Décoloniser l’esprit palestinien

Haidar Eid, LeftWord Books, 2023, 105 Pages

L. Bell – traduction Johan Wallengren

Cet article fut publié en anglais dans le journal commémoratif du 30e anniversaire d’Alternatives. Nous vous le présentons ici en français. La version originale suit. 


Haidar Eid, LeftWord Books, 2023, 105 pages

Dans son livre Decolonising the Palestinian Mind, Haidar Eid réimagine avec intelligence, humanité et espoir le projet de libération palestinienne.

L’auteur commence dans cet ouvrage par recadrer les accords d’Oslo de 1993, en lesquels il voit une trahison envers le peuple palestinien. Eid rappelle qu’Oslo promettait un État palestinien indépendant englobant Jérusalem-Est, la Cisjordanie et Gaza, l’impasse étant faite sur les droits des personnes réfugiées palestiniennes et aussi de la population palestinienne vivant en Israël comme des citoyen.nes de seconde zone.

Au lieu de cela, Oslo n’a accordé à la population palestinienne qu’une autonomie administrative limitée, et ce, uniquement sur une petite fraction de la terre palestinienne historique. Ce qui complique encore davantage les choses est que Gaza et la Cisjordanie ont été dotées d’institutions corrompues, non démocratiques et oppressives. Pour Eid, un Sud-Africain d’origine palestinienne naturalisé, les territoires occupés évoquent les bantoustans sud-africains du passé.

En conséquence, les Palestinien.nes se sont vu refuser les droits civils mêmes les plus élémentaires, ce qui a finalement empêché la mise en place d’une solution viable fondée sur la coexistence de deux États. Avec le temps, Jérusalem-Est a été vidée de ses Palestinien.ne. s, ce qui a rendu impraticable le projet d’y installer la capitale palestinienne. Et pour ce qui est de la Cisjordanie, plus de la moitié du territoire a été annexée par des colonies exclusivement juives. Enfin, Gaza est devenue une prison à ciel ouvert jusqu’à ce que, comme le souligne Eid : «en lançant ses guerres génocidaires contre Gaza, Israël… a tiré une balle dans la tête de la solution à deux États-prisons.»

Selon Eid, la véritable solution au problème est celle qui, au prix d’efforts considérables, aurait dû être poursuivie dès le départ : construire un État partagé, inclusif, démocratique, multiculturel et laïque, au sein duquel chaque personne jouirait de droits humains égaux et du droit à l’autodétermination.

Avec cet objectif à l’esprit, la cause palestinienne devrait être réimaginée comme une résistance anticoloniale. Une telle perspective ouvre la voie à ce qu’Eid appelle une «dis-participation», ce qui me fait penser au mouvement indien de non-coopération. L’idée est de chercher à remettre à la population palestinienne le pouvoir d’agir de façon à rejeter le système existant tout en bâtissant d’autres systèmes destinés à le remplacer.

Le mouvement Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) est cité en exemple, car il montre comment la société civile a pu travailler en dehors du système en place, mais en exigeant qu’on rende des comptes. Le mouvement des jeunes qui a pris forme lors des soulèvements arabes est également donné en exemple, tout comme les manifestations de défense des Bédouins.es du Néguev. Eid reconnaît que de tels mouvements sociaux devront tous se rattacher à un mouvement national représentatif, une alliance entre les cadres des partis politiques et le mouvement de la jeunesse palestinienne.

Curieusement, je n’ai pas vu de dédicace dans ce livre. Si je devais mettre mon grain de sel, je dirais qu’il s’agit d’une lettre d’amour, l’une des nombreuses que la communauté intellectuelle palestinienne adresse à la jeunesse de Palestine : vous n’êtes pas des chiffres.


Decolonising the Palestinian Mind

Haidar Eid’s Decolonising the Palestinian Mind reimagines the Palestinian liberation project with intelligence, humanity and hope.

The book begins by reframing the 1993 Oslo Accords as a betrayal to the Palestinian people. Eid recalls that Oslo promised an independent Palestinian state encompassing East Jerusalem, the West Bank and Gaza. In so doing, though, it failed to defend the rights of Palestinian refugees, or the rights of those Palestinians living as second-class citizens in Israel.

Instead, Oslo granted Palestinians only limited administrative autonomy, and this, only on a small fraction of historic Palestinian land. To compound the problem, Gaza and the West Bank were bestowed with institutions that were corrupt, undemocratic and oppressive. To Eid, a naturalized South African of Palestinian origin, the occupied territories evoke the South African bantustans of the past.

The result was that Palestinians were denied even the most basic civil rights, and this ultimately precluded a viable two-state solution. Over time, East Jerusalem was cleansed of Palestinians, rendering it unworkable as a Palestinian capital. As for the West Bank, more than half of it was annexed by Jewish-only settlements. Finally, Gaza became an open-air prison until, as Eid points out: “By launching its genocidal wars on Gaza, Israel… shot the two-state-prison solution in the head.”

According to Eid, the real solution to the problem is the hard one that should have been pursued from the start: the construction of a shared, inclusive, democratic, multicultural and secular state, within which everyone enjoys equal human rights and the right to self-determination.

With this goal in mind, the Palestinian cause should be reimagined as anti-colonial resistance. This opens the door for what Eid calls “dis-participation.” Reminiscent to me of India’s non-cooperation movement, dis-participation seeks to achieve Palestinian agency by rejecting the existing system, all while building other alternatives.

The Boycott, Divestment and Sanctions (BDS) movement is cited as an example of how civil society has worked outside the system, holding it to account. The youth movement that took shape during the Arab uprisings is another example, as are the protests that defended the Negev Bedouin. Eid acknowledges that such social movements all need to tie to a representative national movement, an alliance of political party cadres and the Palestinian youth movement.

Curiously, I didn’t see a dedication in this book. If I were to guess, it is a love letter, one of many from the Palestinian intellectual community to the youth of Palestine: you are not numbers.

L. Bell