Crédit photo: Magali Alanís Rodríguez

Par Alexy Kalam, correspondant au Mexique

Exposition majeure en 2024 à Mexico, Les motifs de la jungle (Los motivos de la selva) connaît en ce moment une nouvelle édition à l’Ambassade du Mexique à Ottawa. Une sélection d’œuvres accessibles au public jusqu’au 21 mars. «Nous visons à montrer le visage humain de ce mouvement social et politique», dit l’artiste et curatrice Magali Alanís Rodríguez.

Magali Rodríguez, artiste et curatrice de l’exposition Los Motivos de la Selva.

Organisée dans le cadre du 30e anniversaire du soulèvement de l’EZLN (Ejército Zapatista de Liberación Nacional), cette exposition tend un miroir aux communautés issues des Premières Nations du Chiapas. L’exposition a été vue par centaines de milliers de personnes au Musée San Ildefonso, une institution incontournable au Mexique. Cette nouvelle édition voit le jour à Ottawa grâce à une photographe qui poursuit sa trajectoire artistique entre le Mexique et le Canada, Magali Alanís Rodríguez.

«Nous visons à démystifier les origines du mouvement zapatiste et à montrer comment se tisse son histoire, sa profondeur humaine.» C’est ainsi que Magali Alanís Rodríguez définit l’angle de l’exposition qui prend aujourd’hui l’affiche à l’Ambassade du Mexique à Ottawa.

Celle-ci constitue un échantillon de 70 pièces de l’exposition originale qui a été présentée l’année dernière à Mexico. Célébrée comme un succès historique dans la capitale du Mexique, l’exposition présentée au Musée San Ildefonso porte la signature du collectif Bats’I Lab. Un collectif de photographie établi au Chiapas et dont fait partie Magali. D’ailleurs, l’artiste et curatrice précise que de nouvelles éditions de l’exposition sont attendues dans différentes villes du Mexique, de même qu’en Europe.

Los motivos de la selva réunit des œuvres d’artistes qui figurent parmi les plus grands noms de la photographie au Mexique. On y trouve notamment des photographies de José Ángel Rodríguez, Andrea Murcia, Isaac Guzmán, Vanessa García Blanca, Daliri Oropeza, Marco Antonio Cruz et Antonio Turok, ainsi que de deux grandes pionnières du XXe siècle, Gertrude Duby Blom et Marcella Jacobson.

Source d’inspiration

C’est dans l’atelier de Bats’I Lab à San Cristóbal de las Casas que j’ai eu l’honneur de m’entretenir avec Magali Alanís Rodríguez. Dès l’enfance, Magali côtoie l’art de la photographie. Son père n’est nul autre que José Ángel Rodríguez.

Assistant de Manuel Álvarez Bravo dans les années 70 et 80, le photographe originaire de Durango se trouve à l’origine d’une œuvre qui fait de lui une figure incontournable de la photographie au Mexique. Dans les années 1990, José Ángel s’installe au Chiapas et consacre depuis une partie importante de son œuvre aux Premières Nations de cet État du sud du Mexique. Ce qui explique que Magali possède une connaissance en profondeur du mouvement zapatiste.

«Je suis née à San Cristóbal de las Casas, dit-elle. Je suis allée à l’école primaire dans la ville, puis ma mère m’a emmenée avec ma sœur au Canada ». Elle raconte que sa mère est originaire de Mattawa — une ville francophone du nord de l’Ontario — et qu’elle est allée à l’école secondaire à Sudbury. «Chaque année, nous venions pour toute la saison estivale à San Cristóbal, dit-elle. Je peux dire que je suis originaire du Chiapas, puisque je suis née ici et à la fois d’autres latitudes.» L’artiste a notamment vécu à Montréal, où elle a fait l’obtention d’un baccalauréat en photographie à l’Université Concordia.

Aujourd’hui au Chiapas, elle se dédie à son travail avec Bats’I Lab. D’ailleurs, le collectif vient de s’installer dans de nouveaux locaux. Maintenant établi au cœur du Barrio del Cerrillo, l’espace constitue à la fois un atelier de création et une galerie d’art accessible au public de San Cristóbal de las Casas.

«Bats’I Lab constitue une initiative de mon père José Ángel Rodríguez, de Pablo Farias et d’Isaac Guzmán, indique l’artiste. Initialement, le collectif avait comme vocation d’offrir un soutien mutuel entre photographes.»

Outre son travail auprès de Bats’I Lab, Magali participe à divers projets artistiques et notamment un projet cinématographique avec l’Université autonome du Chiapas (UNACH).

Ya basta1

Magali affirme que l’idée d’exposition à l’occasion du 30e anniversaire du soulèvement de l’EZLN s’inscrit dans la logique du travail de recherche historique que poursuit le collectif Bats’I Lab.

«Nous travaillions activement à la création d’archives historiques de la photographie au Chiapas depuis les années 1940.» La photographe note que l’exposition met en lumière un fil conducteur entre différentes périodes historiques pour mieux retracer les origines et les enjeux actuels du mouvement zapatiste.

D’ailleurs, le circuit de l’exposition débute par des œuvres de Getrude Duby Blom, connue sous le nom d’artiste Trudy. Journaliste et militante communiste en Allemagne, celle-ci s’est illustrée en tant que photographe à partir de son arrivée au Mexique en tant qu’exilée politique durant la Seconde Guerre mondiale.

«Le Mexique a été un peu victime de photographes qui venaient au pays avec une mentalité plus coloniale, plus extractiviste, dit Magali. On compte plusieurs photographes qui arrivaient et repartaient pour vendre leurs photos, mais Trudy fait quelque chose d’autre, puisqu’elle s’est engagée entièrement auprès des communautés du Chiapas».

Magali affirme que l’exposition aujourd’hui présentée à Ottawa vise à mettre en lumière la vie et les enjeux actuels des communautés.

«Au Chiapas, il y a un mouvement de résistance qui se déploie depuis des décennies et qui comporte de profondes origines historiques, dit-elle. Il s’agit d’un élément essentiel afin de comprendre comme il se doit l’histoire du zapatisme» .À ce propos, elle soulève que les communautés autochtones doivent depuis longtemps composer avec la menace de projets coloniaux. Une dynamique d’oppression exacerbée par le néolibéralisme.

C’est au moment de l’entrée en vigueur de l’accord de libre-échange nord-américain (ALENA) que le soulèvement zapatiste a eu lieu au Chiapas, plus précisément la veille du 1er janvier 1994.

Une rébellion historique

«Ce que les zapatistes ont dit à la face du monde, je crois qu’on peut le résumer de cette manière : nos cultures n’appartiennent pas à vos projets coloniaux, nous ne sommes pas inclus.es dans cette petite boîte à laquelle on veut nous réduire et nous refusons de nous y conformer davantage; c’en est assez, ¡ ya basta!»

L’objectif de l’exposition consiste à présenter une vision actuelle du zapatisme. «Nous avons choisi de présenter seulement cinq photos de l’insurrection du 1er janvier 1994, des images particulièrement emblématiques, dit-elle. L’essentiel de l’exposition présente d’autres aspects de l’histoire et de l’actualité des communautés du Chiapas.»

D’ailleurs, la photographe et curatrice note qu’il existe parfois une récupération politique de certaines images et que l’enseigne notamment l’histoire du Québec.

«Comme le mentionnait l’autrice et professeure Emmanuelle Dufour lors du vernissage à Montréal, il y a eu lors de la crise d’Oka en 1990 une utilisation des images montrant des armes à feu pour créer une sorte de propagande à l’encontre des communautés autochtones et afin d’amener le public à soutenir la répression gouvernementale.»

Une autre histoire

Si l’exposition se distingue par sa diversité, les photos présentées comportent une signature commune dans le photojournalisme. «C’est quelque chose d’essentiel pour le collectif Bats’I Lab, dit Magali. Nous avons comme objectif de donner vie à un photojournalisme indépendant et aussi très artistique.»

À ce propos, elle note qu’il s’agit d’un travail qui tend à dépasser certaines définitions ayant pour effet de restreindre le travail photographique à des catégories rigides. «Si ce n’est pas de l’art contemporain, c’est du National Geographic», ironise la curatrice et photographe à propos de courants qui prévalent dans certains milieux à Montréal.

«Ce que j’aime beaucoup de Bats’I Lab, c’est que ces deux regards, convergent et que cette rencontre provoque un changement social positif, dit-elle. Je pense que c’est quelque chose de propre au photojournalisme mexicain de faire de la photographie un outil social, politique et humaniste.»

Un engagement social

«Un conflit existe entre les façons de faire de l’art, dit-elle. Alors qu’il y a un certain individualisme au Canada ou encore en Europe, nous avons ici besoin de la collectivité.» Elle affirme qu’une relation de confiance est indissociable à la création artistique telle que la pratique le collectif Bats’I Lab.

«Le fait d’entrer en relation avec des personnes par le biais de la photographie constitue un engagement social.» Un sens de l’engagement qui se distingue dans les œuvres d’Andrea Murcia, José Ángel Rodríguez, Daliri Oropeza, Antonio Turok, Vanessa García Blanca, Marco Antonio Cruz et Isaac Guzman.

«Lorsque nous travaillons avec des communautés autochtones auxquelles nous n’appartenons pas, il s’agit d’un devoir éthique que nous avons comme photographe de nous assurer qu’il y ait une relation à la fois juste et égalitaire, humaine et réciproque».

Un horizon social qui s’exprime également dans la diffusion : «Il s’agit d’un de nos objectifs d’ouvrir des espaces de dialogue à partir de la photographie, des espaces aptes à accueillir et inclure divers points de vue, dit Magali. Comme le disent les zapatistes, nous voulons créer un monde où il y a place pour différents mondes, un mundo donde quepan muchos mundos.»

Vidéo du lancement de ll’exposition à l’Ambassade du Mexique à Ottawa

  • José Ángel Rodríguez, Magali Rodríguez, Isaac Guzmín et Fabián Ontiberos lors de l’inauguration de Los Motivos de la Selva en janvier 2024 au Musée San Ildefonso à Mexico.
    José Ángel Rodríguez, Magali Rodríguez, Isaac Guzmín et Fabián Ontiberos lors de l’inauguration de Los Motivos de la Selva en janvier 2024 au Musée San Ildefonso à Mexico.
  • Membres de l’Armée Zapatiste de Libération Natonale (EZLN) tenant l’affiche de l’exposition Los Motivos de la Selva au Chiapas en 2024.
  • Le photographe José Ángel Rodríguez dans l’atelier de Bats’I Lab en 2024.
  • L’œuvre Derrumbe de Don Diego de Mazariegos (1992), de Antonio Turok, présentée dans l’exposition Los Motivos de la Selva, au Musée San Ildefonso, Mexico.
  • Inauguration de l’exposition Los Motivos de la Selva dans les espaces de l’Ambassade du Mexique au Canad, le 21 janvier 2025 à Ottawa.

 

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