Glauber Sezerino, Louise Cadorel, Autres Brésil, 1er avril 2019
Tout au long de sa campagne électorale, Jair Bolsonaro s’est présenté comme un candidat anti-système, prêt à réformer le pays de façon radicale. Son accession au pouvoir a été marquée par un présidentialisme actif aux allures autoritaires. Ne ménageant presque aucun secteur de la société, la succession de mesures présidentielles, décrets et déclarations qui ont suivi son investiture nous incitent à dresser un premier bilan. Près de 3 mois après son accès au pouvoir, les points saillants de sa politique se dessinent : militarisation, ouverture néolibérale et fermeture du dialogue entre la société civile et le gouvernement.
Sur ce dernier point, les premières semaines de mandat de Jair Bolsonaro ont été marquées par un certain nombre d’attaques en direction des populations historiquement exclues par les pouvoirs publics. La mesure provisoire 870/2019, actée par décret présidentiel, a été un coup magistral. En rendant effective la restructuration ministérielle, plusieurs entités publiques en charge de programmes inclusifs ou redistributifs sont supprimés. Elle attribue également au Secrétariat du Gouvernement le devoir de « superviser, coordonner et accompagner les activités et les actions des organismes internationaux et les ONG sur le territoire national ». Elle n’épargne donc personne : communautés autochtones, noires, activistes féministes, communautés LGBTI… Soit l’ensemble de la société civile !
Plusieurs ministères à vocation sociale et inclusive, tels que ceux de la Culture, de la Ville ou encore de l’Intégration Raciale, ont été supprimés, tandis que d’autres ont été fusionnés. Le transfert de compétences du ministère du Travail au ministère de l’Économie a notamment provoqué quelques remous dans l’opinion publique. La Fédération Nationale des Avocats a ainsi saisi le Tribunal Fédéral Suprême, l’équivalent du Conseil Constitutionnel en France, pour dénoncer le conflit d’intérêt que cette absorption engendre.
Une restructuration de l’État et le retour à un « consensus autoritaire » en recul sur la garantie des droits fondamentaux
Les droits des travailleur.ses ne sont pas les seuls à avoir été mis à mal par la restructuration ministérielle. Les questions de genre et d’identité sexuelle ont été traitées par la simple suppression des institutions représentant leurs intérêts. Le secrétariat des Politiques pour les Femmes a été absorbé par le ministère des Droits de l’Homme, tout comme l’organisme d’État en charge des politiques publiques pour la communauté LGBTQI+. Autre fait marquant, la suppression de plusieurs conseils de politiques publiques, comme le Conseil national de sécurité alimentaire et nutritionnelle, organe qui coordonne l’attribution de l’aide sociale de la Bolsa Familia.
La réponse de la société civile organisée ne s’est pas faite attendre. Réactions, communiqués, plaintes, requêtes auprès d’instances juridiques et lettres ouvertes se sont ainsi multipliés. 50 organisations non gouvernementales brésiliennes ont publié une lettre ouverte pour s’opposer à l’émission du décret. Le point II de l’article 5 de la mesure provisoire 870/2019 place les organisations internationales et les organisations non gouvernementales sous la tutelle du Cabinet de la présidence, avec à sa tête un général de l’armée, Carlos Alberto dos Santos Cruz.
La Coordination nationale de l’articulation des communautés noires rurales quilombolas a dénoncé, dans une lettre ouverte, cette mesure provisoire qui transfère le droit “d’identification, de reconnaissance, de délimitation, de démarcation et de titularisation des terres occupées par les descendants des communautés quilombolas” au ministère de l’Agriculture.
Cette mesure inquiète tout particulièrement les peuples autochtones, eux aussi concernés par ce transfert de compétence administrative, car elle place la démarcation des terres autochtones aux mains de [la ministre de l’agriculture, Tereza Cristina da Costa une représentante direct du lobby de l’agrobusiness. En outre, l’affectation de la Fondation Nationale de l’Indien (FUNAI) [1] au ministère de la Femme, de la Famille et des Droits Humains, aux mains de la pasteur néo-pentecotiste Damares Alvesara a suscité la colère de la Coordination des organisations autochtones de l’Amazonie brésilienne, exprimée dans la lettre ouverte des peuples Aruak Baniwa et Apurinã. Un mois plus tard, un plan d’extermination du leader indien du peuple Tupinamba et de ses proches était dévoilé. Rosivaldo Ferreira da Silva, connu comme cacique Babau, est réputé dans la région pour son activisme et la façon dont il a fait pression auprès des pouvoirs publics pour que des terres soient délimitées et attribuées à son peuple. Lors d’une réunion publique, les représentants du peuple Tupinamba ont fourni des preuves solides montrant que le plan visait à les empêcher de se prononcer contre le processus de démarcation des terres entrepris par le gouvernement.
Des défenseures des droits en danger
Au-delà des attaques institutionnelles et médiatiques, les défenseur·ses des droits et les militant·es des mouvements sociaux au Brésil sont victimes d’une recrudescence des cas de violences meurtrières. Au Para, en deux jours, six travailleurs ruraux ont été tués à Baião, une ville située à 80 km de Tucuruí. Parmi les victimes se trouve Dilma Ferreira Silva, coordinatrice du Mouvement des personnes atteintes par les barrages (MAB), qui se bat depuis 30 ans pour les droits de la population touchée affectée par le barrage de Tucuruí. Elle a été exécutée à son domicile le vendredi 22 mars devant son mari et un ami.
À la mi-janvier, le ministère de l’Environnement suspendait tous les accords et partenariats en place avec les ONG, ainsi qu’avec des instituts de recherche, pour une durée de trois mois reconductible. L’objectif affiché est de contrôler les financements accordés. La préservation des réserves forestières et de leur biodiversité, la gestion de l’environnement et la sécurité sanitaire des aliments dans les communautés autochtones ne sont pas, quant à eux, à l’ordre du jour.
Le 25 janvier dans la ville de Brumadinho, la digue de contention des déchets miniers de l’exploitation de minerais de fer a cédé. Après s’être déversés dans deux bassins hydrographiques entre ces affluents, les fleuves Doce et Paraopeba, des millions de mètres cubes de boue toxique se sont écoulés dans le fleuve de São Francisco. Bilan : 300 victimes décédées, un autre mur de contention des résidus toujours en risque de rupture et l’approvisionnement hydrique des 50 États dépendant du fleuve São Francisco en péril. C’est ce qu’a dénoncé le Mouvement des personnes atteintes par les barrages (MAB) au Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies, en insistant sur l’origine systémique de la rupture du barrage : c’est le modèle de développement extractiviste qui produit et reproduit ces événements. En ce sens, ce n’est pas un événement anecdotique mais un élément récurrent d’un système politique et économique soutenu par des élites au pouvoir. Il ne s’agit donc pas d’une simple « catastrophe environnementale » comme le dit le gouvernement en place, mais d’un crime.
Le gouvernement continue pourtant à faire la sourde oreille. Le 4 mars, le ministre des Mines et de l’Énergie, Bento Albuquerque, annonçait lors de sa visite au Canada que des plans d’ouverture des terres indigène autochtones et de certaines zones frontalières aux activités minières sont envisagés.
Ce tournant néolibéral autoritaire est également marqué par la nomination de Paulo Guedes, ancien « Chicago Boy » [2], au ministère de l’Économie. La Proposition d’amendement constitutionnel (PEC) sur la réforme du système des retraites et de la sécurité sociale a été déposée. Inscrit dans une perspective ultra-libérale, avec l’instauration d’un système de capitalisation, la réduction de la hausse prévue des allocations et l’augmentation de l’âge minimal de départ à la retraite pour les travailleur·ses rurales·aux, les enseignant·es et les policier·es, ce projet de loi promet d’être longuement discuté au Parlement.
Un gouvernement marqué par le conservatisme au-delà de ses frontières
Un plan de politique extérieure commence également à se dessiner, malgré le manque d’enthousiasme manifesté par le Président lors du 49ème Forum économique mondial de Davos, où il était invité à prononcer le discours inaugural. La diplomatie brésilienne assume à l’extérieur les formes de sa politique intérieure : repli sur ses alliés stratégiques et fermeture du dialogue avec toute forme d’opposition. Le caractère martial du gouvernement s’affiche clairement. Il se présente sur la scène internationale comme défenseur des valeurs traditionnelles : famille et religion. Lors du forum de Davos, Jair Bolsonaro avait également annoncé la naissance d’un “Nouveau Brésil” prêt à « mener les réformes que l’on attend (…) ». Ces réformes correspondent à une diminution du secteur public et de la taille de l’État, accompagnée de la stimulation des entrées de capitaux états-uniens [3].
Sur le plan des droits humains, le Brésil s’aligne sur l’axe des nouveaux gouvernements populistes (Rodrigo Duterte aux Philippines, Viktor Orban en Hongrie). Plusieurs décisions confirment ce tournant, comme le retrait du Brésil du Pacte mondial sur les migrations de l’ONU ou encore la reconnaissance de la légitimité du président de l’Assemblée Nationale vénézuélienne Juan Guaido, président autoproclamé.
Bolsonaro a aussi amorcé un rapprochement étroit avec les Etats-Unis de Donald Trump lors d’une visite d’une semaine à Washington. Mais le climatoscepticisme et le mépris pour les droits humains ne sont pas les seuls points de convergence avec son homologue états-unien. La négociation, tournée autour d’accords commerciaux et militaires stratégiques, marque l’allégeance prêtée au voisin du Nord.
Le renforcement du tournant idéologique conservateur et sécuritaire, annoncé lors de l’investiture du Président avec la répétition de son slogan de campagne “le Brésil, au-dessus de tout et Dieu au-dessus de tous” et la déclaration que le drapeau ne sera “jamais rouge”, est aussi au programme. Quelques 320 personnes de la Maison Civile, organe dépendant directement de l’exécutif, ont été licenciées pour être soumises à une évaluation qui déterminera le retour à leur poste. Selon Onyx Lorenzonni, chef de la Maison civile, cette mesure a pour but de “dépétiser” [4] le gouvernement.
Ricardo Velez, ministre de l’Education, a lui aussi annoncé la couleur lors de son discours d’investiture. Il considère nécessaire de combattre “l’idéologie de genre” [5] et le “marxisme culturel” [6], tout comme “l’idéologie globaliste” [7] qui détruit les valeurs du pays. Dans ce sens, un sous-secrétariat des Écoles civico-militaires a également été créé au sein du ministère de l’Education pour approfondir le projet de militarisation de l’Éducation nationale. En énonçant également le besoin de garantir une “gestion plus efficace” de l’université publique, le trio nationalisme, conservatisme et libéralisme est désormais instauré.
Vers une militarisation accrue de la sécurité publique
La nomination de militaires à la tête de 8 ministères (sur 22) au gouvernement, avec l’occupation de 130 postes de la haute fonction publique par des militaires gradés et le placement du général Antônio Hamilton Mourão à la vice-présidence laissait déjà penser à un retour de la dictature de 1964. Il n’a pas fallu attendre longtemps pour retrouver le goût de l’autoritarisme.
Alors que des agents de la Force Nationale sont envoyés à Ceara, État du nord est du Brésil, pour répondre à la demande du gouverneur, apparemment dépassé par la vague de violences commencée dans les centres pénitentiaires de la région, un décret libéralisant la possession d’armes à feu a été signé par le Président. Il suffit désormais de déclarer vivre dans une ville violente ou être un agent de sécurité pour obtenir un permis.
Rio de Janeiro et la déferlante meurtrière de la police
Les mois de janvier et février 2019 ont été particulièrementviolents pour l’Etat de Rio de Janeiro. Selon l’Institut de sécurité publique (ISP), un organisme lié au gouvernement de l’Etat, 160 assassinats « dus à l’intervention d’un agent de l’Etat » ont été recensés au cours du premier mois de cette année, contre 157 en janvier de 2018. Au cours du mois de février, 145 personnes ont étés assassinées, contre 102 décès au cours de la même période de 2018. Cela signifie qu’au cours des deux premiers mois de cette année, l’ISP a enregistré en moyenne 5,1 décès par jour causés par des forces policières.
Cette augmentation des exécutions extra-judiciaires arrive quelques jours après l’investiture de Wilson Witzel (PSC) à la tête de l’Etat de Rio de Janeiro. Ancien juge fédéral, l’ex-fusillé marin Witzel a remporté les élections de 2018 en promettant carte blanche à la police. Proche du lobby parlementaire dit “de la balle” [8], il promeut une politique d’élimination physique des « bandits », préconisant l’utilisation de snipers, judicieusement postés dans la ville, pour neutraliser les membres des bandes liées au trafic de drogues. Au niveau fédéral, le programme de sécurité publique de Witzel est soutenu par le président Jair Bolsonaro, qui a été élu avec la même plateforme sécuritaire.
Dans le même ordre d’idée, Sergio Moro a déposé son projet de Loi anti-crime et anti-corruption au Congrès, contenant un point permettant d’utiliser plus largement l’argument de légitime défense pour les forces de l’ordre. Le juriste à la tête du ministère de la Justice et de la Sécurité Publique, propose, à travers le changement de 14 lois pénales, le renforcement de la pénalisation des crimes et délits avec le durcissement des peines pour les organisations criminelles.
Plusieurs voix s’élevent contre un traitement répressif et criminalisant des insécurités. Un Mouvement Noir, composé d’un ensemble de 39 groupes et mouvements, s’est constitué pour demander à la Commission intéraméricaine des droits de l’Homme (CIDH) de l’Organisation des Etats américains (OEA) de prendre des mesures contre un projet qui aggravera le génocide à l’encontre de la jeunesse noire. En même temps, des organisations de la société civile et des mouvements sociaux lanceront, le 27 mars à la Chambre des députés, la campagne “Loi anti-crime, une fausse solution”, qui affirme que ce projet de loi est anti-constitutionnel et incapable de résoudre la crise de sécurité publique du pays.
Entre temps, des liens étroits ont été découverts entre la famile Bolsonaro et Adriano Magalhães, membre du “Bureau du Crime”, organe des milices suspecté d’avoir joué un rôle dans le meurtre de Marielle Franco, conseillère municipale assassinée l’année dernière. Sa fille et son épouse ont travaillé dans le bureau de Flavio Bolsonaro, fils du président et sénateur pour l’Etat de Rio de Janeiro. L’ex-député avait également remis à Magalhães la plus haute distinction de la ville de Rio, alors que celui-ci faisait déjà l’objet de poursuites judiciaires. En outre, le tireur présumé, Ronnie Lessa, habite dans un complexe immobilier de luxe où réside également le Président. Sa fille aurait eu une liaison avec l’un de ses fils, Renan. Il semblerait que les eaux se troublent également autour de la famille présidentielle.
[1] Organisme gouvernemental brésilien qui élabore et applique les politiques relatives aux peuples autochtones.
[2] Terme utilisé pour nommer les étudiants en économie qui sont allés se former auprès de l’Ecole de Chicago, ancrée dans un courant de pensée économique ultra-libérale. Ils ont ainsi clairement participé aux vagues successives de libéralisation de l’Etat et d’ouverture au marché.
[3] http://www.rfi.fr/emission/20190318-ble-americain-boeuf-bresilien-menu-visite-bolsonaro-washington
https://www.france24.com/fr/20190317-bresil-etats-unis-usa-bolsonaro-trump-cooperation-militaire-armes-defense
[4] L’anti-pétisme, expression de rejet total du Parti des Travailleurs, au pouvoir pendant 14 ans avant la déstitution de Dilma Roussef, a été attisé par différentes forces politiques pendant les élections présidentielles d’octobre 2018 en s’appuyant sur un anti-communisme primaire, voire caricatural. Par ce biais, les forces de gauche sont très fréquemment assimilées à des idéologues communistes.
[5] Il est fait tout spécialement référence ici à un livret d’éducation sexuelle qui était distribué dans les écoles publiques sous le gouvernement de Dilma Roussef, membre du Parti des Travailleurs (PT). Ce livre de sensibilisation, en évoquant les thèmes de l’identité sexuelle, serait, d’après le Président, un “kit gay” et inciterait les enfants à avoir des relations sexuelles homosexuelles. https://www.youtube.com/watch?v=4WKVSbGJ_Ck
[6] Le marxisme culturel est un terme repris par plusieurs personnalités politiques, Jair Bolsonaro y compris, pour dénoncer la supposée propagation des idées marxistes et de gauche dans l’éducation nationale. Les professeurs des universités publiques participeraient à ce travail de propagande.
[7] L’usage de l’expression “idéologie globaliste” résume plutôt bien la posture nationaliste du nouveau Président. Pour la justifier, il utilise l’argument des tentatives d’ingérence de la part d’autres pays, mais aussi d’organisations internationales comme l’ONU.
[8] Jair Bolsonaro a été élu avec le soutien de trois franges du Congrès, nommées BBB : bala, boi, biblia (balle, boeuf, bible) : les représentants de l’industrie de l’armement, les grands propriétaires terriens et les évangélistes.