Les femmes palestiniennes résistent là où les archives se sont tues

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Rana Bouazer, correspondante 

Depuis plus de deux mois, Gaza est plongée dans une famine orchestrée, une catastrophe qui s’inscrit dans l’histoire des crimes contre l’humanité. Une situation à laquelle répondent aujourd’hui des voix féministes en s’élevant pour analyser, dénoncer et témoigner. C’est dans cet esprit que la Coalition du Québec URGENCE Palestine a tenu sa dernière soirée de la série de cinq conférences intitulée « Les racines du génocide à Gaza » . Cette rencontre de clôture proposait une lecture engagée et féministe des dynamiques coloniales et des expressions plurielles de la résistance.

Une résistance légitime

L’événement, animé par Denis Kosseim, militant d’origine palestinienne et professeur de philosophie au cégep, s’est ouvert avec l’intervention de Zahia El-Masri. militante féministe palestinienne et fondatrice du Collectif des femmes pour la Palestine, elle est revenue sur les multiples visages de la résistance palestinienne, qu’elle décrit comme une réalité profondément ancrée dans l’identité collective. Selon elle, un changement de prisme s’impose dans le Nord global : il ne s’agit pas d’un simple conflit armé, mais d’un processus colonial. La lutte en Palestine, rappelle-t-elle, est une lutte de décolonisation vieille de plus d’un siècle. Il n’a jamais été question d’un réel processus de paix, car la paix implique la justice. Ce à quoi la population palestinienne fait face, affirme-t-elle, c’est une résistance constante, nécessaire et légitime.

Elle illustre son propos en invoquant le droit international, qui reconnaît à tout peuple colonisé ou occupé le droit de résister, y compris par la lutte armée, contre une force étrangère. Pourtant, cette insurrection est, dans les récits médiatiques dominants,  trop souvent réduite au prisme du Hamas dans les récits médiatiques dominants, occultant ainsi la pluralité des formes qu’elle peut prendre : résistance populaire, pacifique, artistique, culturelle. Pour Zahia El-Masri, l’existence même du peuple palestinien est un acte de révolte, un geste politique en soi, né du refus obstiné de disparaître.

Parmi ces formes d’insurrection, elle évoque celles et ceux qui ont incarné la non-violence comme stratégie politique. Elle cite notamment Mubarak Awad, psychologue palestinien de renom, figure emblématique de cette approche, développée en réaction à la stigmatisation de toute résistance palestinienne, souvent assimilée à du terrorisme. À ce propos, elle insiste aussi sur le rôle central des femmes dans les mouvements de résistance. Dès 1920, elles ont mené le premier boycott contre le gouvernement britannique, organisé des grèves de la faim et collecté des fonds pour les victimes — tout en assumant pleinement leurs rôles familiaux et politiques.

Un engagement des femmes qui remontent avant la Nakba

Cette perspective est prolongée par l’intervention de Dr. Sonya Ben Yahmed , chercheuse féministe et militante , qui souligne que ces femmes subissent une double délégitimation : exclues à la fois du récit dominant de la résistance et de la reconnaissance politique de leur combat. Elle déplore que leur lutte soit trop souvent enfermée dans un discours d’essentialisation, qui réduit leur engagement à une fonction symbolique ou affective. Auparavant on traitait la lutte des femmes soit pour exagérer leur violence soit la pathologiser. 

Pour nuancer cette stigmatisation, il est essentiel de rappeler leur participation active à la résistance armée, une implication bien antérieure à 1948, date de la nakbah. En Palestine, les femmes ont toujours résisté, et la lutte pour leurs droits spécifiques s’est construite parallèlement à celle pour la libération nationale. Dès la Grande Révolte arabe de 1936-1939, de nombreuses femmes, en particulier issues des milieux paysans et non-élitaires, ont pris part aux affrontements. Certaines ont transporté des armes, d’autres ont combattu les forces coloniales britanniques à coups de pierres et de briques, faisant face à une répression armée à balles réelles.

Parmi les autres modalités de lutte, certaines palestiniennes ont participé à des attentats suicides, notamment durant la seconde Intifada.Wafa Idris, ambulancière de profession, est devenue en 2002 la première femme kamikaze palestinienne connue. Toutefois, ces actes comme ceux d’autres jeunes femmes ayant tenté d’attaquer des soldats israéliens près de checkpoints ont souvent été délégitimés en les réduisant à des gestes irrationnels ou motivés par des troubles psychologiques. Cette lecture occulte leur dimension politique et contribue à la dépolitisation de la violence féminine.

Cette histoire de résistance féminine, pourtant déterminante, a longtemps été invisibilisée. Documentée uniquement a posteriori, elle souffre de l’absence d’archives officielles, ce qui participe à l’effacement plus large des femmes dans les récits dominants de la lutte palestinienne.