Colloque Tout sauf santé – compte rendu de l’atelier comprendre la privatisation à l’international par Emma Soares, correspondante en stage.
Suite à l’élan progressiste de l’après-guerre et huit décennies d’États providences en Europe, on observe un recul dangereux des droits à la santé des populations. La tendance à la privatisation de la santé a des visées mondiales, opérant d’abord dans les pays occidentaux. Toutefois, on retrouve cette idéologie néolibérale dans le Sud Global. C’est ce qu’ont démontré les spécialistes internationaux lors du séminaire Tout sauf santé à l’initiative de la Coalition Solidarité-Santé qui a eu lieu à Montréal les 21 et 22 février dernier.
Avec l’adoption de la réforme Dubé sur la santé à l’Assemblée nationale, la privatisation s’installe progressivement au Québec. Ces réformes sont poussées par des objectifs d’efficacité et de modernisation pour transformer un domaine longtemps en crise. Le mouvement québécois, Tout sauf santé rassemble des syndicats, organismes communautaires et professionnel.les de santé pour s’opposer à la privatisation du système québécois et mondial. Le Journal des Alternatives assistait à leur conférence pour mieux cerner les enjeux internationaux qui entourent ces réformes.
À qui profite la privatisation de la santé ?
Depuis la privatisation du National Health Service sous le gouvernement Thatcher au Royaume Uni le chercheur britannique Benjamin Gooddair dénonce les réels profiteurs de ces réformes : les industries privées. Le Consensus de Washington adopté par les gouvernements conservateurs depuis les années 1980 érige l’externalisation de ces systèmes comme le remède miracle à la crise que traverse les services.
En privatisant la santé, ils proposent de baisser drastiquement les coûts en gardant la même qualité de soin, une promesse qui peine encore à faire ses preuves. À travers le monde, on observe l’accès à la santé comme un droit fondamental en recul.
Comment en est-on arrivé là en santé ?
Baba Aye, responsable à l’Internationale des services publics nous décrit les mécanismes utilisés par la sphère politique pour implanter l’externalisation massive des services de santé. Dans les années 1970, la crise économique que traversent les pays occidentaux est utilisée comme fenêtre d’opportunité pour prioriser l’expansionniste capitaliste et faire du profit sur le dos des malades.
La marchandisation des systèmes de santé ne s’arrête pas qu’en Occident. Dès 1980, 44 pays africains privatisent leur santé en faisant des “ajustements structurels”, politiques adoptées par les gouvernements africains sous contrainte du financement par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international. Les populations voient leur santé commercialisée au profit de grandes entreprises. Les campagnes de lobbying et les alliances entre le secteur privé et public accélèrent l’adoption de cet “engagement idéologique”, où l’argent des contribuables sert à financer des soins toujours plus médiocres délivrés à une population toujours autant malade.
Au Royaume-Uni, on estime que 557 décès additionnels sont causés par la privatisation des services de santé entre 2013 et 2019. Malgré des preuves scientifiques en contradiction totale avec les objectifs voulus par les gouvernements conservateurs, ces réformes ne cessent de se mondialiser. La communauté scientifique appelle à s’inspirer de l’Esprit de 45[1] en combattant ces réformes avec un projet social basé sur la solidarité, le collectif et le socialisme.
Le “racket” des assurances privées au dépend des patient.es exacerbent les problèmes préexistants en imposant plus de pression sur les services publics. La production d’ignorance par les responsables étatiques renverse les preuves scientifiques et camoufle les conséquences désastreuses de leurs réformes. Les secteurs accaparés par le privé excluent les classes sociales les plus pauvres, perçues comme non profitables. Leurs pratiques démontrent une volonté de hiérarchiser l’accès aux soins.
Comment faire face à cette privatisation sur le dos de la population?
La situation du système de santé américain donne une idée des conséquences qui pourraient s’abattre sur le Québec et le reste du monde. Dans le “pays le plus riche au monde”, le taux de mortalité infantile et maternelle est l’un des plus haut parmi les pays de l’OCDE, un taux qui double pour les communautés noires.
Dans les dix dernières années, le nombre de citoyen.nes aux États-Unis non couverts publiquement a augmenté de manière radicale. La professeure Gillian Mason de Boston nous peint un portrait déplorable du système de santé des États-Unis. L’esprit de 45 n’a pas frappé le pays aussi fortement qu’en Europe. On observe peu de résistance de la population de nos voisins du sud face à des conditions de soins qui s’empirent et des coûts qui continuent de grimper. Le cadrage politique autour du “remède” de la privatisation se fonde sur un modèle social individualiste, où l’idée même de cotiser pour les soins d’autrui est impensable. Gillian Mason souligne l’importance de coordonner les syndicats et les groupes militants à l’échelle mondiale pour faire face à la privatisation de notre santé. Il faut atteindre le public au niveau individuel, en mettant le vécue personnel des malades et des professionnel.les au cœur du combat.
[1] . En référence au documentaire de Ken Loach sur le développement de l’État providence.
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Colloque Tout sauf santé – compte rendu de l’atelier comprendre la privatisation à l’international
21 et 22 février 2025, cégep de Maisonneuve
- Baba Aye, responsable des services de santé et sociaux de l’Internationale des services publics.
- Benjamin Goodair chercheur postdoctoral sur la politique sociale, la santé, les soins sociaux et la privatisation des services publics, Université d’Oxford au Royaume Uni.
- Gilian Mason, professeure et directrice des communications et du développement de l’organisme Health Care Now.
Une initiative de la Coalition Solidarité-Santé et de dizaines d’organisations issues des milieux communautaire autonome, de défense des droits de la personne, syndical et médical. Pour prendre connaissance de la déclaration commune de la coalition: