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Isabel Cortés, correspondante

Dans un monde où la vérité est constamment attaquée, le documentaire The Six Billion Dollar Man (« L’Homme qui valait six milliards de dollars »), réalisé par le cinéaste américain Eugene Jarecki et coproduit par le Guatémaltèque Juan Passarelli, a remporté le prestigieux Grand Prix du jury L’Œil d’Or au Festival de Cannes 2025. Cette œuvre, qui retrace la persécution judiciaire du fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, ne se contente pas de marquer un jalon cinématographique, elle ravive aussi le débat mondial sur la liberté de presse et le droit à l’information.

Le Grand Prix L’Œil d’Or met en lumière des œuvres à fort impact social et politique. Il souligne la pertinence du film dans un contexte où le journalisme fait face à des menaces croissantes. Le documentaire a aussi décroché le premier prix dans la catégorie documentaire aux Golden Globes 2025.

Un message politique sur le tapis rouge

La présence de Julian Assange à Cannes a été un moment marquant. Accompagné de son épouse, Stella Assange, et de l’ancien président équatorien Rafael Correa, Assange a profité des projecteurs médiatiques pour lancer un message percutant. Lors de la première, il portait un chandail affichant les noms de 4 986 enfants palestiniens tués à Gaza depuis 2023, déclarant : « Justice pour tous les enfants palestiniens. » Ce geste d’activisme a eu un écho planétaire, réaffirmant son engagement envers les causes de justice sociale.

La participation de Rafael Correa, qui avait accordé l’asile à Assange en 2012, a ajouté une dimension politique à l’événement. En Équateur, sa présence à Cannes a suscité des réactions polarisées. Si les médias conservateurs ont critiqué son apparition, des figures comme le député Franklin Samaniego ont salué son plaidoyer pour la liberté d’expression : « Pendant que les micros vendus s’agenouillent pour un chèque, eux foulent la scène la plus prestigieuse du cinéma avec dignité et une cause. Les serviles n’y accèdent pas. Là-bas, on trouve ceux qui luttent pour la vérité et ne se vendent pas. »

L’odyssée de Julian Assange : un suspense bien réel

The Six Billion Dollar Man est un suspense technologique qui retrace le parcours de Julian Assange, de la fondation de WikiLeaks en 2006 à sa libération en 2024, après un accord avec le gouvernement américain. Le film utilise des images exclusives des archives de WikiLeaks et des témoignages de figures comme Edward Snowden, Naomi Klein, Pamela Anderson et l’ancien président équatorien Rafael Correa. Ces récits révèlent l’ampleur de la persécution contre Assange, qui risquait jusqu’à 175 ans de prison pour avoir publié des documents classifiés révélant des crimes de guerre en Irak et en Afghanistan.

Le titre du film fait référence aux 6,5 milliards de dollars que, selon le documentaire, le gouvernement de Donald Trump aurait offerts à l’Équateur via un prêt du FMI pour faciliter l’expulsion d’Assange de l’ambassade équatorienne à Londres, où il avait obtenu l’asile en 2012. Cet épisode, qui a marqué la fin de sept ans de refuge diplomatique, symbolise le coût politique et économique de faire taire ceux qui défient le pouvoir.

Le récit ne se limite pas à Assange, mais aborde le contexte plus large de la liberté de presse. Le film dénonce comment des gouvernements, notamment celui des États-Unis, ont utilisé des tactiques de propagande et de pressions économiques pour discréditer Assange, des accusations de délits sexuels en Suède — qui n’ont jamais abouti — jusqu’à le qualifier de menace à la sécurité nationale.

Eugene Jarecki : un cinéaste au regard politique

Eugene Jarecki, lauréat à deux reprises du Grand Prix du jury à Sundance et détenteur de multiples prix Emmy et Peabody, s’affirme avec ce documentaire comme un conteur exceptionnel de réalités dérangeantes. Le jury de Cannes a salué sa capacité à « ne pas craindre de regarder sous le capot de la société et d’exposer ce qui se reconfigure sans notre consentement ». Dans The Six Billion Dollar Man, Jarecki allie une rigueur journalistique à une sensibilité poétique, invitant l’auditoire à s’interroger sur les limites entre vérité, pouvoir et liberté.

Dans son discours de remerciement, Jarecki a déclaré : « Le destin de Julian Assange n’est pas seulement celui d’un homme, mais celui de tous ceux qui croient au droit de savoir et à la protection des lanceurs d’alerte. » Il a décrit le documentaire comme une « réflexion urgente sur le prix de dire la vérité à une époque de désinformation systémique ». Son approche critique, qui décortique les manigances politiques derrière l’affaire Assange, a profondément touché le jury et le public.

Juan Passarelli : la lentille guatémaltèque derrière la vérité

L’apport de Juan Passarelli, coproducteur et directeur de la photographie, est essentiel à l’impact visuel et émotionnel du documentaire. Reconnu pour son engagement envers les droits humains et le journalisme indépendant, Passarelli capte l’angoisse d’Assange durant son confinement à l’ambassade équatorienne et son emprisonnement au Royaume-Uni. Les images de caméras de surveillance, montrant Assange confiné dans un espace restreint sous une surveillance constante, évoquent un sentiment de paranoïa et de claustrophobie qui interpelle l’auditoire.

Passarelli, dont le parcours inclut des projets sur la justice sociale, a affirmé dans une entrevue après la première : « Le documentaire présente du matériel exclusif qui cherche à susciter une réflexion sur l’état actuel du journalisme et de la transparence gouvernementale. » Son travail visuel humanise Assange, montrant à la fois sa fragilité et sa détermination face à un système qui cherchait à l’écraser.

La liberté de presse dans un monde post-vérité

The Six Billion Dollar Man transcende l’histoire d’Assange pour devenir un miroir des défis du journalisme au XXIe siècle. Selon un indice de Reporters sans frontières cité dans le film, la liberté de presse est en déclin à l’échelle mondiale. Le documentaire expose comment des entreprises comme PayPal et Visa ont suspendu les paiements à WikiLeaks, mettant en lumière le pouvoir économique comme outil pour étouffer le journalisme indépendant.

Comme l’a affirmé Jarecki, « la vérité est un bien public, et la protéger est une responsabilité collective ». Dans un monde où la désinformation prospère, ce documentaire se dresse comme un phare de résistance, inspirant les nouvelles générations à défendre le droit de savoir.

L’affaire Assange et le prêt du FMI : un troc géopolitique ?

En avril 2019, l’arrestation de Julian Assange a marqué un tournant dans le débat sur la liberté de presse, lorsque le gouvernement de Lenín Moreno a révoqué l’asile diplomatique accordé au fondateur de WikiLeaks en 2012 par Rafael Correa. Ce dernier a accusé Moreno, dans une entrevue avec Sputnik, d’avoir cédé aux pressions des États-Unis, pointant un prêt de 4,2 milliards de dollars du FMI — partie d’un paquet de 10,2 milliards avec d’autres organismes multilatéraux — annoncé en mars 2019, comme le prix de la livraison d’Assange.

Correa a affirmé que Moreno avait conclu un accord avec Paul Manafort, ancien chef de campagne de Donald Trump, en 2017, pour garantir un soutien financier en échange du cyberactiviste, une thèse amplifiée par le documentaire The Six Billion Dollar Man. Cependant, le gouvernement équatorien a justifié sa décision comme souveraine, invoquant des violations par Assange des conditions d’asile, et aucune preuve officielle ne confirme un troc direct, laissant la controverse dans le domaine de la spéculation.

La coïncidence temporelle entre le prêt du FMI et l’arrestation d’Assange, le 11 avril 2019, a alimenté les soupçons, surtout en raison de l’influence des États-Unis au FMI. La thèse d’un troc géopolitique reflète les tensions entre souveraineté, finances internationales et droits humains, mais la vérité derrière l’affaire Assange demeure un mystère qui défie la transparence mondiale.

Sources :

• Entrevue de Rafael Correa avec Sputnik, 2019
• FMI, annonce du prêt à l’Équateur, 11 mars 2019
• Déclarations officielles du gouvernement équatorien, avril 2019
• Reporters sans frontières, Indice mondial de la liberté de presse 2025
• Déclarations officielles du Festival de Cannes 2025
• Publications de Juan Passarelli et Franklin Samaniego sur X, mai 2025

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Isabel Cortés
Isabel Cortés est journaliste colombienne avec plus de 14 ans d’expérience en journalisme d’investigation et en conseil pour les publications scientifiques. Son parcours s’est concentré sur la défense de la liberté de la presse, des droits humains et la promotion d’un journalisme indépendant et à impact social. Jusqu’en 2023, elle a occupé le poste de Directrice numérique de la Corporation des Journalistes du Valle del Cauca en Colombie, où elle a dirigé des stratégies visant à renforcer la profession journalistique et à promouvoir un environnement informationnel plus juste, libre et sécurisé pour les journalistes et celles et ceux qui défendent les droits humains.