Pierre Jasmin, Artistes pour la paix, 23 octobre 2018
L’Arabie saoudite démasquée
On comprend très bien les journalistes d’être vivement choqués par l’assassinat de manière barbare de leur collègue Jamal Khashoggi dans une ambassade (!) en Turquie. Mais on souhaite que l’attention internationale se réserve ne serait-ce qu’un morceau d’indignation pour la sauvage guerre menée par l’Arabie saoudite, bonne alliée du Canada, contre le Yémen. Selon UNICEF qui a besoin de nos dons, deux millions d’enfants y souffrent de malnutrition aiguë, 54% des centres de santé n’y sont plus en état de fonctionner et seize millions de personnes, dont plus de la moitié d’enfants, sont en danger de mort, sans accès à de l’eau potable ni par conséquent à une hygiène minimale de base.
Le professeur en droit de l’Université de Montréal Daniel Turp, ancien député de Mercier (fief d’Amir Khadir et maintenant de Ruba Ghazal de Québec Solidaire, que m’a présentée Manon Massé samedi lors de l’émouvante cérémonie en mémoire de Lise Payette) a motivé ses étudiants à poursuivre le gouvernement du Canada au sujet précis de ses blindés vendus à l’Arabie saoudite au montant de 15 milliards de $. Ces blindés furent négligemment qualifiés de “jeeps” par Justin Trudeau à sa première présence comme premier ministre à l’émission Tout le monde en parle, en réponse à l’animateur Guy A. Lepage qui lui relayait nos préoccupations. Réinvité dimanche dernier, il a dit «ne pas exclure l’annulation de la vente d’armes». Quelle précipitation dans la décision (!!), alors que le même jour, la pourtant conservatrice chancelière Angela Merkel suspendait les exportations d’armes allemandes vers l’Arabie saoudite.
Voici le nerf de la guerre, les armes; chez nous, notre complicité avec les bombardements de l’OTAN en conquête du pétrole pour lequel on achète un pipeline, afin que nos navires et avions de chasse puissent participer aux massacres outre-mer comme en Libye. Les Artistes pour la Paix dénoncent ces dérives dans l’indifférence générale des ministres!
Le ministre canadien des Affaire$ Étrange$ et la terreur saoudienne
« Informés par un article de Carl Meyer (Embassy news 26 février 2014), nous voilà catastrophés par la nouvelle politique d’Affaire$ Étrange$ du Canada, telle que reflétée par les larges sourires des ministres présents à la Conférence d’Ottawa sur la Défense et la Sécurité des 20 et 21 février derniers. Ken Yamashita, président de l’industrie d’armement General Dynamics Land Systems-Canada, s’est réjoui alors d’un contrat d’au moins 10 milliards de dollars pour la livraison de véhicules blindés à l’Arabie Saoudite, évalué avec une satisfaction béate par le ministre du Commerce Ed Fast à 3000 emplois annuels canadiens sur 14 ans. Pourtant, même Jean Charest souleva quelques objections mineures sur la nature de l’usage de ces véhicules militaires blindés, vite balayées du revers de la main par lui-même (flip-flop Charest), par l’ex-colonel Alain Pellerin représentant l’industrie militaire et par les ministres conservateurs présents. Car Human Rights’ Watch craint que de tels véhicules aient pour fonction d’écraser les rébellions au Bahrein et [au Yémen], éventuellement en Arabie saoudite. Rappelons que ce pays est le dernier (no 193 à l’ONU!!!) au monde pour les droits des femmes et parmi les derniers pour les droits des homosexuels (LGBT), ainsi que pour le droit d’exercer une religion autre que wahhabite; enfin, toute opposition à la royauté et aux pouvoirs y est formellement interdite. Bref, [on assiste avec indignation] à un autre attentat conservateur en répression du progrès démocratique. On sait que nos amies les Raging grannies ou mémés déchaînées ont l’habitude de piqueter l’entrée de cette conférence annuelle : voir avant-dernier film de notre regretté ami Magnus Isaacson [à qui on a fait un hommage posthume, en présence de sa veuve Jocelyne Clarke et de son ami Martin Duckworth].
Un article de Derrick O’Keefe dénonçait l’absence de débat sur les agissements du ministre John Baird en Arabie saoudite : to say there’s been a lack of debate is an understatement. One week after the agreement was announced, there has not yet been a single editorial critical of this deal in a major media outlet in Canada. This silence needs to be broken.”
Depuis cet article vieux de quatre ans et demi, les médias devenus propriétés des riches ne dénoncent plus les guerres, sources monstrueuses de profits au Canada et aux États-Unis : comment s’étonner de voir Trump avec ses menaces nucléaires sur le point de remporter ses midterms, selon les prévisions des informés Donald Cuccioletta et Michael Moore?
Le fantôme de Baird …
La formidable Anne-Marie St-Cerny, une des vedettes du récent Salon du Livre à Sherbrooke, explique dans son enquête criminelle intitulée Mégantic[i] quel genre de personnage fut le ministre Baird: “À la tête du ministère des Transports, John Baird a offert un cadeau très précieux aux sociétés ferroviaires. Faisant totalement fi de nombreux rapports dont celui du Conseil canadien de la sécurité pourtant inquiétant sur une série de déraillements majeurs, Baird a en effet confirmé l’autorité totale des sociétés privées en matière de règlementation de la sécurité ferroviaire au Canada, leur déléguant le pouvoir d’écrire leurs propres règles de sécurité et de s’auto-surveiller. En prime, Baird s’est assuré de bander les yeux de Transports Canada, l’a édenté et lui a lié les mains”.
En 2010, il passera au ministère de l’Environnement, peu de temps après avoir fait “entendre cette fameuse réplique: Que la cause [du réchauffement climatique] soit liée à l’activité humaine, ça, vraiment! C’est une surprise pour moi.” Il permettra l’acheminement du pétrole en des conditions d’insécurité totale, comme il avait commencé sa carrière comme ministre en Ontario par une croisade musclée envers l’incarnation du “bois mort” de la société : les assistés sociaux et les handicapés!
« Baird a acquiescé à l’une des requêtes les plus pressantes de l’industrie ferroviaire depuis des années: lever l’obligation d’obtenir l’approbation du Ministre ou du Ministère pour faire circuler des trains pourvus d’un seul membre d’équipage ». Laissé seul pour appliquer les freins du train fou qui allait dévaler la pente le 6 juillet 2013 et causer 47 morts à Mégantic, l’ouvrier Harding est l’objet d’une réelle compassion de la part de l’auteure St-Cerny, comme de la population de Mégantic, satisfaite de l’acquittement de celui désigné bouc émissaire par l’élite criminelle. Sept jours après la tragédie, le successeur conservateur de Baird « Denis Lebel jugera souhaitable de se retirer en douce du ministère des Transports », sans déclencher une Commission royale d’enquête, qui sera aussi refusée par ses successeurs, la conservatrice Lisa Raitt et le libéral Marc Garneau.
Un des rares ministres à avoir tenté de répondre à mes critiques face à la politique du Ministère des Affaires étrangères, Baird a lâchement rejoint le secteur privé en 2015. Devinez où? C’est facile: au C.A. du Canadien Pacifique qui avait payé un demi-million de $ à World Fuel Services Inc le 1er juillet 2013 pour le transport du pétrole qui explosa à Mégantic et au C.A. de la société minière Barrick Gold. Cette dernière est réputée pour son respect de la vie, des droits humains et de la liberté d’expression, comme l’a appris à la dure ÉCOSOCIÉTÉ suite à la publication en 2008 de Noir Canada d’Alain Denault. Combien de temps encore Écosociété, l’Aut’Journal ou les Artistes pour la Paix réussiront-ils à survivre? Un dernier mot : si la photo vous a inspiré comme premier réflexe ah, la burka, shu pas capable, faites vite soigner votre haine racisée.
[i] Mégantic, éditions Écosociété, 2e trimestre 2018. Robin Philpot l’a vanté avec raison dans l’Aut’Journal, comme une lecture incontournable. Je renchéris, après avoir dévoré cet ouvrage bien documenté de 340 pages en deux jours, incapable d’interrompre une telle lecture passionnante…