Basta, 3 juin 2019
À peine investi, le premier ministtre désigné par Bolsonaro, Onyx Lorenzoni ,a indiqué vouloir un « nettoyage » idéologique des administrations publiques. Objectif : en chasser tous les fonctionnaires suspecté·es d’être trop proche de la gauche. Ce « nettoyage » ne s’applique manifestement pas aux politicien·nes de droite impliqué·es dans des affaires de corruption, alors même que c’est en surfant sur la vague de scandales de corruption qui sont apparus au grand jour à partir de 2014 que Bolsonaro est arrivé au pouvoir. Onyx Lorenzoni est lui-même accusé d’avoir bénéficié à deux reprises de financements illégaux de ses campagnes électorales, de la part de la multinationale agroalimentaire JBS, l’une des entreprises les plus mises en cause par les scandales.
Le reste du nouveau gouvernement brésilien est à l’avenant. À l’Agriculture, Bolsonaro a choisi Tereza Cristina, fervente partisane des intérêts de l’agrobusiness et défenseuse de l’usage des pesticides. Elle était la tête de file du groupe des « ruralistes » – les représentant·es des gros propriétaires terriens – au Parlement brésilien, groupe qui avait soutenu la candidature de Bolsonaro dès le premier tour des élections présidentielles. Aux Droits humains et à la Famille, le président a nommé une pasteure évangélique particulièrement conservatrice, Damares Alves. Voilà pour les seules femmes du cabinet. Sergio Moro, le juge qui a mis l’ancien président Lula en prison, y est devenu ministre de la Justice. Et c’est un néolibéral convaincu qui a eu l’Économie, Paulo Guedes. Il est cofondateur d’une banque d’affaires, BTG Pactual, d’un think tank économique, l’institut Millenium, et a étudié aux côtés des « Chicago Boys » de l’université de Chicago, dont le département d’économie a formé ceux qui ont mené la politique ultra-libérale de Pinochet pendant la dictature chilienne. Paulo Guedes a même travaillé un temps à l’université de Santiago à leurs côtés au début des années 1980. Aux Affaires étrangères, Bolsonaro a placé un diplomate, Ernesto Araujo, admirateur de Donald Trump et qui dénonce régulièrement un supposé marxisme culturel. Il est aussi climatosceptique au point d’écrire sur son blog que le changement climatique est un « dogme » qui viserait notamment à « augmenter le pouvoir de la Chine ».
A l’Éducation, Bolsonaro avait d’abord désigné Ricardo Velez, un professeur conservateur, disciple de l’idéologue émigré aux États-Unis Olavo de Carvalho. Ricardo Velez a déclaré vouloir combattre « l’idéologie de genre » et, lui aussi, le « marxisme culturel ». Il a créé au sein de son ministère un sous-secrétariat aux écoles militaires, avant d’être limogé, et remplacé par un autre professeur tout aussi conservateur, Abraham Weintraub. Le président d’extrême droite a aussi supprimé les ministères à vocation sociale, ceux du Travail, de la Culture, de la Ville. Le secrétariat des Politiques pour les femmes et l’organisme d’État en charge des politiques publiques pour la communauté LGBT+ ont été absorbés par le ministère des Droits humains, celui dirigé par la pasteur évangéliste ultra-conservatrice. Voilà qui ne présage rien de bon pour les combats féministes et LGBT+, puisque la frange des évangélistes conservateurs a adopté comme principaux chevaux de bataille la lutte contre l’accès à l’avortement, contre l’égalité pour les couples homosexuels, voire pour la pénalisation de l’homosexualité pour les plus extrêmes. Le gouvernement Bolsonaro est aussi celui qui abrite le plus de militaires depuis la fin de la dictature (qui a duré de 1964 à 1985) : huit, dont le général Antônio Hamilton Mourão à la vice-présidence.
Un président qui veut commémorer le coup d’État de 1964
Bolsonaro n’a jamais caché sa nostalgie de la dictature militaire brésilienne. En avril 2016, lors du vote à la Chambre des députés qui a lancé le processus de destitution de Dilma Rousseff (l’ancienne présidente, issue du Parti des travailleurs, présidente de 2010 à 2016), l’homme avait rendu hommage au colonel Ustra, un tortionnaire de la dictature. Une fois élu président, il a appelé les forces armées du pays à commémorer le coup d’État militaire du 31 mars 1964. Ce qui fait aussi craindre un vaste processus révisionniste dans l’enseignement de cette période au sein des écoles et universités brésiliennes.
Pendant leurs premiers mois au pouvoir, Bolsonaro et son cabinet s’en sont pris aux populations autochtones, donnant la compétence de la démarcation de leurs terres au ministère de l’Agriculture, qui défend les intérêts de l’agrobusiness. Le gouvernement a par ailleurs ouvert grand la voie à l’usage massif des pesticides, approuvant en trois mois d’exercice la mise sur le marché de plus de 100 nouveaux produits. Et dès janvier, le nouveau président a libéralisé le port d’armes, par décret. C’était l’une de ses principales promesses de campagne. Désormais, tout Brésilien âgé d’au moins 25 ans et au casier judiciaire vierge peut acheter jusqu’à quatre armes à feu. Alors même que le pays connaît déjà l’un des taux d’homicides les plus élevés au monde et qu’il est l’un des endroits où défenseur·es des droits humains et militant·es écologistes sont le plus assassiné·es.
À venir, une réforme des retraites et une loi pour légitimer la violence policière
Sur le volet social, la réforme des retraites annoncée par Bolsonaro (déjà initiée sous son prédécesseur Michel Temer) veut instaurer un système par capitalisation et augmenter l’âge minimum de départ. Le ministre de la Justice Sergio Moro a de son côté déposé un projet de loi anti-crime qui doit entre autres permettre aux forces de l’ordre d’utiliser plus largement l’argument de la légitime défense en cas d’homicide de leur part. Les défenseur·es des droits humains craignent l’instauration d’un « permis de tuer » des forces de l’ordre, en particulier envers les populations les plus pauvres et les plus discriminées, noires et des favelas. Début avril encore, dans un quartier pauvre de Rio, des militaires en patrouille ont tiré « par erreur » plus de 80 balles sur le véhicule d’un musicien de 51 ans et de sa famille, qui allaient fêter la naissance d’un enfant. L’homme est mort, ainsi qu’un passant. Ce genre de violence policière est déjà courante à Rio. Elle pourrait le devenir encore plus avec le projet du juge et ministre Moro.
Des liens entre Bolsonaro et les milices de Rio
Durant ces derniers mois, des liens étroits ont été découverts entre la famille Bolsonaro, en particulier l’un de ses fils, élu depuis des années, et un milicien de Rio, Adriano Magalhães, membre du “Bureau du Crime”. C’est l’organe suspecté d’avoir joué un rôle dans le meurtre de Marielle Franco, conseillère municipale du parti de gauche PSOL assassinée en mars 2018. Jean Wyllys, député fédéral issu du même parti et également ouvertement homosexuel, a, de son côté, dû renoncer à son mandat et quitter le Brésil début 2019, suite aux menaces de mort constantes dont il faisait l’objet. C’est l’un des premiers exilés politiques du régime de Bolsonaro. Il s’est réfugié en Europe.
Un espace politique ouvert à l’extrême droite avec la destitution de Dilma Roussef
Cette présidence Bolsonaro qui remet les militaires au pouvoir et revient sur les avancées sociales mises en œuvre pendant les présidences de Lula (2002-2010) et de Dilma Roussef (2010-2014) semble faire régresser le Brésil de plus de 30 ans en arrière. Mais le phénomène Bolsonaro ne vient pas de nulle part. Au-delà du seul personnage, cela fait plusieurs années qu’une nouvelle extrême droite s’est implantée au Brésil, dans la brèche ouverte par les manifestations anti-PT de 2015 et de 2016. Les mouvements Vem Pra Rua et du Movimento Brasil Livre (MBL, Mouvement Brésil Libre) qui s’étaient créés officiellement contre la corruption des parlementaires sont vite devenus des plateformes de cette nouvelle droite brésilienne ultra-conservatrice. Ces deux organisations ont été les fers de lance des manifestations anti-PT qui demandaient la destitution de la présidente Dilma Rousseff, poussée définitivement vers la sortie en août 2016. Dans leurs rassemblements, la présence de militants « pro-armée » de SOS Forças Armadas (« SOS Forces armées ») était déjà tout à fait tolérée.
L’influence des courants évangélistes ne date pas non plus du gouvernement actuel. Cela fait des années que les églises évangélistes pentecôtistes prennent de plus en plus assise dans la société brésilienne, à l’image de ce qui se passe dans d’autres pays d’Amérique latine (Colombie, Pérou, Costa Rica) et d’une partie de l’Afrique. Elles se sont devenues incontournables dans biens des quartiers et des territoires parmi les plus pauvres du pays. Près de 29 % de la population brésilienne se déclarent aujourd’hui évangéliste contre 9 % en 1991. Dans le même temps les catholiques sont passés de 83% à 50% (selon les chiffres de l’institut de sondages Datafolha et de l’Institut brésilien des statistiques). Cette progression dans la population a évidemment aussi un écho en politique. Lors des élections présidentielles de 2014, la candidate Marina Silva, qui avait obtenu 21 % des voix au premier tour, s’était affichée comme membre pratiquante de l’Assemblée de Dieu, une Eglise évangélique caractérisée par son conservatisme social. Eduardo Cunha est un des autres représentants de cette branche de l’évangélisme politique. Cet homme de droite a présidé la Chambre des députés en 2015 et 2016. C’est lui qui a lancé la procédure de destitution de Dilma Roussef avant d’être emprisonné pour corruption. Aux côtés de Michel Temer, qui avait pris la place de Dilma Roussef en tant que président intérimaire en 2016 avant de se retrouver lui aussi arrêté pour corruption en mars 2019, Cunha fait partie de ceux qui ont ouvert la voie à l’arrivée de Bolsonaro au pouvoir. Les évangélistes ont aussi leur « front » au Parlement brésilien. Ils y forment un rassemblement d’élu·es de différents partis mais uni·es par leur appartenance religieuse. À la sortie des élections législatives d’octobre 2018, ce « front évangéliste » ne comptait pas moins de 90 député·es et sénateur·rices, sur 594 parlementaires (Source : Congresso em foco)
Ce front évangéliste soutient l’actuel président. Dès sa campagne, Bolsonaro avait déjà reçu l’appui officiel du puissant groupe médiatique évangéliste Record, créé et dirigé par le fondateur de l’Église universelle du royaume de Dieu, Edir Macedo. Le président brésilien assoie désormais son pouvoir sur les trois piliers de la droite la plus conservatrice du pays, ceux qu’on appelle la balle, la bible et le bœuf au Congrès brésilien : les représentants des militaires et du lobby des armes, le pouvoir religieux évangéliste ultra-conservateur et les grands propriétaires terriens et l’agrobusiness.