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Isabel Cortés, correspondante
Le 28 juillet 2025, la Colombie a vécu un moment historique sans précédent : l’ancien président Álvaro Uribe Vélez (2002-2010), une figure politique influente et controversée du pays, a été reconnu coupable des crimes de corruption dans une procédure pénale et de fraude procédurale. Le verdict, rendu par la juge Sandra Liliana Heredia après un procès épuisant de 475 jours, ébranle non seulement le paysage politique colombien, mais envoie aussi un message clair : personne, pas même les plus puissants, n’est au-dessus de la loi. Selon les mots du sénateur Iván Cepeda, victime dans cette affaire, « la justice a fait valoir le principe que nul ne peut bafouer impunément l’empire de la loi ».
Un procès de 13 ans
Le procès contre Álvaro Uribe, surnommé le « procès du siècle », a débuté en 2012 après une plainte déposée par l’ancien sénateur Uribe contre Iván Cepeda, qu’il accusait de manipuler des témoins pour le lier au paramilitarisme. Cependant, en 2018, la Cour suprême de justice a rejeté les accusations contre Cepeda et, dans un revirement inattendu, a ouvert une enquête contre Uribe pour corruption et fraude procédurale. La juge Sandra Heredia, affectée à l’affaire en avril 2024, a dirigé un processus comprenant 67 jours d’audiences, 90 témoins et plus de 27 000 pièces à conviction, incluant des écoutes téléphoniques et des enregistrements obtenus à l’aide d’une « montre espion » utilisée par l’ancien paramilitaire Juan Guillermo Monsalve.
Heredia a déterminé qu’Uribe, par l’intermédiaire de son avocat Diego Cadena, a offert des avantages à des témoins, comme Monsalve, pour qu’ils modifient leurs déclarations en faveur de l’ancien président. « Monsieur Álvaro Uribe Vélez était conscient de l’illégalité de ses agissements », a déclaré la juge, soulignant une relation de subordination entre Uribe et Cadena.
Le parquet a requis une peine de 108 mois (9 ans) de prison. Il a aussi exigé une amende de 1 025 salaires minimums (environ 2 570 000 $ CA, selon le salaire minimum colombien de 2025 et le taux de change actuel) pour corruption dans une procédure pénale, ainsi que 600 salaires minimums (environ 1 505 000 $ CA) pour fraude procédurale. La Procuraduría, de son côté, a plaidé pour une assignation à résidence. Le verdict définitif sera annoncé le vendredi 1er août 2025 à 14 h, bien qu’Uribe ait déjà exprimé son intention de faire appel devant le Tribunal supérieur de Bogotá.
La juge Sandra Heredia sous pression

Sandra Liliana Heredia, juge du 44e tribunal pénal du circuit de Bogotá, s’est imposée comme une figure centrale dans ce dossier. Sa gestion de l’affaire, décrite comme une « lutte marathonienne contre la montre » pour éviter la prescription, qui devait expirer le 8 octobre 2025, a été irréprochable. Heredia, qui a hérité du dossier par tirage au sort, a fait face à de multiples tentatives de récusation de la part de la défense d’Uribe, qui remettait en question son impartialité. Toutefois, sa détermination a été soutenue par le Tribunal supérieur, la Cour suprême et la Cour constitutionnelle, démontrant son engagement envers l’indépendance judiciaire.
La sensibilité de l’affaire a conduit Heredia à demander un renforcement de sa sécurité dès février 2025. L’Unité nationale de protection (UNP) a confirmé qu’après une évaluation des risques, son dispositif de protection pourrait être renforcé en raison de la polarisation politique et des menaces implicites dans un pays où les juges sont souvent sous pression. « La justice ne plie pas devant le pouvoir », a déclaré Heredia au début de l’audience, un message qui a résonné comme un défi aux récits de persécution politique promus par les adeptes d’Uribe.
Une victoire pour la démocratie pour la gauche colombienne
La gauche, menée par des figures comme Iván Cepeda et la sénatrice María José Pizarro, a salué le verdict comme une victoire pour la démocratie. « C’est un jour pour reconnaître la justice comme garante de la démocratie », a déclaré Cepeda, dédiant le verdict aux victimes des crimes d’État et des « faux positifs ».
Le président Gustavo Petro s’est également exprimé, défendant l’indépendance judiciaire et condamnant les pressions médiatiques contre Heredia. « Que l’on soit sympathisant ou non de l’ancien président Uribe, il faut respecter la justice. Tout autre comportement relève de la barbarie », a-t-il écrit sur X, soulignant que son gouvernement ne poursuit personne pour des motifs politiques. Ce message vise à contrer les accusations des adeptes d’Uribe, qui dénoncent une supposée « guerre juridique » contre lui.
À l’échelle internationale, cette affaire fait écho comme un exemple de lutte contre l’impunité en Amérique latine, où les puissants ont historiquement été intouchables. La condamnation d’Uribe est comparée aux procédures contre des figures comme Jair Bolsonaro au Brésil, ce qui pourrait compliquer les relations diplomatiques avec des alliés conservateurs aux États-Unis, particulièrement sous l’administration de Donald Trump.
Polarisation et nécessité de protéger la juge Heredia
La polarisation déclenchée par le verdict contre l’ancien président Álvaro Uribe Vélez a atteint un point critique le 28 juillet 2025, lorsque des adeptes du leader du Centre démocratique ont provoqué une altercation avec des opposants à l’extérieur du tribunal à Bogotá. La Police nationale a dû intervenir pour calmer les esprits, mettant en lumière le climat de tension entourant cette affaire. Dans ce contexte, la juge Sandra Liliana Heredia, qui a affronté des pressions et des récusations tout au long des 475 jours du procès, se trouve dans une position vulnérable.
La Corporation des juges et magistrats de Colombie a lancé un appel urgent pour garantir sa sécurité, soulignant que protéger Heredia, c’est protéger l’indépendance judiciaire. Cet appel est renforcé par les déclarations du président Gustavo Petro, qui a affirmé sur X : « Il est du devoir du gouvernement de garantir la protection de la juge et de sa famille, quel que soit le sens de son verdict ».
La condamnation d’Álvaro Uribe, premier ancien président colombien reconnu coupable, marque un tournant dans la justice du pays, mais expose également la juge Sandra Heredia à des risques. Les récits de persécution politique propagés par les adeptes d’Uribe et les commentaires internationaux, comme ceux du secrétaire d’État américain Marco Rubio, accentuent la pression sur elle. L’Unité nationale de protection (UNP) doit agir rapidement pour renforcer son dispositif de sécurité, garantissant qu’Heredia puisse poursuivre son travail sans crainte de représailles.
Un appel à la société pour protéger la justice
En déclarant Uribe coupable en tant qu’instigateur des crimes, la juge Sandra Heredia a non seulement affronté une affaire complexe, mais aussi des attaques, y compris des critiques sexistes, comme elle l’a elle-même souligné. Sa déclaration selon laquelle « la toge n’a pas de genre, mais elle a du caractère » résonne comme un rappel de sa détermination. Face à la polarisation et aux accusations de politisation, la société colombienne et la communauté internationale doivent s’unir pour protéger Heredia, en veillant à ce que sa sécurité personnelle ne soit pas compromise. C’est un moment crucial pour que l’État et la population soutiennent celles et ceux qui, comme elle, défendent l’empire de la loi face au pouvoir.
Note sur le caricaturiste colombien Julio César González Quiceno:
Connu sous le nom de Matador, il est caricaturiste depuis 1999. Ses caricatures politiques ont fait face à de vives disputes judiciaires. Il est l’un des caricaturistes les plus importants de Colombie, proclamé à plusieurs reprises comme le numéro un par des prix nationaux depuis 1999. Il a toujours triomphé devant les tribunaux, défendant la libre expression politique à travers son art, alors que des figures politiques comme l’Uribe Vélez récemment condamné ont tenté de le réduire au silence. Il a subi plusieurs attentats et, même, une condamnation judiciaire a été prononcée contre une personne qui l’a menacé gravement de mort. Il vit sous une menace constante, mais ne se laisse pas abattre. Nous le remercions pour sa générosité dans l’utillisation de son oeuvre et pour la traduction.
Sources :
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Gustavo Petro (@petrogustavo). (28 juillet 2025.) « Le gouvernement doit protéger la juge et sa famille. Les juges ne se laissent pas intimider, ils se protègent ».
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Gustavo Petro (@petrogustavo). (28 juillet 2025.) « Respectez la justice. Ce gouvernement ne poursuit personne pour des motifs politiques ».
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Isabel Zuleta (@isabelzuleta). (13 juillet 2025.) « La justice arrive : je salue le courage de @IvanCepedaCast dans l’affaire Uribe ».
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El Espectador. (28 juillet 2025.)
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Cuestión Pública. (28 juillet 2025.) « Sens du verdict dans le procès contre Álvaro Uribe » [Diffusion en direct]. YouTube.