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Isabel Cortés, correspondante
Alors que le soleil se couche sur les rues dévastées de Gaza, un rapport troublant du Centre palestinien pour les droits humains (CPDH) met en lumière une réalité glaçante. Publié sous le titre «Assassinat de la vérité : Meurtre des journalistes au cœur du génocide à Gaza», ce document de 73 pages relate 22 mois de violence systématique contre les journalistes et les travailleuses et travailleurs des médias dans la bande de Gaza.
Depuis le 7 octobre 2023, les Forces d’occupation israélienne (FOI) mènent une campagne qui a causé la mort de 221 journalistes et blessé 415 autres jusqu’en août 2025. Ce conflit, qui dure depuis plus d’un an et demi, a fait de Gaza l’endroit le plus dangereux au monde pour la presse, un fait qui exige une attention mondiale urgente.
Le rapport ne se limite pas à des chiffres alarmants; il propose également une analyse juridique étayée par des témoignages de témoins et de personnes survivantes, concluant que ces assassinats ne sont pas accidentels, mais constituent un élément clé d’un crime de génocide visant à étouffer la vérité et à démanteler complètement l’infrastructure économique des médias à Gaza, laissant des centaines de familles dans la misère et accélérant le chômage de masse dans un secteur déjà précaire.
Une campagne de violence systématique
Malgré les protections juridiques accordées aux journalistes en tant que personnes civiles non combattantes selon le droit international, ces garanties ont été ignorées. Les attaques récentes d’août 2025, comme celle qui a tué six journalistes près du complexe médical Al-Shifa le 11 août ou les cinq décès survenus au complexe médical Nasser le 25 août, renforcent cette tendance inquiétante.
L’un des témoignages les plus bouleversants du rapport provient de Mustafa Jarrour, reporter et photographe pour Al-Yawm Al-Ikhbari, qui a survécu au bombardement de la tour Babel à Gaza le 10 octobre 2023, où ses collègues Said Al-Tawil, Mohammad Subh Abu Rizq et Hisham Al-Nawajha ont perdu la vie. Voici ses mots :
Ensuite, nous sommes allés à l’hôpital Al-Shifa. Je me suis rendu à la réception pour chercher Said. Ahmad Hijazi, un journaliste indépendant, a tenté de me calmer. À ce moment, j’ai essayé de quitter la zone de réception et j’ai vu Mohammad Subh allongé sur un lit, déjà sans vie, transporté de la réception et de la zone des urgences vers la morgue. J’étais dans un état hystérique, poussant le lit vers la morgue. Après l’avoir placé dans le réfrigérateur, je me suis souvenu de Said et je l’ai cherché. On nous a dit qu’un autre journaliste était dans le réfrigérateur. D’autres collègues sont entrés et ont trouvé le corps de Said. Ce fut un choc immense, d’autant plus qu’ils étaient aussi mes amis, comme des frères pour moi.
Ce récit capture une douleur écrasante; des journalistes déposant les corps de leurs collègues dans des réfrigérateurs à la morgue illustrent comment ces attaques ne se contentent pas de prendre des vies, mais détruisent les liens humains qui soutiennent les communautés journalistiques.
Le cas de Wael Dahdouh, dont le fils et collègue sont également morts en couvrant l’actualité, montre comment cette guerre ne vise pas seulement des individus, mais des familles et des communautés entières.
La violence ne se limite pas aux assassinats. Le rapport recense la détention d’au moins 86 journalistes, dont 16 sont toujours en détention israélienne et quatre ont un sort inconnu, incluant deux disparus dès le premier jour de l’agression. Beaucoup de détenus ont subi des tortures et des traitements inhumains, selon le Comité pour la protection des journalistes (CPJ).
L’effondrement économique des médias à Gaza
L’assassinat de journalistes à Gaza ne réduit pas seulement des voix au silence; il a déclenché l’effondrement économique de l’industrie médiatique locale. Avec environ 1 500 travailleurs et travailleuses des médias avant le conflit (selon le Centre MADA), la perte de plus de 15 % de cette main-d’œuvre, combinée à la destruction de 112 institutions médiatiques, obligeant les journalistes à travailler depuis des tentes improvisées, a paralysé des médias comme Palestine TV et Al Aqsa Media, qui ont réduit leurs activités de façon drastique, laissant des centaines de familles sans revenus au milieu de la famine et de la dévastation.
La destruction d’équipements, la fermeture de studios et la perte de contrats internationaux ont entraîné la disparition de centaines d’emplois indirects, selon les estimations du Syndicat des journalistes palestiniens, contribuant au taux de chômage élevé à Gaza, 70 à 80 %, selon l’Organisation internationale du travail.
Nous sommes face à un génocide économique contre la presse. Sans une presse viable, Gaza perd sa capacité à documenter sa propre histoire, créant un vide informatif dans l’histoire de l’humanité.
Un appel à l’action mondiale
Face à cette crise, le CPDH exhorte la communauté internationale à agir. Il demande de condamner publiquement les attaques, de faire pression sur Israël pour mettre fin aux assassinats, libérer les détenus et révéler le sort des disparus. Il réclame également une protection urgente pour la population civile, y compris un accès immédiat des journalistes étrangers à Gaza, essentiel pour une couverture indépendante; 150 médias de 50 pays, dans une initiative sans précédent début septembre, ont exigé qu’Israël ouvre ses frontières. Cependant, l’absence de conséquences tangibles perpétue l’impunité. La Cour pénale internationale (CPI) doit accélérer ses enquêtes, soutient le rapport, après des années d’attente pour la justice.
D’un point de vue critique, le rapport pourrait être perçu comme biaisé en raison de son accent sur les actions israéliennes, mais sa rigueur méthodologique — basée sur les données du CPDH, du CPJ et des témoignages — en fait un document crédible. L’absence d’enquêtes indépendantes, comme le souligne le CPDH, alimente les débats sur la neutralité internationale. Pour le lectorat au Québec, en Amérique latine ou en Europe, la lutte des journalistes de Palestine reflète les défis auxquels font face les défenseurs de la vérité dans tout conflit.
La vérité ne peut mourir à Gaza sans que le monde élève la voix.
Sources
• Centre palestinien pour les droits humains (2025), Assassinat de la vérité : Meurtre des journalistes au cœur du génocide à Gaza
• Comité pour la protection des journalistes (2024): 2024 est l’année la plus meurtrière pour les journalistes dans l’histoire du CPJ
• Fédération internationale des journalistes (FIP). Annonce sur Rasmi Jihad Salem. Septembre 2025.
• Bureau des médias du gouvernement de Gaza. Mises à jour des victimes. 2025.