2025 : Quel avenir pour la Palestine?

Ilan Pappé

À l’aube de la nouvelle année, le temps qui s’est écoulé depuis le 7 octobre 2023 offre un recul opportun pour revoir la signification de cette date et des événements qui ont suivi. En tant qu’historien, je situerais la dernière période mouvementée dans un double processus qui remonte à 1882 : la colonisation sioniste de la Palestine et les tentatives de décolonisation.

Les opérations israéliennes depuis octobre 2023 dans la bande de Gaza et en Cisjordanie inscrivent, avec encore plus de force, le sionisme comme un projet colonial du 21e siècle. L’idée de considérer ce projet sous l’angle du colonialisme — et plus exactement d’un colonialisme de peuplement — est enfin passée du monde académique et militant aux tribunaux internationaux, tels que la Cour internationale de Justice (CIJ) et la Cour pénale internationale (CPI). Dans la prochaine période, cette idée gagnera sûrement du terrain, même si elle continue d’être réfutée par les milieux universitaires et les médias traditionnels.

En octobre 2023, l’attaque du Hamas a servi de prétexte pour intensifier la colonisation de la Palestine historique, un processus qui, depuis 120 ans, a été ralenti par la résistance palestinienne. Aujourd’hui, l’élite politique israélienne au pouvoir souhaite poursuivre son avancée et coloniser le sud du Liban et une partie de l’ouest de la Syrie, accélérer la colonisation de la Cisjordanie et renouveler son projet expansionniste dans la bande de Gaza. Cette explication n’est pourtant jamais donnée par les médias occidentaux pour qui les actions d’Israël sont commises au nom d’une autodéfense légitime contre l’Iran et ses agents. 

La solution avancée par plusieurs milieux, même certains qui se disent amis de la Palestine, est de créer un petit bantoustan en Cisjordanie afin de tempérer les ardeurs israéliennes.

Dans l’histoire, une telle mesure palliative à l’autodétermination et à la libération n’a jamais satisfait les mouvements anticoloniaux et sera rejetée par le peuple palestinien. 

Quoi qu’il en soit, Israël n’acceptera pas de prendre part aux discussions et continuera de créer sur le terrain une situation vouée à l’échec. 

Or, la seule réponse acceptable à la colonisation réside dans une approche réellement décoloniale qui considère l’ensemble des terres et des populations colonisées. Si les parties capables d’arrêter le génocide à Gaza et l’expansionnisme israélien n’en tiennent pas compte, il sera difficile de rétablir la paix dans la région. Mais pour l’instant, l’insouciance règne.

Malgré les horribles nouvelles qui nous parviennent quotidiennement de la bande de Gaza, l’impasse actuelle est entretenue par une certaine alliance construite autour d’intérêts capitalistes, de fanatismes religieux et d’une foule de politicien·nes timides et populistes qui profitent de leur pouvoir pour marquer des points.

La montée du fascisme en Occident et dans certains pays du Sud global contribue également à renforcer le bouclier immunitaire dont Israël bénéficie pour continuer d’opprimer les Palestinien·nes.

La décolonisation est possible

Il existe pourtant une contre-alliance formée de millions de personnes qui souhaitent faire de la politique autrement dans leur pays et pour qui l’attitude des gouvernements à l’égard du génocide révèle les failles de leur propre système politique. Cette alliance est puissante, mais elle n’est pas suffisamment unie, institutionnalisée et coordonnée ; il lui faut du temps. Mais le moindre gain à l’échelle locale, régionale et internationale, peu importe le secteur — la lutte à la pauvreté, les dérèglements climatiques ou le traitement inhumain accordé aux personnes migrantes —, représente une victoire pour les Palestinien·nes.

Pour réussir, il faudra éviter les dissensions internes et travailler vers la construction d’un front commun capable d’apporter des changements. 

Cette contre-alliance a déjà donné lieu à des manifestations massives et a confirmé son pouvoir d’influence, laissant entrevoir l’espoir d’un monde où le soutien à la libération de la Palestine annonce un système plus juste et démocratique. C’est la seule façon de prévenir le prochain génocide ou nettoyage ethnique du peuple palestinien.

En Israël, on détecte déjà les signes avant-coureurs d’une implosion de la société. Dans les dernières années, la société juive a pris part à une guerre civile froide, qui a été violente par moments. La Judée, fondée sur une théocratie juive sans inhibition morale, a tranquillement remplacé l’ancien Israël, laïque et libéral. Mais ce nouvel État constatera un jour qu’il n’a plus les ressources économiques, ni l’immunité régionale et mondiale, ni la foi des populations juives, ni l’invincibilité militaire pour soutenir son projet messianique. Il n’aura alors d’autre choix que de s’effondrer et d’ouvrir la voie à la décolonisation de la Palestine historique et à la construction d’un régime fondé sur l’égalité pour l’ensemble des populations qui y vivent ou qui en ont été expulsées.

L’un des plus brillants « nouveaux historiens », Ilan Pappé est professeur d’histoire à l’Université d’Exeter, au Royaume-Uni, et directeur du Centre européen des études palestiniennes.

Un campement propalestinien installé à l’Université McGill, au centre-ville de Montréal, pendant le printemps 2024