Cécile Manchette, Révolutions permanente, 26 février 2020
Le 8 et 9 mars prochain s’annoncent, pour la 4ème année consécutive, des journées de mobilisations historiques dans plusieurs pays pour la Journée internationale de lutte pour les droits des femmes. Au Mexique, un appel à la grève nationale le lendemain du 8 mars a été lancé par un collectif féministe avec le slogan « El nueve ninguna se mueve » (le neuf personne ne bouge !). L’appel a depuis été repris à une très large échelle, et ce jusqu’au gouvernement et aux principaux partis politiques du régime.
« Il y a un énorme éléphant, habillé de violet, que pendant longtemps personne n’a voulu voir » peut-on lire dans un article du journal El Pais]. Cet « éléphant habillé de violet » n’est autre que la moitié de la population mexicaine, les femmes mexicaines, qui dénoncent depuis des années les violences, très souvent meurtrières, qui les touchent. Ce sont officiellement 10 femmes qui sont assassinées chaque jour – beaucoup plus selon des associations féministes –et les récents féminicides comme celui d’Ingrid Escamilla, d’une extrême violence, ont provoqué une nouvelle fois une colère immense et un profond sentiment d’injustice. En août dernier, des milliers de femmes avaient envahi les rues pour manifester contre les viols commis par la police, elles scandaient alors « ils ne nous protègent pas, ils nous violent ! »
Pour le 9 mars un appel à la grève, à ce que les femmes arrêtent de faire tourner le monde, circule, dans la continuité des appels à la grève féministe le 8 mars, depuis 2017. « Aucune femme dans les rues, aucune femmes au travail, aucune femme dans les université ou les écoles… » peut-on lire sur les visuels de la campagne pour le 9 mars avec comme mot d’ordre principal #UnDiaSinNostras (une journée sans nous) afin de visibiliser le rôle des femmes dans la société.
La mobilisation contre les violences faites aux femmes qui secoue l’Amérique Latine depuis 2015 va au-delà de la question des féminicides et exprime la colère qui découle de la situation économique des femmes, de la précarité grandissante, et plus largement du rejet des gouvernements successifs.
Face à la profondeur de la mobilisation des femmes contre les violences qui perdure et à l’appel, cette année, à cette grève nationale, les réponses politiques sont diverses.
Du côté des partis politiques conservateurs, le PAN (le parti d’action national) a choisi d’instrumentaliser cette date en y appelant et en reprenant les mots d’ordre de la mobilisation pour essayer de se présenter comme le véritable opposant politique au gouvernement et Président actuels.
Le gouvernement, en réponse, inquiet de voir ses opposants politiques tirer profit de la situation et voulant contenir la marée féministe, soutient le mouvement tout en essayant de gommer ses aspects les plus contestataires. Ainsi, les responsables politiques mexicains, du ¨Président en passant par la ministre de l’intérieur ou encore des membres du Congrès ont exprimé leur soutien à la grève nationale. La présidente du Sénat Mexicain Monica Fernandez a affirmé que l’institution serait solidaire de cette initiative. La ministre de l’intérieur Olga Cordero a annoncé sur son compte Twitter qu’elle appuyait la manifestation : « En tant que femme et en mon nom personnel, je me joins à la Grève nationale ». Et le président a de son côté commenté l’appel en déclarant « Que les femmes manifestent, elles ont toutes ce droit, elles sont libres. Notre gouvernement garantit le droit d’être en désaccord » et en assurant que les femmes choisissant de faire grève ne subiront « pas de représailles ». La position est délicate à tenir pour un gouvernement qui se dit « progressiste » mais n’a toujours pas accordé le droit à l’avortement.
Ce qui se joue dans le pays à la veille du 8 mars est une opération politique pour tenter de récupérer, détourner, les revendications des femmes au service des intérêts électoralistes de ceux-là mêmes qui sont responsables de la crise actuelle du pays et ne promettent qu’un avenir sombre à la majorité de la population. Ceux-là mêmes, que ce soit le PAN, le PRI (parti révolutionnaire institutionnel) ou le PRD (parti de la révolution démocratique), qui sont à l’origine des politiques néolibérales, de la militarisation du pays – bases matérielles au développement des violences faites aux femmes-, ou encore de la criminalisation de l’avortement, en ce qui concerne le PAN et le PRI.
Certaines associations féministes réformistes contribuent à accompagner la contention du mouvement déclarant comme, Arussi Nuna, la représentante du collectif Brujas Del Mal qui a lancé l’appel à la grève, que la mobilisation du 9 ne visait aucune institution ni aucune personne en particulier, refusant de s’affronter aux principaux responsables des attaques contre les femmes. « Il ne s’agit pas de Lopez Obrador, ni du (parti conservateur) PAN ni du (centriste) PRI », a-t-elle déclaré dans une émission de radio.
Si le mouvement des femmes a montré sa force, l’enjeu est de savoir comment combattre et empêcher la déviation du mouvement par ceux qui servent les intérêts des grandes entreprises et du régime, sans jamais dénoncer le caractère de classe de l’Etat.
Les camarades de Pan Y Rosas, collectif frère de Du Pain et Des Roses au Mexique, luttent dans le sens de faire de la journée du 9 mars une journée de grève combative et effective dans les lieux de travail et d’étude en s’appuyant sur les expériences d’affrontements par le blocage et la grève aux politiques gouvernementales ces dernières années que ce soit dans les universités, les maquiladoras ou dans l’éducation. Par ailleurs, elles dénoncent les politiques néfastes pour les classes populaires et les femmes des différents partis politiques étatiques en appelant ainsi à développer le mouvement en toute indépendance de ces partis, du gouvernement et des institutions. C’est dans ce sens que les camarades du MTS (Mouvement des travailleurs socialistes) et de Pan Y Rosas, dans la perspective de la construction de la journée de grève nationale du 9 mars au Mexique, écrivent :
« Avec les militantes de Pan y Rosas, nous pensons que la promotion d’une véritable grève combative, indépendante des institutions et des partis de l’État, ainsi que du gouvernement, doit se fonder, en premier lieu, sur la paralysie de la production promue par les grands syndicats et les centrales syndicales du pays. Une véritable grève nationale doit compter sur la force de la classe ouvrière, avec plus d’un million d’enseignants du SNTE, avec les travailleurs du téléphone de toute la république (STRM), avec tous les travailleurs de l’éducation, comme les syndicats de l’UNAM, de l’UAM, de Chapingo, etc, tous les syndicats à majorité féminine de la classe ouvrière, dont les dirigeants – ainsi que ceux de toutes les centrales syndicales du pays – doivent appeler à la grève, en mettant tous leurs efforts dans la préparation de cette journée. Seule une grève combative, indépendante du gouvernement et des partis du Congrès, organisée à partir de la base et imposée aux dirigeants politiques, peut démontrer que nous sommes prêts à tout pour obtenir notre droit à l’avortement, des conditions de travail dignes, le respect de la vie et de la nature, et qu’il n’y ait pas un féminicide de plus. C’est ce dégoût face à des conditions de vie inhumaines, le dégoût que nous devrions ressentir de la part de ceux qui parlent de notre misère mais ne l’ont jamais vécue, qui peut faire de ces journées de mobilisation des 8 et 9 mars un événement historique. »