Le référendum d’approbation de la nouvelle Constitution tenu le 1er novembre, date anniversaire du déclenchement de la guerre de libération en 1954, s’est déroulé dans le respect d’une tradition de truquage et de fraude héritée de la période coloniale, strictement observée par le régime. S’ils avaient voulu montrer le peu de cas qu’ils font de la date la plus chargée de signification de l’histoire de l’Algérie, les décideurs n’auraient pu faire pire. La réponse des Algériennes et des Algériens a été cinglante, claire et sans appel : la participation populaire a atteint un niveau d’étiage. Selon des observateurs crédibles, elle a concerné tout au plus un peu plus de 10 % du corps électoral. L’absence criante du peuple montre mieux que bien des analyses la permanence et l’ancrage d’un mouvement populaire que le régime et ses affidés présentent très prématurément comme périmé. Le fait est pourtant bien là : ce plus bas inédit est bien l’expression électorale du Hirak. Plus que l’indignation ou la colère, les Algériennes et les Algériens ont ostensiblement manifesté leur indifférence politique abyssale face à aux manœuvres d’un autre âge. Pour réaliser quelques images télévisées de bureaux de vote, les scénaristes de cette triste pantalonnade ont eu recours à des figurants, clairement des militaires habillés en civil, pour simuler, très grossièrement, une invraisemblable affluence…
Mais l’autorité de fait a bien été obligée de tenir compte d’une réalité impossible à maquiller et a donc, pour une fois, « raisonnablement » maquillé ses chiffres en se satisfaisant d’un taux de participation officiel légèrement supérieur à 23 % du corps électoral. Ce qui représente le chiffre le plus bas jamais admis par un régime habitué à exagérer hors de proportion les scores de ses rituels électoraux. Et, bien évidemment, loin de reconnaître un désaveu sans fard, les communicants officiels préfèrent souligner que la majorité des votants aurait approuvé un énième tripatouillage constitutionnel censé répondre une bonne fois pour toutes aux aspirations du mouvement populaire, le Hirak suspendu pour cause de pandémie.
Ce scrutin ignoré par les électeurs aurait pu être seulement une autre péripétie ridicule s’il ne se déroulait dans un contexte socioéconomique particulièrement assombri. L’économie algérienne, déjà très durement affectée par la baisse des revenus issus des exportations d’hydrocarbures, encaisse durement l’impact brutal de la pandémie de la covid-19. Le reflux de l’activité est très sensible : des économistes basés en Algérie estiment que la contraction du PIB est de l’ordre de 6 % pour le premier semestre de l’année en cours. Le chômage, des jeunes en particulier, déjà d’un niveau intenable augmente irrésistiblement dans une situation générale caractérisée par la gestion désastreuse de la pandémie, la hausse des prix, les pénuries de médicaments et la précarisation très visible des conditions d’existence des catégories les plus vulnérables. Signe irréfutable de l’absence de perspectives, l’immigration illégale, la « Harga », qui s’était quasiment tarie durant la phase active du Hirak, a repris massivement (1) .
La dégradation des conditions socioéconomiques plombe davantage une situation politique caractérisée par le marasme général et la répression des activistes du Hirak. La justice algérienne, qui libère des voleurs notoires associés au sommet du régime, condamne lourdement et à tour de bras des journalistes parfaitement honorables et des citoyens pacifiques, les uns pour avoir exercé leur métier et les autres pour des commentaires ou des vidéos postés sur les réseaux sociaux. Toutes les libertés publiques sont bafouées, la scène politique hermétiquement réservée à de médiocres épigones et les médias complétement asservis à la police politique.
Ce scrutin ignoré par les électeurs aurait pu être seulement une autre péripétie ridicule s’il ne se déroulait dans un contexte socioéconomique particulièrement assombri. L’économie algérienne, déjà très durement affectée par la baisse des revenus issus des exportations d’hydrocarbures, encaisse durement l’impact brutal de la pandémie de la covid-19.
Cette constitution remaniée est le prélude à un réaménagement formel d’institutions de façade, à travers notamment des élections législatives destinées à récompenser les clientèles du système et à signifier aux sponsors étrangers, uniques soutiens politiques effectifs de la coupole militaro-policière, que le pays s’engage dans un processus démocratique.
Cette constitution remaniée est le prélude à un réaménagement formel d’institutions de façade, à travers notamment des élections législatives destinées à récompenser les clientèles du système et à signifier aux sponsors étrangers, uniques soutiens politiques effectifs de la coupole militaro-policière, que le pays s’engage dans un processus démocratique. Le « message » à l’opinion algérienne est limpide, même s’il ne trompe personne : tout comme l’éviction de Bouteflika, cette Constitution répondrait aux demandes d’État de droit et de démocratie du Hirak qui, de ce fait, n’aurait plus de raison d’être.
Cette stratégie de repli autoritaire est facilitée par les contraintes qu’impose la pandémie du nouveau coronavirus. La covid-19 apparaît en effet comme un allié providentiel du régime en obligeant le Hirak initié en février 2019 de suspendre ses manifestations hebdomadaires en mars 2020. Mais en dehors des propagandistes du régime et de quelques divagations conspirationnistes qui présentent ce mouvement massif comme l’effet d’une manipulation policière, rares sont ceux qui estiment que le Hirak est une parenthèse fermée. Dans le silence retrouvé des vendredis sans manifestations, le régime a certes semblé reprendre l’initiative par le bâillonnement et la répression. Le revers patent du référendum a toutefois montré à ceux qui se sont empressés d’entonner l’oraison funèbre du Hirak que leur deuil, sincère ou hypocrite, était prématuré.
De fait, la séquence favorable au régime semble s’être soudainement interrompue par la maladie du chef de l’État imposé en décembre 2019 à l’issue d’une élection tout aussi frauduleuse. Le transfert du « président » Tebboune en Allemagne le 28 octobre dernier – la France n’a pas été choisie pour éviter sans doute de rappeler les peu reluisantes circonstances médicales de l’agonie politique de son prédécesseur – sape effectivement une construction bancale par nature. Quelle que soit l’évolution de l’état de santé de cet apparatchik de 74 ans choisi comme devanture civile par les généraux, il est clair que sa position est compromise et que les équilibres au sommet sont remis en cause. À moins d’un rétablissement visible, rapide et complet, Abdelmadjid Tebboune devra être remplacé à court ou moyen terme. Les décideurs de la coupole militaro-policière doivent s’accorder sur un nouveau nom pour pourvoir un poste crucial de la direction du régime. On le sait d’expérience, le processus est malaisé et générateur de vives tensions entre les différents groupes d’intérêts au pouvoir.
La seule réponse à la revendication de principe du Hirak réside dans la levée des lois d’exception et la révocation des dispositifs liberticides qui bloquent la vie politique.