Amélie David, collaboration spéciale

Ghassan Najjar, Mohammad Reda, Wissam Qassem. C’était vendredi 25 octobre. Comme d’habitude maintenant, depuis plus d’un mois, je n’ouvre plus mon cahier d’arabe après avoir mis la petite cafetière à chauffer sur la gazinière. Maintenant, je suis trop inquiète. Trop pressée de lire les dernières nouvelles quand j’ai réussi à dormir. Ce vendredi 25 octobre, donc, je regardais les nouvelles de la nuit sur X et Instagram. Les images sont apparues : celles, une nouvelle fois, d’un bâtiment détruit. Mais très vite, celles-ci avaient quelque chose de différent. Entre les décombres de cette maison, il y avait des casques et vestes bleues estampillées de ces six lettres : PRESSE.

Le fil d’actualité continuait sa logorrhée, mais je ne pouvais plus me concentrer sur les mots. Dans notre groupe de journalistes sur WhatsApp, quelqu’un demandait comment aider les journalistes rescapé.es de la frappe israélienne qui avait tué trois de leurs collègues… Soudain, j’étais étourdie. Avions-nous de nouveau perdu des collègues qui effectuaient leur travail? Sur Instagram, un autre confrère travaillant pour Al-Jazeera avait publié une vidéo dans laquelle on voyait un autre journaliste marcher au milieu des décombres. Car oui, ce vendredi 25 octobre, trois confrères sont morts : le caméraman Ghassan Najjar, un ingénieur de radiodiffusion, Mohammad Reda, de la chaîne pro-iranienne Al Mayadeen, ainsi que le journaliste en vidéo Wissam Qassem qui travaillait pour la chaîne du Hezbollah Al-Manar. Effroyable.

Dans la nuit de jeudi à vendredi, l’armée israélienne a mené une frappe sur une résidence à Hasbaya, une localité à 50 kilomètres de Beyrouth. Cette habitation servait de refuge à 18 journalistes quand le missile s’est abattu. Il faisait nuit. Il faisait noir. Les journalistes dormaient. Pour le responsable du bureau du Moyen-Orient de Reporters sans Frontières, Jonathan Dagher, les journalistes étaient clairement identifiables et la frappe était isolée, car il n’y a pas eu de frappes autour ou dans le village. Sur la radio française France Info, Jonathan Dagher a indiqué qu’il s’agissait «vraisemblablement» d’une frappe ciblée contre la presse et donc d’un crime de guerre.

Ce n’est pas la première fois que des journalistes meurent au Liban dans de telles circonstances. Très vite, après avoir assimilé l’information, un visage m’est apparu : celui de notre confrère Issam Abdallah. Ce journaliste de 37 ans a été tué par une frappe israélienne le 13 octobre 2023 alors qu’il couvrait les combats entre le Hezbollah et l’armée israélienne dans le sud du Liban, à Aalma-El-Chaab. Les autres journalistes sur place ont été aussi grièvement blessé.es. En tout, selon un macabre décompte, 12 journalistes ont perdu la vie au Liban depuis le début de la guerre en 2023. Il y a eu Ghassan Najjar, Wissam Kassem et Mohamed Reda, le 25 octobre. Le 23 octobre, dans la banlieue sud de Beyrouth, Ali al-Hadi Yassin perdait la vie. Le 16 octobre, c’était le photojournaliste Mohammad Ghadboun ainsi que Mohammad Bitar. Le 11 octobre, Hussein Safa. Les 25 et 24 septembre, Kamel Karaké et Hadi el-Sayyed. Le 21 novembre 2023, Farah Omar et Rabhi Maamari, de Al-Mayadeen, mourraient à Tayr Harfa. Et donc, Issam Abdallah, photographe pour Reuters, le 13 octobre 2023. À Gaza, ils sont plus de 140 selon RSF. Sans compter que l’accès à Gaza est impossible pour les journalistes qui viennent de l’extérieur.

C’était vendredi 25 octobre. J’ai oublié la petite cafetière sur la gazinière. Les yeux emplis de larmes, une nouvelle fois, j’ai continué de chercher des informations, de regarder des vidéos et des photos. Pour essayer de comprendre. Mais, comprendre quoi? Qu’y a-t-il à comprendre quand Israël s’en prend aux civils et aux journalistes qui ne font que leur travail? Rien. Si ce n’est d’empêcher de travailler, de créer un sentiment de peur parmi le personnel professionnel de l’information. Est-ce que la mort d’un.e journaliste occidental.le changerait quelque chose?

Les attaques ciblées contre des journalistes continuent et ne sont pas près de s’arrêter, à Liban. Comme à Gaza. Israël dit alors qu’ils font partie du conflit, ou pire : qu’ils sont des terroristes! Certains médias occidentaux reprennent ce narratif, sans le questionner. Au moment d’écrire cette chronique, j’ai frénétiquement regardé X. J’apprenais que trois journalistes et un activiste des médias venaient d’être tués à Gaza. Et alors que nous pleurons nos collègues, nos confrères et consœurs, nos amis.ies, d’autres journalistes «embarquent» avec les forces armées israéliennes pour des reportages. Casques sur la tête et gilets par balles sur eux, ils regardent les bâtiments s’effondrer. Ils regardent leurs collègues se faire tuer. Ils regardent le droit d’informer se faire massacrer.