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Isabel Cortés, correspondante
Dans les entrailles de Rio de Janeiro, là où les favelas du Complexo da Penha s’accrochent aux collines comme des cicatrices vivantes, l’aube du 28 octobre 2025 a surgi avec un vacarme que personne n’oubliera. Des hélicoptères Black Hawk lacéraient le ciel, larguant des militaires d’élite dans des ruelles si étroites qu’un enfant à vélo y passe à peine. Des drones armés d’explosifs bourdonnaient comme des insectes enragés et le crépitement des rafales automatiques rebondissait contre des façades de béton fissuré.

Ce que le gouverneur Cláudio Castro a baptisé « Containment Operation » (Opération de confinement) est un coup chirurgical contre le Comando Vermelho qui orchestre le flux de cocaïne depuis des labyrinthes urbains. Le tout a dégénéré en carnage qui a laissé 132 corps sans vie, selon la Défense publique de l’État. Quatre militaires ont aussi péri sur place, mais les conséquences dépassent les chiffres : familles brisées dans les feux croisés, exécutions à bout portant dans des recoins improvisés. Le vrai bilan : l’échec d’un État qui, dans un zèle de violence, révèle les failles d’un système où la pauvreté et le racisme transforment des quartiers entiers en champs de bataille.
Ce n’est pas un simple récit de balles et de barricades ; c’est un miroir cruel du Brésil en 2025, une année où la ville se prépare à la COP30 avec des promesses de développement durable mondial, pendant que ses veines les plus vulnérables saignent à cause de l’inégalité.
Le président Luiz Inácio Lula da Silva, depuis Brasília, a lancé un Bureau d’urgence contre le crime organisé, mais les voix de mères endeuillées et d’activistes de terrain se demandent si des rustines institutionnelles suffisent.
Dans un contexte où 25 % des homicides nationaux se concentrent à Rio, ce massacre force à affronter non seulement la violence, mais sa racine : un modèle de sécurité qui privilégie le plomb à l’équité.
Le tourbillon du déploiement a semé le chaos

Avec 2 500 agent.es de la police civile et militaire — sans le soutien du gouvernement brésilien que Rio aurait pu demander —, l’assaut a fait irruption dans les complexes de Penha et Alemão, des labyrinthes qui abritent environ 300 000 personnes, majoritairement Afrodescendantes et Autochtones. La cible principale : Edgar Alves de Andrade, dit « Doca », lieutenant du Comando Vermelho, comptant environ 30 000 membres. Il génère des milliards dans le narcotrafic.
Munis de 51 mandats d’arrestation et d’une année de renseignement, les effectifs ont bloqué les accès avec des autobus incendiés, paralysé l’aéroport Santos Dumont et transformé des écoles en refuges d’urgence. Au crépuscule du 29 octobre, la population du secteur a traîné plus de 60 cadavres jusqu’à la Praça da Penha, exposant des preuves glaçantes : tirs dans la nuque, coups de couteau dans le dos et membres attachés avec des sacs à ordures.
Le gouvernement de l’État a porté le compte à 121, mais la Defensoria l’a corrigé à 132, un écart qui illustre un modèle systémique : les statistiques officielles, manipulées pour coller à des récits de « victoire », cachent l’horreur réelle.
L’échec à capturer Doca — qui a fui par des tunnels souterrains — et l’usage de drones avec grenades n’ont fait qu’attiser le problème. Dans des communautés où 40 % des foyers manquent d’eau potable, selon le rapport ONU-Habitat 2024, ces raids ne règlent rien ; ils creusent l’abîme.
Voix de la marge
Sous le soleil impitoyable du 29 octobre, l’air puait encore la poudre et le sang. « Ils ont égorgé mon fils, lui ont tranché la gorge et ont pendu sa tête à un arbre comme un trophée » a raconté Raquel Tomas à l’AFP, la voix brisée. « Ils ont exécuté mon fils sans droit de défense. Il a été assassiné. » Son récit résonne dans des dizaines de témoignages semblables.
Ces récits heurtent de front le scénario officiel, qui classe les victimes comme « exclusivement des bandits ». Amnistie internationale et l’ONU ont exigé des enquêtes indépendantes, citant des violations aux protocoles du Tribunal suprême fédéral (STF) de 2023, qui imposent la proportionnalité dans les favelas densément peuplées.
Le Bureau d’urgence de Lula, un embryon d’espoir ou un pansement politique ?
La réaction de Lula a été immédiate. « Horrifié » par l’ampleur de la tragédie, selon son ministre de la Justice Ricardo Lewandowski, le président a convoqué une réunion d’urgence à la casa civile le 28 octobre, avec le vice-président Geraldo Alckmin et d’autres membres de son gouvernement. De ce sommet est né le Bureau d’urgence de lutte contre le crime organisé, inspiré de l’opération réussie Carbón Oculto d’août qui a démantelé des réseaux financiers sans pertes civiles.
Dans un message sur le réseau X, Lula a clamé : « Nous ne tolérerons pas que le crime organisé détruise des familles. Il faut un travail coordonné qui attaque les racines sans mettre en danger des personnes innocentes. »
Le Tribunal défie l’impunité, malgré la polarisation
Le Tribunal suprême fédéral (STF) n’a pas attendu Brasília. Le ministre Alexandre de Moraes a convoqué le gouverneur Castro pour le 3 novembre, exigeant des explications sur l’usage excessif de force létale et le respect des normes pour les interventions urbaines. Le ministre est responsable de l’application de l’Allégation de non-respect d’un précepte fondamental des favelas (Arguição de Descumprimento de Preceito Fundamental 635 – ADPF) une action judiciaire au Brésil visant à réduire la létalité policière dans les favelas de Rio de Janeiro,
L’audience inclura des témoignages de victimes collatérales — dont des jeunes mineur.es, selon des ONG —, qui confirment le rejet initial du gouvernement fédéral de la « brutalité » locale. La politique de Lula heurte l’agenda répressif de Castro.
Sources bibliographiques
- Defensoria Pública de Rio de Janeiro, « Rapport préliminaire sur l’Opération Containment au Complexo da Penha » (29 octobre 2025).
- Gouvernement de l’État de Rio de Janeiro, « Bilan officiel de l’Opération Containment : 2 500 agents et saisie d’arsenal » (28 octobre 2025).
- Institut de sécurité publique de Rio de Janeiro (ISP-RJ), « Statistiques de létalité policière lors d’interventions dans les favelas, 2007-2025 » (données mises à jour en octobre 2025).
- Atlas de la violence en 2024, Ipea et Fórum Brasileiro de Segurança Pública (juin 2024).
- Présidence de la République du Brésil, « Communiqué officiel sur la réunion d’urgence à la Casa civile » (28 octobre 2025).
- Ministère de la Justice et de la Sécurité publique, « Création du Bureau d’urgence de lutte contre le crime organisé » (29 octobre 2025).
- Luiz Inácio Lula da Silva, Publication sur X (@LulaOficial, 29 octobre 2025).
- Tribunal suprême fédéral (STF), « Décision du ministre Alexandre de Moraes dans l’ADPF des favelas : convocation du gouverneur Cláudio Castro » (29 octobre 2025).








