Dominique Caouette
Alors que le tournant du XXIe siècle semblait promettre des jours sereins en Asie du Sud-Est avec différentes avancées démocratiques et une croissance économique des plus enviables, force est de constater que nous sommes face aujourd’hui à une panoplie de régimes politiques marqués par différentes expressions d’autoritarisme. Que l’on pense à la présidence de Rodrigo Duterte aux Philippines, au régime militaire en Thaïlande, au rétrécissement marqué de l’espace démocratique au Cambodge, à la répression de la minorité Rohingyas en Birmanie de la part du gouvernement mené par Aung San Suu Kyi, prix Nobel de la paix en 1991, ou encore les mobilisations antichinoises et chrétiennes en Indonésie ayant menées à la destitution et l’emprisonnement éventuel du maire de la mégapole Jakarta, il est difficile d’éviter de s’interroger sur les causes de cette régression autoritaire. Comment expliquer ces ressacs autoritaires ? Sont-ils circonstanciels ou manifestent-ils une tendance lourde ? Comment réconcilier le fait que la croissance économique se poursuive et qu’une classe moyenne se consolide et l’avènement de régimes politiques aux contours de plus en plus autoritaires ? Bref, entrons-nous dans une nouvelle ère politique dans la région, qui pourrait être qualifiée de post-démocratique ?
C’est ce puzzle qui sera ici analysé. Tout d’abord à travers un bref survol de la région et des caractéristiques particulières de plusieurs des régimes politiques hybrides que l’on voit aujourd’hui se mettre en place dans la région. Puis, nous tenterons de saisir quels sont les éléments communs et partagés par ces régimes avant d’explorer les possibles implications analytiques du phénomène, en particulier qu’est-ce que cela nous indique face aux études de l’Asie du Sud-Est et aux transitions démocratiques
Région récente et plurielle
L’Asie du Sud-Est, région formée par les onze États situés entre la Chine et l’Inde[1] constitue véritablement un carrefour, un espace de rencontre de cultures, de commerce, et de religion (De Koninck, 2005, 5). Les trajectoires politiques des onze États de la région ont été marquées par des expériences communes : impacts de la colonisation et de la décolonisation (sauf pour la Thaïlande qui n’a pas été formellement colonisée), défis du développement, géopolitique de la Guerre froide, et mise en place d’une organisation régionale commune, l’Association des États de l’Asie du Sud-Est (ANASE, mieux connu sous son acronyme en anglais, ASEAN)[2].
En même temps, ces États ont vécu des expériences politiques des plus distinctes allant de guerres révolutionnaires armées (Indonésie et Philippines) et socialistes (Laos, Cambodge et Vietnam) aux indépendances négociées avec la puissance coloniale (Malaisie, Singapour, Birmanie, Brunei). De plus, tout au long de la Guerre froide, la région a été au cœur de conflits idéologiques et d’affrontements Est-Ouest et plus tard entre la Chine et l’Union soviétique, et a connu une guerre « chaude ». Ce n’est qu’à partir de la dernière décennie du 20e siècle, en particulier après la crise asiatique de 1997 que l’on peut voir converger les modèles de développement économique, essentiellement axés sur les exportations et la libéralisation des marchés financiers avec en tête de liste, les ‘Tigres’ asiatiques (Malaisie, Thaïlande, Indonésie, et Philippines) qui rejoignent Singapour déjà engagé depuis les années 1970 (et considéré comme un des dragons avec la Corée du Sud, Taiwan et Hong Kong). Ces économies en émergence sont suivies de près aujourd’hui par le Vietnam et le Cambodge. En fait, les taux de croissance économiques de la plupart des États de la région font l’envie du reste du monde, non seulement des pays dits du Sud, mais aussi du Nord (voir Tableau 1).
Tableau 1 : Profil économique sommaire des pays de l’Asie du Sud-Est
Pays | Population (millions) 2016 | PIB (millions US $) 2016 | PIB (per capita -US $) 2016 | Croissance annuelle % 2015 | Croissance annuelle % 2016 |
Birmanie(Myanmar) | 52,91 | 67 430 | 1 275 | 7.30 | 6.5 |
Brunei | 0,42 | 11 400 | 26 939 | -0.57 | -2.47 |
Cambodge | 15,25 | 20 017 | 1 269 | 7.04 | 6.88 |
Indonésie | 258,71 | 932 259 | 3 570 | 4.88 | 5.02 |
Laos | 6,59 | 15 903 | 2 253 | 7,27 | 7,02 |
Malaisie | 31,66 | 296 359 | 9 503 | 4,97 | 4.24 |
Philippines | 103,24 | 304 905 0 | 2 951 | 6,07 | 6,92 |
Singapour | 5,61 | 296 966 | 52 960 | 1,93 | 2.00 |
Thaïlande | 67,46 | 406 840 | 5 908 | 2.94 | 3.23 |
Timor-Leste | 1,21 | 1 442 | 1 161 (2015) | 4,3 | n.d |
Vietnam | 92,70 | 202 616 | 2 185 | 6,68 | 6,21 |
Canada | 35, 85 | 1 529 760 | 42 158 | .94 | 1.47 |
Sources : Banque mondiale (https://data.worldbank.org/indicator); Banque asiatique de développement (https://www.adb.org/publications/basic-statistics-2016) – Note PIB par habitant (USD courants)
Démocratisation et semi-autoritarisme :
Au niveau politique, si l’on fait exception des régimes socialistes à parti unique (Vietnam et Laos) ou de la monarchie absolue du Brunéi, plusieurs États de la région ont expérimenté différents processus de démocratisation à partir de la deuxième moitié des années 1980. Avec le soulèvement populaire (désigné comme le People’s Power) en 1986 aux Philippines qui permet avec l’appui des Américains de chasser du pouvoir le dictateur Ferdinand Marcos (et sa colorée épouse Imelda) et le retour à un gouvernement élu. Dans les années 1990 et 2000, on voit tomber la dictature de la famille de Sukarno en Indonésie (1998), un retour à des régimes civils en Thaïlande (1992), et plus récemment le départ de la junte militaire en Birmanie avec la tenue d’élections en 2010, puis en 2012 et 2015.
Par contre, ce sont différents régimes semi-démocratiques (Case 1996),[3] tels ceux présents en Malaisie et Singapour qui semblent démontré la plus grande résilience et ce, malgré certains efforts et tentatives de démocratisation de la part de partis d’opposition ou d’organisation de la société civile. Ces régimes organisent régulièrement des élections et différents partis politiques sont invités à y participer, mais c’est toujours le parti au pouvoir qui remporte l’élection (Anderson 1996). C’est le cas de l’UMNO (United Malays National Organizations) à la tête de la Barisan Nasional (alliance nationale qui comprend aussi le Malaysian Chinese Association –MCA et le Malaysian Indian Congress – MIC). À Singapour, c’est le PAP (People’s Action Party), fondé par Lee Kuan Yew en 1954 qui gouverne la Cité-État depuis 1959.
Succès économiques, essor d’une classe moyenne et revers démocratiques
L’énigme qui se pose lorsqu’on regarde la région, c’est qu’alors que l’on imaginait le développement économique et l’essor d’une classe moyenne allaient assurer la consolidation démocratique, il semble que ce soit le contraire qui se produise actuellement. D’une part, dans les pays (Philippines, Thaïlande, Indonésie, Cambodge et Birmanie) où différentes avancées démocratiques ont été réalisées dans les années 1980 et 1990, on assiste actuellement à un rétrécissement de l’espace démocratique. Et d’autre part, les régimes semi-démocratiques déjà en place (Singapour et Malaisie) ne semblent pas menacés ou enclins à des concessions démocratiques.
Aux Philippines, on assiste à la montée d’une forme de populisme autoritaire incarnée par l’excentrique président Rodrigo Duterte qui a lancé une campagne massive contre les trafiquants de drogue qui a résulté jusqu’à maintenant à la mort de plus de 10 000 habitants, en général des quartiers pauvres de Manille et des grandes villes du pays. Ces victimes sont soupçonnées d’être de petits trafiquants de drogue. De plus, ce dernier a déclaré la loi martiale sur l’ensemble de l’île de Mindanao, deuxième île en importante du pays à la suite de la prise et de l’occupation d’une ville du centre de l’île par une milice armée se revendiquant de l’État islamique. Malgré ses frasques autoritaires et misogynes, il bénéficie de l’appui d’une grande partie des membres du Congrès avec ce qu’il qualifie de super-majorité et des classes moyennes (y compris l’importante diaspora philippine). Les rares voix dissidentes sont rapidement mises sur la sellette par une équipe efficace et virulente de ‘trolls’ sur les médias sociaux.
En Thaïlande, depuis le coup d’État militaire de 2006 contre le président Thaksin Shinawatra, réélu en 2005 avec la plus forte majorité de l’histoire, les militaires sont intervenus directement et indirectement à plusieurs reprises : la dernière fois en 2014 à travers la Cour constitutionnelle pour déposer du pouvoir la sœur de Thaksin (Yingluck) élue en 2011. Le pouvoir de l’armée en Thaïlande a significativement augmenté avec l’adoption en 2017 d’une nouvelle constitution (la 20e depuis 1932) qui limite l’étendue des pouvoirs du prochain gouvernement civil avec des élections prévues pour la fin de 2018. De plus, aussi avec la mort du Roi Rama X et l’ascension au pouvoir de son fils, beaucoup moins populaire que son père, l’armée semble être en mesure de renforcer son contrôle des institutions politiques. Enfin, comme jamais auparavant les accusations de lèse-majesté ont été portées contre les dissidents, en particulier les intellectuels et professeurs d’universités jugés trop critiques ou menaçants, sans qu’il n’y ait eu de grandes manifestations populaires et rassemblement d’opposition.
Au Cambodge, au début septembre 2017, le gouvernement de Hun Sen a ordonné l’arrestation de son principal opposant, Kem Sokha, à la tête du Cambodia National Rescue Party (CNRP), accusé de trahison pour avoir affirmé en 2013 qu’il avait alors reçu de l’aide financière et organisationnelle de la part de fondations américaines pour l’avancement de la démocratie. Également en septembre, le plus important quotidien indépendant doit fermer ses portes à la suite de la réception d’une imposante facture de 6,3$ millions pour de supposés arriérés fiscaux. Après avoir gouverné conjointement avec le prince Norodom Ranariddh, président du parti monarchique, FUNCINPEC (Front uni national pour un Cambodge indépendant, neutre, pacifique et coopératif), Hu Sen dirige le pays depuis 1998 et ce, de manière de plus en plus autoritaire – entre autres en ayant resserré le contrôle sur les organisations de la société civile et les opposants politiques.
En Indonésie, la transition démocratique s’est mise e à partir de 1998 avec le départ de la famille Suharto qui était au pouvoir depuis 1966. Si des élections présidentielles, législatives et régionales ont été organisées depuis, l’espace démocratique semble aujourd’hui mis à mal par la montée de mouvements populistes musulmans, souvent homophobes, antichinois et anti-chrétiens. En avril 2017, le maire par intérim de Jakarta, capitale et mégapole, un indonésien d’origine chinoise et chrétien a été défait aux élections de la ville, alors qu’il partait favori après avoir remporté le premier tour en février. Non seulement perd-il au second tour, mais il est également arrêté et emprisonné étant accusé d’avoir blasphémé le Coran. Dès la fin 2016, une série de mobilisations racistes (anti-chinoises) et anti-chrétiennes avaient été organisées par le groupe musulman orthodoxe « Islamic Defenders Front » (FPI), proche d’anciens militaires de l’époque de Suharto. Les récents évènements font craindre de nouvelles polarisations sociales et un retour éventuel de figures politiques associés aux années autoritaires du régime Suharto (1966-1998).
Le quatrième cas de figure est complexe et en pleine évolution, il s’agit de la Birmanie (ou Myanmar). Longtemps gouverné par une junte militaire, mise en place suite au coup d’État du Général Ne Win en 1962, la Birmanie a suscité beaucoup d’espoir depuis l’annonce d’élections libres en 2010 par le général Thein Sein. Cette première élection a marqué l’amorce d’une transition électorale qui a menée en novembre 2015 à la victoire aux élections législatives de la Ligue nationale pour la démocratie (LND), parti co-organisé et mené par la dissidente politique, Aung San Suu Kyi, opposante de longue date à la dictature militaire. Cependant, la première année et demie au pouvoir assombrit quelque peu cet enthousiasme alors que son gouvernement semble incapable ou peu enclin à protéger la minorité mulsumane Rohingyas de l’État d’Arakan, victime de massacres et d’attaques organisées par des moines bouddhistes radicaux souvent avec l’appui tacite de l’armée. Ce qui inquiète le plus à ce moment-ci, c’est le refus d’Aung San de condamner directement les exactions exercés contre cette minorité. Au moment d’écrire ces lignes, plus de 330 000 Rohingyas ont déjà fui vers le Bangladesh et Aung San a annoncé qu’elle n’assisterait pas à l’Assemblée annuelle de l’ONU alors que plusieurs membres de l’Assemblée souhaitent voir une résolution qui condamne l’inaction de son gouvernement.
Troisième vague de démocratisation et ressac autoritaire
Popularisée par le controversé politologue américain, Samuel Huntington aujourd’hui décédé, l’idée d’une troisième vague démocratique aurait aidé à comprendre les libéralisations politiques et transitions démocratiques de la région. Cette métaphore inspirée d’une série de processus de transition démocratique initiée avec la fin des régimes autoritaires en Espagne, au Portugal et en Grèce, à partir de la deuxième moitié des années 1970, suivie des transitions des régimes bureaucratico-autoritaires de l’Amérique du Sud (entre autres, le Brésil, Argentine et Chili) et des dictatures et régimes militaires en Amérique centrale (Nicaragua, El Salvador et Guatemala) dans les années 1980, et puis certains pays de l’Asie du Sud-Est (Philippines, Thaïlande, Indonésie) et d’Afrique subsaharienne. Certains avancent même que les révoltes du printemps arabe s’inscriraient dans cette vague démocratique.
Bien qu’il s’agisse d’une métaphore inspirante, soit celle d’un effet d’entraînement et de mimétisme démocratique, force est de constater à la lumière des cas discutés précédemment que nous serions plutôt en face d’un ressac autoritaire. En Asie du Sud-Est, celui-ci se manifesterait par la résilience d’une variété de régimes semi-démocratiques des types plus ‘classiques’ (Singapour et Malaisie) théorisés et expliqués depuis les années 1990 (Case 1996) à des régimes plus hybrides, tels qu’on les observe aujourd’hui. Ceux-ci allant du populisme autoritaire des Philippines depuis l’élection de Duterte en 2016, au régime militaire d’exception (Thaïlande) à celui répressif du Cambodge et aujourd’hui la Birmanie. Entre ce cœur de régimes semi-autoritaires de différents acabits, on retrouverait du côté du pôle autoritaire, les régimes de facto à parti unique, Vietnam, Laos et Brunei et de l’autre côté, le petit État, indépendant seulement depuis 2002, le Timor Leste qui a tenu avec succès en 2017, ses élections présidentielles (mars) et législatives (juillet), les premières depuis la fin des opérations de maintien de la paix des Nations unies en 2012.
Comme il a été mentionné plutôt, ce texte se veut exploratoire et cherche à illustrer les défis de l’analyse politique lorsque de nouveaux phénomènes semblent émerger. C’est souvent dans l’analyse « en temps réel » lorsque des dissonances cognitives sont présentes que les risque de se tromper sont les plus grands. Peut-on parler d’une certaine forme de convergence entre ces différents régimes? Jusqu’à un certain point, il est possible d’identifier des éléments communs : 1) l’ensemble des États ont des taux de croissance économique soutenus depuis plus d’une dizaine d’années ; 2) le modèle de croissance économique est fondé sur la promotion des exportations et l’ouverture des marchés nationaux aux investissements étrangers ; 3) des classes moyennes sont en émergence ; 4) la plupart de ses régimes organisent des élections nationales et locales de manière régulière ; 5) les régimes contrôlent différentes formes de liberté d’expression (journalistes, intellectuels, ONG , etc.) ; 6) la Chine constitue maintenant le premier partenaire commercial et une source importance d’assistance internationale, notamment pour la construction d’infrastructures ; et 7) dans plusieurs cas, un groupe spécifique de personnes est visé et source de violence politique : les Rohingyas musulmans en Birmanie, les chrétiens chinois et les groupes LGBT en Indonésie, les petits trafiquants de drogue aux Philippines ; les militants environnementalistes, journalistes et parti d’opposition au Cambodge, et les intellectuels et professeurs d’université en Thaïlande.
Plusieurs des caractéristiques communes ont été discutées précédemment, il est ici utile de s’attarder sur l’effet de la montée de la Chine. Déjà premier partenaire économique de la région en 2011, la Chine est également impliquée de manière intensive à l’intérieur des différentes organisations et regroupements régionaux (Caouette et Côté, 2011) Même si la Chine est de plus en plus agressive quant à ses revendications territoriales dans la mer méridionale de Chine ce qui crée des antagonistes avec plusieurs États de la région, il n’en reste pas moins qu’elle reste une alliée importante et un partenaire commercial et financier central, en plus de mettre en place des programmes d’assistance généreux, en particulier des infrastructures. Ce niveau d’appui de la part du géant chinois, lui-même un État autoritaire à parti unique et qui officiellement n’intervient pas au niveau des choix de politiques domestiques pourrait en partie expliquer pourquoi certains États sont prêts à prendre le risque de mettre en place des politiques autoritaires qui vont à l’encontre du libéralisme politique occidental. Ainsi, la Chine réussirait peu à peu développer un pouvoir d’influence dans la région en tolérant ou appuyant des régimes qui pourraient être ostracisés par l’Ouest.
Comment expliquer et théoriser ce ressac autoritaire ?
Un des grands défis liés à la compréhension des processus actuels dans la région est qu’une grande partie de la littérature produite dans les dernières décennies du 20e siècle était essentiellement axée sur la manière d’expliquer les transitions démocratiques et éventuellement la consolidation démocratique. Que ce soit, les approches procédurales axées sur les transactions et tractations entre les élites ou encore le type de régime électoral mis en place, le mode de transition ou même les approches structurelles, entre autres celles sur les préconditions à la démocratisation, la modernisation ou les classes sociales aucune ne semble bien expliquer ce ressac autoritaire (pour un survol succinct, Bannegas 1993),. Il devient alors heuristique d’assumer qu’il n’y a rien de téléologique dans les transitions démocratiques (Levisky and Lucan, 2010), que les retours à l’arrière sont possibles, que l’émergence de classes moyennes n’est pas nécessairement signe de poussée démocratique, et que l’organisation régulière d’élections qui tout en étant une des conditions nécessaires à la mise en place de processus démocratiques ne constitue pas une condition suffisante (voir Hicken 2008). Enfin, avec la fin de la Guerre froide, des nouvelles formes d’autoritarisme peuvent adopter différentes configurations dont la tenue régulière d’élection et très bien s’accommoder d’une économie libéralisée axée sur les exportations. Dans bien des cas, les gouvernants ne remettent pas en question les grands conglomérats et familles de la grande bourgeoisie, préférant des alliances et des partenariats, tout en garantissant l’accès aux marchés de consommation de masse pour une partie des classes moyennes émergentes, Celles-ci semblent disposées à tolérer des régimes ‘forts’ en place en autant que les revenus générés entre autres, dans les services (centre d’appel, industries d’assemblage, services financiers, travail migratoire et aujourd’hui tourisme) soient assurés. Et même e les régimes à parti unique, ‘socialistes’ de noms ne semblent plus tant éloigner des régimes semi-autoritaires en termes de politiques économiques et commerciales.
Il est difficile à ce moment-ci de prédire s’il s’agit de tendances lourdes qui pourraient se consolider au cours des années à venir avec la stabilisation de régimes hybrides (semi-autoritaires élus). Aujourd’hui, il serait hasardeux de se prononcer car il n’existe pas de véritable ‘distanciation’ encore possible avec ce phénomène, de là, la pertinence toute singulière de participer à un ouvrage qui propose des réflexions sur un mode interrogatif.
Sources :
Anderson, Benedict, 1996, “Elections and Participation in Three Southeast Asian Countries”», The Politics of Elections in Southeast Asia. (sous la dir.), Robert H. Taylor. Cambridge : Cambridge University Press: 12-33 :
Banegas, Richard, 1993, « Les transitions démocratiques : mobilisations collectives et fluidité politique », Cultures & Conflits [En ligne], 12 | hiver 1993, mis en ligne le 14 mars 2006, consulté le 30 septembre 2016. URL : http://conflits.revues.org/443 ; DOI : 10.4000/conflits.
Caouette, Dominique et Denis, Denis, « Ripe For A New Asian Multilateralism? ASEAN and Contemporary Regional Dynamics » European Journal of East Asian Studies, 11 (1) septembre 2011: 5-36.
Case, William F, 1996, « Can the ‘Halfway House’ Stand ? Semidemocracy and Elite Theory in Three Southeast Asian Countrie”, Comparative Politics, 28, 4 (juillet): 437-464
De Koninck, Rodolphe, 2005, L’Asie du Sud-Est, 2e édition revue et corrigée, Paris : Armand Colin.
Hicken, Allan, 2008, « Developing Democracies in Southeast Asia : Theorizing the Role of Parties and Elections » Southeast Asia in Political Science : Theory, Region and Qualitative Analysis, (sous la dir.), Erik Martinez Kuhonta, Dan Slater et Tuong Vu. Stanford : Stanford University Press : 80-101
Levitsky, Steven and Lucan A. Way (2010), Competitive Authoritarianism Hybrid Regimes after the Cold War, Cambridge: Cambridge University Press.
[1] L’appellation Asie du Sud-Est dans sa forme actuelle est souvent associée à la Deuxième Guerre mondiale lorsque les forces alliées ont organisé durant la Conférence anglo-américaine de Québec en 1943, le commandement unifié des armées pour renverser l’expansion impériale japonaise qui occupait alors une grande partie de la région. Par contre, cette expression existait déjà bien avant, voir De Koninck (2005 : 5). Aujourd’hui l’Asie du Sud-Est comprend onze États : Birmanie, Cambodge, Laos, Vietnam, Malaysia, Thaïlande, Singapour, Indonésie, Brunei, Timor Leste, et les Philippines.
[2] Mise en place en 1967, l’ASEAN regroupait initialement cinq États anti-communistes (la Thaïlande, la Malaisie, l’Indonésie, Singapour et les Philippines) avant de s’élargir graduellement à l’ensemble des États. Timor Leste a actuellement le statut d’observateur mais devrait bientôt devenir membre à part entière.
[3] William Case précise qu’il s’agit de cas de ‘half-way houses’ dans le sens ou ces régimes possèdent à la fois des caractéristiques autoritaires et démocratiques. Au moment d’écrire son article, il existe alors des régimes démocratiques instables et des régimes autoritaires stables, alors qu’aujourd’hui il semble que les régimes convergent de plus en plus vers des différentes formes de semi-autoritarismes (ou hybrides), malgré la tenue régulière d’élections nationales.