Terres agricoles à Gaza avant le 7 octobre 2023 @Jaber Jehad Badwan CC BY-SA 4.0 via WikiCommons
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Amélie David, correspondante au Moyen-Orient basée à Beyrouth

Un cessez-le-feu vient d’entrer en vigueur à Gaza. Une trêve extrêmement fragile qui permet pour certaines personnes de rentrer chez elles après deux ans de multiples déplacements. Mais l’état des destructions est impressionnant et le génocide et l’écocide laissent des plaies béantes dans le cœur des Gazaouis.

Un cessez-le-feu, plus que fragile à Gaza. Et des personnes qui rentrent dans les ruines de leurs maisons, quand il en reste. Dans des tentes le plus souvent, où il faut se préparer à affronter l’hiver. «Je suis en vie!», lâche, lacunaire, Yahia Khaled Alderawi. De retour dans la ville de Gaza après de nombreux déplacements, le Gazaoui doit maintenant tout reconstruire : sa vie, sa maison, son éducation, son travail… Mais toujours avec un accès à la nourriture et à l’eau limité. Quand nous l’avions interviewé il y a quelques semaines, il confiait : «Si vous mangez une fois par jour, vous êtes riche. Certaines familles n’ont pas mangé depuis des semaines. Il y a des personnes qui n’ont qu’un bout de pain à se partager entre 4 ou 5 personnes par exemple.»

À la fin de l’été, l’IPC (Integrated Food Security Phase Classification) a officiellement déclaré la famine pour un demi-million de personnes dans la bande de Gaza, le reste souffrant de sévère malnutrition. Le rapport indiquait que cette situation était de cause humaine et donc, pouvait être réversible. Avec plus de 65 000 morts, les déplacements massifs de 90 % de la population, l’accès restreint à l’aide humanitaire et aux denrées de base et l’effondrement du système alimentaire constituent les origines de cette famine.

Vue aérienne de la destruction dans la région de Rafat en janvier 2025 @Ashraf Amra, CC BY-SA 3.0 IGO

L’organisation soulignait que 98 % des terres cultivables sont à minima endommagées, quand elles ne sont pas complètement détruites, et que les activités de pêche sont interdites. En mai 2025, la FAO (l’agence pour l’alimentation et l’agriculture des Nations Unies) citait les chiffres du ministère de l’Agriculture de Gaza : au 11 décembre 2024, l’armée israélienne avait tué 200 pêcheurs ou associé.es sur 6 000 personnes impliquées dans ce secteur avant octobre 2023.

Plusieurs agences des Nations-Unies ont documenté un manque d’accès à l’eau qui entraîne d’importantes maladies comme des diarrhées et la réapparition de la polio. L’accès à l’eau pour boire est compliqué, tout comme l’eau destinée à l’agriculture et le plus souvent provenant des eaux usées.

«Une très belle agriculture»

À Gaza, et comme dans d’autres zones de guerre comme dans le sud du Liban, Israël utilise la politique de la terre brûlée. Cette stratégie militaire consiste à détruire systématiquement les infrastructures, les ressources et les moyens de subsistance afin d’empêcher d’y vivre, de s’y réapprovisionner et d’y retourner. Dans la pratique moderne, cela recouvre la destruction délibérée de zones habitées, la création de zones tampons rendues inhabitables, et des restrictions de l’accès à l’aide et aux biens essentiels.

L’organisation israélienne Breaking The Silence a documenté la création et l’extension de cette zone tampon dans la bande de Gaza dans un récent rapport appelé Le Périmètre. Il recueille les témoignages de membres de l’armée israélienne qui ont opéré dans la zone tampon à l’intérieur de la bande de Gaza entre 2023 et 2024. D’après le témoignage d’un sergent-chef qui a opéré dans le nord de Gaza entre novembre et décembre 2023 :

«Le D9 [NDLR : Bulldozer blindé] détruisait surtout des champs, des cultures, des oliviers, des plantations d’aubergines. Un immense engin de chantier venait ensuite et retournait toute la terre, l’aplanissait. C’était un gâchis terrible — une très belle agriculture, de magnifiques aubergines, de superbes choux-fleurs.»

Les auteurs du rapport affirment que plus de 3500 bâtiments ont été détruits par l’armée israélienne, comme des zones industrielles et agricoles qui sont essentielles à la vie dans la bande de Gaza «et vitales pour toute tentative de reconstruction».


«Tout ce que j’avais a été détruit»

L’agriculteur Awni Shamlakh possédait 20 dunums dans un champ dans la région d’Al-Zeitoun où il cultivait une grande variété de légumes, qu’il vendait sur le marché local avant la guerre. Cette activité lui permettait de subvenir aux besoins de sa famille composée de neuf membres. «Tout ce que j’avais a été détruit. Nous avons été déplacés à Deir-El-Balah à la fin d’octobre, sans aucune affaire. Je suis resté sans revenu pendant six mois, jusqu’à ce que je réussisse à louer un bout de terre, où j’ai planté des légumes», explique-t-il. Cultiver cette terre reste important malgré les circonstances pour lui, c’est son lien à la terre et à son identité.

À à Gaza City, Samara Abo Safra tente, elle aussi, de maintenir un semblant d’agriculture. Sur le toit d’un bâtiment dans lequel elle a trouvé refuge avec sa famille élargie, après de nombreux déplacements, elle cultive quelques légumes de saison. «Il n’y a rien pour cultiver la terre : tout est détruit. Mais au moins, j’ai un toit», lance Samar, lors d’un appel WhatsApp. Selon l’agronome, avant la guerre, Gaza produisait 100 % de ses légumes et importait seulement 30 % de ses besoins en fruits.

Samar Abo Safra a été déplacée à plusieurs reprises dans la bande de Gaza. À chaque fois, elle a tenté de conserver ce lien à la terre en cultivant le peu d’espace qu’il restait. Elle a monté le projet Green Camps afin d’enseigner les techniques agricoles aux personnes qui vivaient autour d’elles, principalement les femmes. «Quand je vivais à Rafah, je voulais qu’elles apprennent à planter auprès de leurs tentes et je voulais aussi que les enfants voient comment produire leur propre nourriture», affirme celle qui est aussi ingénieure agricole. L’agricultrice de 29 ans travaillait au ministère de l’Agriculture avant la guerre. Pour elle, la moindre pousse est synonyme d’espoir dans le marasme d’un génocide.



«Nous avons presqu’oublié le goût des légumes»

Vue aérienne de terres agricoles de la bande de Gaza dans les années 30 @Domaine public

Avant 2023, selon une enquête de Forensic Architecture, il y a avait 170 kilomètres carrés de terre agricole à Gaza, soit environ 47 % de toute sa surface. Les champs et vergers servaient de source locale pour la sécurité alimentaire de la population palestinienne assiégée.

Aujourd’hui, seuls quelques légumes peuvent encore être cultivés sur les terres disponibles. «C’est pourquoi il y a une énorme inflation du prix du panier de légumes et bien sûr, il n’y a pas de fruits. Nous, les Gazaouis, nous avons presque oublié le goût des légumes», témoigne Bahaa Zaqout, directeur des relations extérieures et de la collecte de fonds à l’Association pour le développement agricole (PARC), qui vit dans la bande de Gaza.

À Khan Younes, l’éleveuse de vaches et de volailles Fayza Abu Maghsib a dû se reconvertir en pâtissière en raison de la guerre. Mais elle espère reprendre son activité dès que les conditions le permettront. «Israël ne peut briser notre lien à la terre, notre terre est notre source de subsistance et elle nous donne l’espoir de continuer et de résister dans toutes les circonstances,» affirme l’agricultrice.

Si le cessez-le-feu amène un peu d’espoir, tout le système agricole et alimentaire bâti au cours de ces dernières années est aujourd’hui ruiné. Il faudrait des années pour le reconstruire.