MICHEL SEYMOUR, La conversation, 22 février 2020
Ce qui se passe en territoire Wet’suwet’en, en Colombie-Britannique, est très grave.
Nous sommes témoins d’un coup de force. Les promoteurs du projet de Coastal GasLink Pipeline Ltd soutiennent qu’ils ont conclu des ententes avec les 20 conseils de bande élus des Premières Nations riveraines de l’oléoduc projeté de 670 kilomètres. Mais les chefs héréditaires de la nation Wet’suwet’en affirment être les propriétaires d’une grande partie du territoire, qu’ils n’ont jamais cédé à la Couronne par traité.
L’entreprise, qui opère depuis 65 ans au Canada, aux États-Unis et au Mexique, a fait une demande d’injonction, qui lui a été accordée.
Puis le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, a affirmé que l’on devait respecter la règle de droit. Mais comme l’écrit Pam Palmater, citoyenne mi’kmaq, membre de la Première nation d’Eel River Bar, au nord du Nouveau-Brunswick, avocate, professeure associée et titulaire de la chaire de gouvernance autochtone à l’université Ryerson : « Il s’agit du droit de ceux qui font les règles et non de la règle de droit ».
La référence de Trudeau à la « règle de droit » va à l’encontre de l’arrêt Delgamuukw de la Cour suprême (1997) qui reconnaît l’autorité des chefs héréditaires sur leurs territoires.
Les cinq chefs héréditaires concernés sont opposés au projet du gazoduc Coastal GasLink.
Voici une déclaration éclairante du militant Will Offley, membre du Vancouver EcoSocialist Group, tiré de la page Facebook de la journaliste et militante féministe Judy Rebick :
«On a beaucoup parlé des 20 accords de coopération signés par les conseils de bande le long du tracé du gazoduc. Cependant, les faits laissent voir que plusieurs ont signé en désespoir de cause, en raison de leur pauvreté et de la réticence des gouvernements fédéral et provinciaux à leur fournir ne serait-ce que de l’eau potable. Rien n’indique que les membres des bandes aient discuté de ces accords ou les aient ratifiés (ils sont protégés par des ententes de confidentialité). Il est important de savoir que les conseils de bande n’ont d’autorité légale que sur les petits territoires de leurs réserves respectives».
Par exemple, explique Offley, la réserve de Hagwilget occupe une superficie de 1,6 km2, celle de Moricetown, 14 km2, celle de Nee-Tahi-Buhn, 3,2 km2, et celle de Skintyee, 4 km2. Mais la superficie du reste des terres Wet’suwet’en, qui sont en cause dans cette affaire et qui sont sous la juridiction des chefs héréditaires, représente 58 000 km2. «
La Cour suprême du Canada, poursuit Will Offley, a statué dans l’affaire Delgamuuwk que certaines parties du territoire non cédé de Wet’suwet’en relèvent des chefs héréditaires. Si les Wut’suwet’en ont un droit légal et moral établi de gouverner leurs propres territoires, le gouvernement provincial, la GRC et même les tribunaux ont tendance à ignorer ce fait qui les dérange. Une fois de plus, des terres autochtones non cédées sont annexées par la force et sous la menace des armes. »
Repenser notre relation à la terre
En ce qui concerne la question de fond, nous devons nous référer à la sagesse ancestrale des peuples autochtones qui veut que les peuples appartiennent à leur territoire. Ce fait ne doit pas être confondu avec le droit à la propriété. Les territoires ne sont pas des biens qui peuvent être possédés par des particuliers. L’intégrité des peuples est liée à l’intégrité territoriale. Le droit collectif à un territoire et à ses ressources est l’équivalent du droit individuel à la protection de l’intégrité physique.
On ne peut pas toujours imposer en toute impunité la primauté de l’économie sur les droits des peuples. Les scientifiques nous disent que nous avons sept ans pour renverser la vapeur sur le plan climatique.
Pour commencer, nous devrions à tout le moins cesser d’augmenter la production de pétrole et de gaz. Le Canada veut tripler la production de pétrole des sables bitumineux d’ici 2025 et augmenter la production de gaz de schiste pour l’exportation, ce qui va totalement à l’encontre du consensus scientifique mondial. Les peuples autochtones de la Colombie-Britannique, du Dakota du Nord, du centre des États-Unis et de l’Amazonie se retrouvent en première ligne pour nous rappeler qu’il nous faut repenser notre relation à la terre.
Pas une réconciliation, mais une recolonisation
Au 19e siècle, on a affamé les peuples autochtones du centre du Canada en tuant les troupeaux de bisons dont ils se nourrissaient afin de leur retirer leurs droits et de bâtir le chemin de fer transcanadien. Aujourd’hui, la pauvreté des peuples autochtones et le manque d’accès à l’eau potable ouvrent la voie à la signature d’accords secrets lucratifs pour la construction d’oléoducs et de gazoducs.
L’histoire coloniale se répète.
Nous demander de condamner le blocus ferroviaire fait partie du coup de force. Affirmer qu’il faut respecter la « règle de droit » est un mensonge qui contribue au coup de force. L’occupation des lieux par la GRC y contribue également tout comme les efforts pour convaincre les chefs de bandes à l’aide d’accords secrets. Ce sont là les manœuvres d’un régime colonial.
Ce à quoi nous assistons aujourd’hui n’est pas une « réconciliation », mais plutôt une « recolonisation ».
Une gouvernance paternaliste
Après la Loi sur les Indiens avec son système de réserves de type apartheid, après le génocide culturel avec son système de pensionnats, nous imposons des gazoducs et des oléoducs sans le consentement des chefs héréditaires. Nous sommes témoins de l’incapacité du Canada à donner suite à la décision Delganuukw et à la Déclaration sur les droits des peuples autochtones de 2007.
L’avocate Mi’kmaq Pam Palmater déclare à juste titre :
«Le Canada ne mérite pas de siège au Conseil de sécurité des Nations unies. Je considère que le Canada, État auteur d’un génocide contre les peuples autochtones ayant ciblé les femmes et les filles en particulier, et qui a permis à sa police nationale – la GRC – d’agir en dehors des lois Wet’suwet’en, des lois provinciales, canadiennes et internationales en déplaçant de force des peuples autochtones de leurs terres, ne promeut pas la paix et la sécurité.»
Molly Wickham, porte-parole du clan Gidimt’en de la nation Wet’suwet’en, affirme que la résistance indigène est bien plus qu’une simple question de gazoduc. « C’est un enjeu plus large qui concerne les droits et le titre autochtones ainsi que la souveraineté de notre nation. Nous avons un système héréditaire qui est en place, qui n’a jamais été éliminé. »
John Ivison, du National Post, un quotidien de droite, écrit : « La crise actuelle du gazoduc Coastal GasLink – qui traverse les terres traditionnelles de la Première nation Wet’suwet’en de Colombie-Britannique et qui est soutenu par les chefs de bande élus, mais rejeté par les chefs héréditaires – permet de voir que le projet de sortir les Premières Nations de la gouvernance paternaliste de la Loi sur les Indiens est une nécessité absolue. »
Ainsi, au lieu de condamner le blocus du chemin de fer, je vous suggère peut-être de vous joindre aux 5000 professeurs et chercheurs qui soutiennent le peuple Wet’suwet’en.