À Khiam, la mémoire de l’occupation israélienne sous les bombes

Julien Harneis from Conakry - Guinea via WikiCommons
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Amélie David, correspondante à Beyrouth

Sur les hauteurs du village de Khiam, au sud du Liban, se dresse l’ancienne prison. Entre 1985 et 2000, environ 3 000 personnes y ont été emprisonnées et y ont subi les pires traitements. Cette prison était alors dirigée par l’armée du Liban-Sud, une milice libanaise supplétive d’Israël. L’ancienne prison reconvertie aujourd’hui en musée par le Hezbollah a subi de lourds dommages au cours des dernières guerres avec Israël.

À Khiam, la population rentre progressivement dans leur résidence depuis la fin du cessez-le-feu, le 18 février dernier, et le retrait des troupes israéliennes. L’armée israélienne était partie du cœur du village à la mi-décembre, mais était toujours présente dans les environs, ce qui présentait une menace. Aujourd’hui, le village est détruit à 90 % selon les autorités de la ville. Les maisons encore debout portent les traces du passage des forces d’occupation israélienne : des sacs de nourriture éventrés, des inscriptions sur les murs, des sacs d’excréments laissés sur le sol… des vies ravagées. Plus loin, sur les hauteurs du village, se trouve l’ancienne prison de Khiam reconvertie en musée par le Hezbollah depuis 2000.

Mortada, un jeune homme originaire du sud-ouest du Liban, se tient près des anciennes cellules. «Cette prison fait partie de l’histoire du sud et du Liban en général. Tout le monde est attaché à ses racines, à son histoire. Cela m’aurait fait encore plus de mal si j’avais vu que tout était détruit», raconte-t-il. La guerre qui fait rage depuis plus d’un an entre le Hezbollah et Israël a ajouté aux ravages causés par la guerre de 2006, lorsque des raids israéliens avaient déjà détruit les bâtiments pénitentiaires. «Cette ancienne prison a été la cible des bombardements israéliens, car elle représente une trace de ce qu’a été l’occupation israélienne au Liban-Sud. De plus, le village de Khiam a été un champ de combat central dans cette dernière guerre», explique la sociologue Erminia Chiara Calabrese.

Le sud du Liban a connu de nombreuses incursions et attaques israéliennes depuis 1948 et a été occupé entre 1978 et 2000. Durant cette période, l’armée du Liban-Sud, dirigée par Antoine Lahad, sous le commandement israélien, a emprisonné des membres du Hezbollah, des Palestinien.nes, mais aussi des Libanais.es opposés à l’occupation. La prison a été transformée en musée par le Hezbollah après la libération en 2000.

L’exposition met en avant le rôle du parti dans la lutte contre Israël. La sociologue Erminia Chiara Calabrese analyse cette mise en scène comme un «investissement dans la culture de la résistance», permettant au Hezbollah d’exercer une hégémonie sur la mémoire collective de la lutte contre l’occupation. Pour Yasmine Khayyat, professeure associée de littérature arabe à l’Université Rutgers aux États-Unis, qui explore dans son livre, War Remains : Ruination and Resistance in Lebanon, les ruines comme un lieu de contestation et de résistance dans la production culturelle libanaise contemporaine : «Khiam a représenté la première grande manifestation publique de résistance à l’occupation israélienne par un groupe dans le Liban d’après la Libération.» La chercheuse ajoute avoir rencontré des personnes soulagées de voir le lieu détruit quand d’autres ne le trouvaient pas assez bien conservé ou se sentaient «oubliés» de la phase de mémoire.

Tortures

Mortada rejoint son ami Hadi, assis sur un petit dédale de bétons. Le jeune homme originaire de Khiam a eu deux de ses oncles emprisonnés ici pendant plus de 10 ans, quand ils n’avaient que 17 ans. «Il y avait beaucoup de types de torture. Il y avait la méthode du poste : les gens devaient se tenir debout et ils les torturaient, explique le jeune homme de 24 ans, né un an après la libération. Beaucoup sont morts à cause de cela. Il y avait des photos de tout ceci, elles ont disparu, mais le lieu, lui est toujours là.»

Les méthodes de torture utilisées à Khiam étaient d’une brutalité inouïe : privation de nourriture et d’eau, passages à tabac, électrocutions «le poste» où les personnes incarcérées devaient rester debout pendant des heures sous la torture. Des documents déclassifiés du Shin Beth en 2022 ont confirmé l’implication directe d’Israël dans la gestion du centre de détention, et plusieurs enquêtes d’ONG ont dénoncé ces pratiques.

Sur le toit d’un des bâtiments, des jeunes s’installent pour fumer le narguilé et écouter de la musique. Le soleil se couche lentement sur les montagnes libanaises et palestiniennes. Khiam, libérée, mais meurtrie, reste un symbole de résistance, figée entre mémoire et reconstruction.

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