À quelques jours des élections législatives en Israël, ce 30 mars 2019 s’apparentait à la journée de tous les dangers. Alors que chaque année, les Palestiniens commémorent la manifestation contre l’expropriation de terres palestiniennes par Israël en 1976 — et la mort de six manifestants abattus lors de protestations —, cette journée de mobilisation marquait également le premier anniversaire du début du mouvement de la Marche du retour.
Un an après, le bilan humain de ces mobilisations hebdomadaires dans la seule bande de Gaza est effroyable : plus de 200 tués dont 42 enfants, et plus de 20 000 blessés.
Depuis le début de cette année 2019, tous les voyants sont également au rouge en Cisjordanie : de source palestinienne, 17 personnes ont été abattues par les forces israéliennes en trois mois, dont 10 au cours du seul mois de mars. Plus tôt dans la semaine, des responsables de l’Autorité palestinienne (AP) se montraient très alarmants, avançant qu’une prolongation de ces tensions pourrait à terme conduire à une « nouvelle intifada » contre Israël.
« Une atmosphère de résistance »
Il n’est pas encore midi, ce samedi 30 mars. Plusieurs centaines de personnes se sont rassemblées symboliquement à proximité de la colonie israélienne de Beit El (la maison de Dieu en hébreu), au nord de Ramallah. C’est un lieu stratégique pour l’État d’Israël : créé en 1977 par le mouvement Gush Emunim, à une poignée de kilomètres seulement de Ramallah, la colonie accueille une importante base militaire, en plus de ses 7 000 habitants. Les abords de Beit El sont le théâtre de frictions hebdomadaires, puisque la colonie a en outre la particularité d’être située à quelques centaines de mètres du camp de réfugiés palestiniens de Jalazone.
Parmi les manifestants, Hani Al-Masri, directeur de Masarat (Centre palestinien de recherche en politiques et d’études stratégiques), établit un lien direct entre l’impunité israélienne et les accrochages qui éclatent de manière hebdomadaire : « Les colonies continuent de se développer, des Palestiniens sont tués chaque semaine… De plus, ils essayent de nous obliger à accepter une solution au conflit dans laquelle nous n’aurions aucun droit. Alors, cette manifestation aujourd’hui porte un message, celui de notre mobilisation. »
Mustafa Barghouti, secrétaire général de de Al-Moubadara (Palestinian National Initative) lui, stigmatise clairement le manque de réactions de la communauté internationale : « L’armée israélienne tire et tue en totale impunité, également à cause de l’absence totale de pression de la communauté internationale. Comment peut-on accepter qu’un jeune garçon de 17 ans soit abattu alors qu’il essayait simplement de porter secours à des gens blessés ? » L’ancien ministre, qui porte sur sa veste un badge avec le visage de Razan Al-Najjar, attire l’attention sur « l’atmosphère de résistance » qui plane au-dessus de la Cisjordanie : « Les Palestiniens n’ont pas d’autres alternatives que de lutter pour leurs droits. Particulièrement en ces temps difficiles, puisque nous devons faire face à ce qui est très certainement la pire conspiration afin de liquider nos droits. Et pas seulement par Israël et son gouvernement extrémiste, mais également de manière internationale avec notamment Donald Trump. »
« Demain, il sera certainement trop tard »
Au sein du cortège, les manifestants évoquent l’urgence de la situation. Quelques jours plus tôt, alors que Donald Trump s’apprêtait à signer un décret reconnaissant la souveraineté d’Israël sur le plateau du Golan, Saeb Erekat, le secrétaire général du comité exécutif de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) tirait le signal d’alarme, en avançant que l’annexion pure et simple de la Cisjordanie était « la prochaine étape de la série de décisions prises par l’administration américaine et le gouvernement israélien contre la Palestine ». « Ils veulent vider la Palestine des Palestiniens. Il suffit d’analyser les derniers événements pour comprendre qu’ils sont en train de préparer l’annexion totale de la Cisjordanie. Nous devons nous réagir vite, demain il sera certainement trop tard », clame Hani Al-Masri, au cœur du cortège.
De nombreux jeunes Palestiniens ont rejoint le cortège. Sortis de nulle part, le visage dissimulé sous leurs keffiehs, lance-pierres à la main, ils tentent de viser les soldats israéliens situés à quelques centaines de mètres de là. L’armée israélienne réplique avec des tirs de grenades lacrymogènes et un canon à eau.
Des images récurrentes, particulièrement aux abords de la colonie de Beit El. Mais les blessures infligées aux manifestants ces derniers mois ont laissé des traces dans l’inconscient collectif. Quelques jours auparavant, 8 Palestiniens avaient été blessés par des tirs de balles en caoutchouc à quelques kilomètres de là, lors d’une manifestation de solidarité avec les prisonniers.
« Il n’y a pas de solution politique à nos problèmes »
Alors que la Cisjordanie semblait, malgré la crise économique et politique qui la secoue, dans une situation de confort relatif eu égard à la situation des Gazaouis, le ciel semble en passe de s’assombrir encore. L’incapacité de l’AP à apporter une réponse forte aux menaces qui planent est sur toutes les lèvres. « L’Autorité palestinienne ? Elle est déjà dans la tombe. Il n’y a plus rien à espérer de leur part » , analyse froidement un manifestant.
Pour Hani Al-Masri, les divisons — en particulier avec la bande de Gaza — ajoutées à l’impuissance de la communauté internationale entravent toute possibilité de riposte : « Nos divisions brisent nos efforts, sapent notre énergie. L’unité que nous espérons tant est indispensable, et elle est possible, car l’occupation israélienne vise tous les Palestiniens, du Fatah au Hamas, des modérés aux extrémistes. Quant à l’Autorité palestinienne, ici, ils préfèrent concentrer leurs efforts sur notre survie, en attendant que d’hypothétiques solutions soient trouvées. Nous perdons un temps précieux », poursuit-il.
Un constat partagé par Mustafa Barghouti : « Les Israéliens sont en train de faire de la Cisjordanie un ensemble de prisons, où nous serions enfermés. S’ils tuent définitivement la solution à deux États, alors nous nous battrons pour la solution à un État. Mais pas un État d’apartheid, comme ils veulent construire, et nous imposer. Un État démocratique basé sur l’égalité des droits pour tous ».
La jeunesse, elle, semble ne plus croire à une éventuelle solution politique. En fin de manifestation, Sarah et Rayya, deux jeunes Palestiniennes, sont catégoriques : « Il n’y a pas de solution politique à nos problèmes. Nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes, et c’est aux jeunes de se battre aujourd’hui. Il y a des checkpoints partout, des soldats qui nous tuent, une colonisation qui ne s’arrête pas. C’est un constat que nous tirons : nous n’avons rien à attendre, en tant que jeunes, de la politique. Nous avons vu dans quelle situation elle nous a menés. »
C’est dans ce climat pour le moins pesant que tous et toutes observeront avec attention le déroulement des élections législatives prévues en Israël le 9 avril prochain. Avec le spectre d’un plébiscite pour une droite et une extrême droite toujours plus offensive envers les Palestiniens.