’est pas de confession hindouiste, et la grande majorité s’est toujours distancée des positions de l’extrême droite américaine sur la question des droits reproductifs et du climat. De plus, l’idéologie nationaliste exerce peu d’attrait dans la population indienne, même chez les hindou·es qui lui préfèrent une vision plus tolérante.

La suite dépendra de la réaction des milieux libéraux et du Parti démocrate. Il faut attendre de voir s’ils se mobiliseront pour contrer la montée de l’extrême droite dans les communautés immigrantes, mais aussi comment répondra la population indienne aux États-Unis. Mais il est certain que, devant la gravité des enjeux, il faudra rapidement passer à l’action.


Aux origines de l’hindutva: 

Fondé en 1925, le Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS), Corps des volontaires nationaux, est un vaste réseau d’organisations tentaculaires qui s’inspire de la structure des Faisceaux italiens de combats de Benito Mussolini. 

En 1939, son dirigeant et principal idéologue,    MS Golwalkar, écrit We or Our Nationhood Defined. Cet ouvrage prend exemple sur l’idéologie fasciste de l’Allemagne nazie pour jeter les bases du suprémacisme hindou. 

À partir des années 1970, avec la création de plusieurs antennes outre-mer, le RSS étend son influence dans la diaspora.

Le Bharatiya Jana Party (BJP), sa branche politique, a été réélu pour un troisième mandat le 4 juin 2024, avec à sa tête le premier ministre Narendra Modi.