Islamohobie: un long soupir

Dalila Awada 

Une substance se répand et s’insinue dans les fissures.  Son odeur est tantôt incommodante, tantôt infecte. Le nez s’habitue. La charpente en est toute bousillée, mais, résigné·es, nous cherchons de moins en moins à y remédier.

C’est ainsi que l’islamophobie a imprégné le tissu social québécois sous l’effet d’une érosion alimentée d’un gouvernement à l’autre, comme une course à relais délétère. Au plus creux de la pandémie liée à la COVID-19, le phénomène semblait en dormance, puis à la première occasion, le voilà qui charge.

Par les appels du pied et les amalgames dans lesquels excelle notre premier ministre. Par la loi 21, maintenant bien effective et contre laquelle les mobilisations ont décliné. Par les tirs croisés de la classe politico-médiatique ciblant les acteurs et actrices publics qui dérogent à l’injonction de complaisance. Par le scandale que suscite une femme portant le voile sur une affiche à l’hôtel de ville. Par les tergiversations du gouvernement devant une motion soutenant un cessez-le-feu à Gaza et le rejet d’une autre demandant la cessation de vente d’armes à Israël — l’identité majoritairement musulmane des victimes entravant sans aucun doute l’empathie. Dans l’ensemble, le discours ambiant à l’égard des musulman·es demeure empreint de raccourcis et de méfiance et les incidents islamophobes au quotidien n’ont jamais cessé, loin de là. 

La lutte au racisme antimusulman n’évolue pas dans des conditions propices à l’amélioration. La difficulté pour les personnes racisées de dénoncer le racisme sans déclencher de hauts cris en est un obstacle persistant. C’est pourtant le racisme lui-même qui rend la tâche si ardue. Le serpent se mord la queue, encore et encore.

Après des années à s’investir toutes entières pour que résonne un autre discours que celui du rejet, plusieurs personnes sont aujourd’hui essoufflées. Il y avait ce besoin impérieux d’appartenir à cette société, d’y être bien et d’y mener une vie épanouie. Ce que l’on palpe désormais, au sein de différents milieux et générations, c’est une profonde lassitude. Un soupir. Un roulement d’yeux. Un haussement d’épaules. Non pas comme une minimisation des problèmes, plutôt comme l’expression d’un espoir éteint. 

Et l’abdication, lorsqu’elle traduit le désamour ou le désintérêt, est un échec monumental pour une société. Alors que monter aux barricades pour la défendre est signe que l’espoir du mieux à venir subsiste. La volonté d’en découdre peut représenter un geste ouvert, une main tendue malgré tout. 

C’est ainsi qu’en nous confrontant les un·es aux autres, lors de prises de parole et d’interpellations diverses, même s’il y a indignation, tristesse et colère, nous sommes encore là à faire société. 

Le chapitre actuel ne sent pas bon, non. Des jeunes se détournent et peinent à revendiquer leur part québécoise tandis que des plus vieux s’épuisent de mêmes rengaines. Parmi les femmes qui ont fait les frais de la loi 21, plusieurs se sont résignées à quitter la province. Il y a toujours bien des limites à quémander le respect. Des relents de moisi émanent de l’entre-soi d’individus prétendant défendre le Québec à coup de politiques et de discours régressifs. Il faudra pourtant se pincer le nez et persister à réparer.

Dalila Awada est sociologue engagée et travailleuse dans le milieu communautaire.