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Claire Comeliau, correspondante en stage
Début août 2025, l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) a été la cible d’attaques frontales émanant des autorités, sous la gouvernance de Kaïs Saïed. Mais en face, un bloc dur résiste et descend dans les rues pour défendre ses droits, défiant ainsi un État en dérive autoritaire et une démocratie en érosion, au nom des libertés du peuple.
Attaques contre l’UGTT et mobilisation populaire
Le 7 août, de fervents adeptes du chef de l’État se sont rassemblés devant le siège de l’UGTT à Tunis et ont tenté de pénétrer de force dans ses locaux. Ces milices prorégime réclament la dissolution de la centrale, l’accusant de corruption et de dilapidation de l’argent du peuple, l’assimilant même à une « mafia ». La levée soudaine des barrages de sécurité autour de la place Mohamed Ali a rendu possible cette attaque : une coïncidence peut-être, mais qui soulève de sérieuses interrogations quant à la complicité des autorités.
Après cette tentative d’assaut, Kaïs Saïed a pris la parole pour défendre les contestataires, soutenant leurs revendications et exigeant des comptes à l’UGTT. Cette déclaration s’inscrit dans un climat de criminalisation croissante des mouvements sociaux. La veille, à la suite d’une grève nationale des transports, le président avait publiquement accusé les syndicalistes de « trahison », attisant une campagne d’incitation à la violence contre l’UGTT.
Face à ce déferlement d’attaques, la commission administrative nationale de l’UGTT s’est réunie en urgence pour organiser la riposte. Une grande marche pacifique dans les rues de Tunis fut alors annoncée afin de défendre le droit syndical. Mais aussitôt, un nouveau coup fut initié par le Président avec, à sa demande, la publication d’une circulaire pour supprimer le détachement syndical et mettre fin au prélèvement automatique des cotisations. L’UGTT s’est ainsi retrouvée amputée de ses moyens humains et financiers comme jamais auparavant.
Pourtant, loin d’étouffer la rage et la fièvre populaire, cette provocation incita le peuple à descendre dans la rue le 21 août. « Avec nos âmes et notre sang, nous nous sacrifions pour l’UGTT », scandaient les manifestants. Cette mobilisation a marqué une victoire pour la centrale syndicale, qui a reconquis sa place dans l’espace public. Malgré un climat de peur, de répression politique et un dialogue social en ruine, la population tunisienne s’accroche et se bat pour ses droits.
Concentration du pouvoir et recul des droits syndicaux
Depuis que Kaïs Saïed s’est octroyé les pleins pouvoirs en 2021, c’est le règne de l’arbitraire qui domine en Tunisie. Petit à petit, un régime hyperliberticide s’est installé : démantèlement du pluralisme politique avec emprisonnement des opposants, perte d’indépendance de la justice, censure médiatique, hyperprésidentialisation, limogeage des premiers ministres… Son « coup de force constitutionnel » s’apparente de plus en plus à un coup d’État.
Désormais, Kaïs Saïed s’attaque au syndicalisme, droit fondamental garanti par l’Organisation internationale du travail (OIT) en vertu des conventions 87 (« Liberté syndicale et protection du droit syndical ») et 98 (« Droit d’organisation et de négociation collective »), toutes deux ratifiées par la Tunisie. Ces attaques ne sont pas un évènement isolé : depuis trois ans, la centrale subit un étouffement progressif de ses droits : poursuites judiciaires, suspension de négociations collectives, rupture du dialogue social…
Fondée en 1946, l’UGTT est un acteur historique majeur en Tunisie. Elle a joué un rôle central dans la lutte pour l’indépendance du pays et a été auréolée du prix Nobel de la paix en 2015 pour son rôle dans le processus de transition démocratique post-révolution de 2011. Ces circonstances expliquent la forte mobilisation du peuple tunisien aujourd’hui : face à un gouvernement liberticide qui cherche à étouffer leur voix, il se bat pour préserver les libertés fondamentales. L’UGTT dépasse ainsi la simple défense des conditions de travail : elle incarne la société civile indépendante et la voix démocratique du pays. La réussite de cette mobilisation témoigne d’une vitalité précieuse d’un peuple activiste qui, malgré la peur, continue de résister fermement et fièrement à l’autoritarisme.
L’absence de couverture médiatique révèle la dérive vers une censure et l’emprise du chef de l’État sur la sphère publique : les médias, censés appartenir au peuple, deviennent de facto la marionnette de Saeïd, qui n’hésite pas à les instrumentaliser à son bénéfice, au détriment du peuple tunisien.
Solidarité intersyndicale et internationale
Une grande solidarité internationale s’est mise en place et ne cesse de s’agrandir et nombre de confédérations syndicales dénoncent les attaques et condamnent la campagne d’intimidation menée par Kaïs Saïed.
La Confédération syndicale internationale (CSI) a réagi avec fermeté. Son secrétaire général, Luc Triangle, a déclaré « La CSI est pleinement solidaire de l’UGTT et mobilisera son mouvement international afin de garantir la défense et le respect des libertés syndicales en Tunisie. » La confédération rappelle d’ailleurs au gouvernement tunisien ses obligations internationales en vertu des conventions de l’OIT. Née en 2006, la CSI compte 168 millions de membres répartis dans 155 pays et regroupe 311 confédérations syndicales.
A l’échelle locale, 65 ONG tunisiennes avaient déjà, en 2023, publié un communiqué commun exprimant leur « soutien total » à l’UGTT, considérée par le pouvoir comme le dernier obstacle à sa mainmise. Sur le plan international, Human Right Watch et Amnesty International dénoncent également la répression grandissante en Tunisie et les restrictions des libertés syndicales.
Une lutte qui dépasse la Tunisie
Ces récents évènements révèlent l’étouffement systémique et méthodique de toutes formes de contestation en Tunisie et sa dérive vers un régime autoritaire. Le soulèvement populaire auquel on assiste est admirable et démontre que l’union du peuple reste plus forte que tout. Il est désormais crucial que la solidarité internationale gagne davantage d’espace public et franchisse toutes les frontières. Défendre l’UGTT, c’est défendre la société civile, les droits syndicaux et, au-delà, les libertés démocratiques.