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Amélie David, correspondante à Beyrouth
Plus de 300 personnes ont été tuées au Liban-Sud depuis l’entrée officielle d’un soi-disant cessez-le-feu, le 27 novembre 2024, selon un décompte de L’Orient-le-Jour. Dès la fin du mois de septembre, la population à Aitaroun a mené leurs récoltes d’olives face à l’adversité du changement climatique et surtout, les menaces et bombardements de l’armée israélienne.

Dans la cour de sa maison partiellement reconstruite, Kamal Ismaïl Abbas, ancien enseignant à la retraite, prend une gorgée de café en souriant. Il a passé sa vie dans ce village. Son existence a été rythmée par les guerres successives, les évacuations, les retours et les reconstructions. En 2023, la guerre déclenchée en octobre a frappé au plus près. «Toute la zone derrière la maison était plantée d’oliviers. Tout a disparu…», témoigne-t-il, en jetant un regard vers la terre marron qui orne maintenant le devant de la maison familiale.
De ses quelque 110 arbres, la plupart ont été arrachés ou emportés par des bulldozers. Le peu qui a survécu se trouve dans un champ près de la frontière. Un no man’s land où l’accès est strictement réglementé. «On avait cinq jours pour récolter, de 7 h à 18 h. C’est la Force intérimaire des Nations unies au Liban — FINUL et l’armée libanaise qui donnent les autorisations, et eux les transmettent aux forces armées israéliennes», explique Kamal. Beaucoup d’agriculteurs n’ont pas pu tout ramasser. Lui non plus. Résultat : une saison «catastrophique».

«Avant je faisais 70 bidons d’huile, maintenant à peine deux»
Quelques centaines de mètres plus loin, sur une parcelle exposée aux collines tenues par l’armée israélienne, Hussein Mourad agite les branches d’un olivier pour en faire tomber les fruits sur une bâche tendue au sol. L’agriculteur possède 140 oliviers, plantés il y a plusieurs décennies. Mais eux aussi souffrent : deux ans sans soins à cause de la guerre, des maladies qui les rongent, et des obus qui en ont touché certains. Lui aussi a fui lorsque les attaques ont commencé. «Je suis parti à Saïda. Deux ans là-bas. On ne pouvait plus revenir», raconte-t-il. Quand il est revenu, après le retrait israélien en janvier, il a retrouvé sa maison calcinée. Il la rénove seul, faute de moyens.
Quant à sa production d’huile d’olive, elle s’est effondrée. «Cette saison a été difficile… Les arbres sont restés sans soin deux ans, donc il faut beaucoup de travail. En plus, certains ont été brûlés, touchés par des obus, déplore-t-il, perché dans l’arbre. Avant, je faisais 60 ou 70 bidons. Maintenant, à peine deux ou trois.» Son pressoir, qui l’aidait à transformer ses olives, a brûlé avec la maison. Il fait tout à la main, un travail éreintant. «L’agriculture seule ne permet pas de vivre. Il faut un autre revenu. Ici, c’est très dur», dit celui qui travaille depuis 10 ans dans un magasin d’électricité avec son frère, en plus de son domaine agricole.
Vivre dans l’incertitude
À Aitaroun, la guerre a frappé partout. Aujourd’hui, la survie économique du village est en jeu. La moitié de la population n’a plus de travail. Beaucoup dépendent du tabac, subventionné par l’État — impossible à planter sous les bombardements. Les aides sont rares : quelques soutiens ponctuels de la municipalité, l’intervention limitée de la FINUL pour ouvrir les routes ou sécuriser des passages. «Nous n’avons rien acheté de neuf», dit Kamal, dont la famille a retrouvé des portes dans les décharges pour refermer la maison.
Autour de lui, le village porte les marques de la guerre : environ 800 maisons détruites selon la municipalité, des rues jonchées de métal tordu et, au-dessus, le bourdonnement des drones. Pourtant, les familles sont revenues, reconstruisant au milieu des ruines. «La population d’Aïtaroun aime sa terre et veut y retourner malgré les risques», explique Najib Kawsa, adjoint au maire. «L’occupation israélienne est toujours proche de nos champs. Mais l’agriculture, c’est notre vie — nous ne pouvons pas l’abandonner.»
L’olivier, une cible et un symbole
Kamal et Hussein partagent la même conviction : les destructions ne sont pas accidentelles. «Ils ont brûlé les arbres, rasé les vergers avec des bulldozers. C’est de la rage», accuse Kamal Abbas. Pour ceux et celles qui y habitent, ce qui se passe dans le sud du Liban est semblable à ce que l’armée israélienne poursuit dans les Territoires palestiniens occupés. «On vit presque la même chose qu’eux maintenant», glisse-t-il.
Hussein craint pour l’avenir de sa région, face à une armée qui continue d’avancer, qui vient de construire un mur sur le territoire libanais et qui bombarde sans relâche le sud, et parfois l’ouest, du Liban. Alors que nous quittions Aitaroun, l’armée israélienne se préparait à une invasion terrestre à Blida, un village à proximité, où, quelques heures plus tard, elle a tué un agent municipal. Plus récemment, l’armée israélienne a bombardé plusieurs villages du sud à plusieurs reprises, certains après avoir ordonné l’ordre d’évacuer, d’autres non, ainsi qu’un camp de réfugié.es palestinien. nes à Saïda, plus au nord, faisant au moins 15 morts dont des jeunes qui jouaient au foot.
«Là où il y a une injustice, je suis contre. Israël occupe nos terres. Oui, j’ai peur que cela continue ici aussi. Rester ici, c’est une forme de résistance», souligne Hussein, en ramassant les dernières olives tombées au sol. Pour Kamal, cette terre représente sa vie et il espère que ses enfants pourront aussi en jouir. «Mes oliviers ont 70 ans, comme moi. Comment ne pas les aimer?»
Malgré les ruines, malgré les pertes, les personnes reviennent toujours. Ils s’accrochent à ces parcelles suspendues entre guerre et survivance. Pour l’ombre d’un arbre, pour quelques litres d’huile, pour l’attachement viscéral à une terre que l’on ne peut abandonner.

Crédit pour les photos: Amélie David pour le Journal








