Guy Marcel Craan, AlterPresse le 14 février 2019
La nouvelle crise, que connaît la société haïtienne, en ce début de février 2019, pourrait faire l’objet d’étude en sciences politiques, en stratégie militaire ou en communication, si on met à côté les stéréotypes habituels, concernant le pays, colportés par les néo-colons et leurs victimes.
De cette analyse, on pourrait tester la robustesse de certaines théories et même découvrir des lois ou des déterminismes.
D’abord, il s’agit d’une vraie crise.
Le conflit oppositions/gouvernement, jusqu’à présent, ne peut pas être résolu par les recettes traditionnelles. Quand les solutions habituelles sont inopérantes, la crise s’installe et tend à s’amplifier.
Cette étude pourrait aider les protagonistes politiques à affiner leurs stratégies et surtout à estomper la perception que le jeu des actrices et acteurs est figé.
C’est le même refrain ou encore un perpétuel recommencement.
Documenter cette tranche de notre histoire pourrait contrebalancer : la grande histoire menteuse est écrite par les vainqueurs et la petite histoire honteuse souvent rendue en film, pièce de théâtre, roman ou autres fictions.
L’opposition, pauvre, nue et fragile, a pu, avec ses faibles moyens (critiques acerbes, promesses de vie meilleure) rassembler ses troupes et réduire le gouvernement à un silence « assourdissant », mais qui dérange, malgré tout.
La communauté internationale campe sur ses fondamentaux, avec le cynisme et l’arrogance habituels, à l’affut des opportunités à saisir, des positions à renforcer. Il faut signaler que cette communauté internationale reflète la position des gouvernements des pays respectifs, qui sont, des fois, tout aussi corrompus et décriés que le nôtre.
Cette fois-ci, il y a eu un couac : la première étape de la procédure a foiré.
La note de presse, en date du 10 février 2019, du Core group, sous l’égide des Nations unies, a coïncidé avec un carnage, provoqué par un de leurs blindés. Malgré une note de sympathie, de la Mission des Nations unies pour l’appui à la justice en Haïti (Minujusth / 4 morts et 9 blessés dans un accident impliquant un véhicule de la mission de l’Onu, le samedi 9 février 2019, vers 8:00 du soir, sur la route du Canapé Vert, à Port-au-Prince), aux familles des victimes et aux personnes blessées, la note de presse du Core group fut reçue comme un chien dans un jeu de quilles.
Cet incident retarda les autres étapes : l’interview du proconsul à un média de grande diffusion, sa visite dans la capitale pour rappeler, surtout aux autres, que le pouvoir s’acquière seulement par les élections, organisées et validées par la communauté internationale.
Comme au temps, où l’on racontait aux esclaves d’accepter leurs conditions, car, aux cieux, les premiers seront les derniers.
Craignant que cette veille recette connaisse le même sort, ils traînent les pieds, le couple Jean Henry Céant / Jovenel Moïse boit la tasse… Les tacs tics de l’opposition tendent vers leur seuil d’efficacité…
Cette crise est aussi révélatrice.
Elle permet au pouvoir d’identifier les « pierristes », ceux qui n’ont pas attendu que le coq eût chanté pour renier Jovenel Moïse.
Le président peut faire une cartographie des 50 nuances d’opportunistes et d’hypocrites de son entourage. Les « teams 4 life » et les bases frustrées sont invisibles.
L’opposition, quant à elle, a pu identifier les braves, les peureux et les stratèges de son camp.
On a constaté la fracture ou l’incohérence imbécile du sénat : 18 sénateurs, divisés en 5 groupes pour demander le départ du président.
Il faudra beaucoup de temps pour faire comprendre, à nos enfants, comment 18 personnes adultes, voulant la même chose, ne puissent pas parler d’une seule voix.
Que dire de la proposition des 62 députés sur le taux de change ?
Cette législature nous avait gâtés, avec tant de mauvaises comédies, que cette nouvelle énormité ne nous a pas étonnés.
Le pouvoir judiciaire et la fédération des barreaux ne voient pas la nécessité de dire le mot du droit dans cette crise. Cependant, les courtiers des juges à la Cour de cassation sont très actifs, donnant, tant au gouvernement qu’à l’opposition, la gage qu’ils ont le contrôle de tel juge. Ils se portent garant que leur poulain prendra la forme qu’on voudra : « Boniface Alexandre ou Anel Joseph », les deux à la fois, à votre guise ou au gré de la conjecture.
La presse, écartelée entre propagandistes obséquieux, militants incultes et professionnels aguerris.
L’université, handicapée par la corruption morale et existentielle, ne peut plus donner de la voix.
Les intellectuels, de service « consultants permanents bénévoles » des talkshow politiques, se sont fait rares.
Les partis politiques, satellites ou particules, attendent pour voler au secours de la victoire.
Les Églises sont hors-jeu, pour avoir trop souvent participé, sournoisement, au partage du gâteau, en sponsorisant un parent, un grand donateur, voire un enfant de l’église.
Bref ! Il serait intéressant d’analyser des interactions oppositions/gouvernement, dialogue/refus du dialogue, « lock »/silence calculé.
Le Docteur Martin Luther King a dit : quand une cause est juste, il ne faut pas attendre une invitation pour donner sa contribution.
Ni du côté de l’opposition, ni de celui du gouvernement, la main-d’œuvre n’est pas nombreuse.
La passiveté calculée de la majorité silencieuse, au 9e jour du « lock », favorise, pour le moment, l’opposition.
La ténacité de l’opposition surprend plus d’un, la résistance du gouvernement intrigue.
Là, il y a des leçons à tirer, par les « PETROCHALLENGERS, AYITI NOU VLE A et autres groupes sociopolitiques, pour les batailles à venir.
La démocratie est une lutte permanente. Il faut se battre pour l’avoir et se battre pour la protéger.
Oops ! j’ai oublié les organisations féministes.