Salima Tlemcani, El Watan, 19 mars 2019
En pleine phase de structuration représentative, les étudiants s’impliquent de plus en plus dans la mobilisation citoyenne qui gagne les rangs de toutes les franges de la société. Elus ces derniers jours, les premiers comités représentant les universités de Bouzaréah, Dély Ibrahim 3, faculté de médecine ainsi que des pôles de Koléa, d’El Harrach et de Blida, ont tenu dimanche dernier une réunion marathonienne, à la faculté de médecine de Ben Aknoun, à Alger.
Plus d’une centaine de délégués ont discuté des problèmes auxquels ils ont été confrontés, mais surtout du mouvement de protestation, des slogans et des perspectives de ce mouvement.
Très actifs, Wassim Matthieu de Belarbi et Yali Aidaly, respectivement étudiants en lettres françaises à Bouzaréah et en archéologie à Beni Messous, passent la majeure partie de leur temps à parler à leurs camarades, à les impliquer dans la mobilisation et à leur faire prendre conscience que «l’étudiant doit être indissociable de la société».
En dépit de la fermeture des salles de cours et des amphithéâtres, décidée par le ministère de l’Enseignement supérieur [depuis le 10 mars], ils ont réussi à improviser des espaces pour la tenue des assemblées générales.
Cela n’est malheureusement pas le cas des étudiant·e·s de la faculté de journalisme ou encore de celle du commerce et de nombreux départements de Bab Ezzouar, où les étudiants ne trouvent pas de salles pour se réunir. Mais Wassim et Yali expliquent que, souvent, ils doivent compter sur la «gentillesse» ou la «compassion» des gardiens ou d’un membre de l’administration pour ouvrir les salles de cours.
Pour la réunion de dimanche dernier [17 mars 2019 à la faculté de médecine, les étudiant·e·s n’ont pas eu de difficulté à obtenir un espace. Il faut dire que la mise en vacances forcées des étudiant·e·s a eu des incidences sur la mobilisation, mais pour l’instant, ils/elles répondent «favorablement» aux appels et «rejoignent massivement» les manifestations. «Toute notre énergie est dépensée actuellement dans la structuration de la représentativité.». «Nous voulons que toutes les écoles et universités se dotent de comités. Il y en a qui ont déjà leurs représentants, et ce, dans beaucoup de wilayas. A Alger, le grand problème est à l’université de Bab Ezzouar, qui compte quelque 52’000 étudiants, et les syndicats et les associations qui y sont actifs sont difficiles à contrecarrer. Nos camarades font de leur mieux, mais à chaque fois qu’une action est menée, elle est prise à partie par d’autres. Même s’ils sont peu nombreux, certains ont quand même réussi à élire leurs représentants. Nous devons conjuguer tous nos efforts pour constituer une force pas seulement de mobilisation mais aussi de proposition. Nous ne voulons pas imposer des délégué·e·s, mais faire en sorte qu’ils soient l’émanation de la base. Raison pour laquelle, nous avons décidé, lors des premières réunions, que chaque département ait un comité provisoire d’une dizaine d’étudiants, qui doivent s’entendre sur un groupe de trois ou quatre représentants. Ces groupes doivent élire à leur tour un seul comité pour chaque université. La même opération se fait au niveau de l’ensemble des établissements universitaires du pays, afin d’arriver à une représentation estudiantine», explique Wassim.
Selon lui, le débat au sein de l’assemblée de dimanche a été focalisé beaucoup plus sur la difficulté de certains comités à se faire accepter par les étudiants qui étaient absents lors de l’élection. «Il y a de l’appréhension et de la méfiance, en raison des mauvaises expériences des organisations contrôlées par l’administration ou par les partis politiques. Après des heures de discussions, nous avons réussi à ramener le débat à la mobilisation qui doit impérativement se poursuivre. Nous avons retenu le principe de la marche de mardi (aujourd’hui, le 19 mars) au centre-ville, avec un itinéraire défini, pour ne pas gêner la circulation automobile ou les commerces. La marche doit être encadrée par des étudiants, bien identifiés et très vigilants, afin d’éviter toute intrusion. Chaque université doit avoir son carré et l’heure à laquelle commence et se termine la marche, arrêtée», révèle Yali Aidaly.
Pour ce qui est des slogans, ajoutent les deux étudiants, ils vont faire ressortir les préoccupations des étudiants, mais aussi de toute la société. «Le principal slogan qu’on devra mettre en avant est ‘‘Ana taleb, ana chaabi et chaab maah rabi’’ (Je suis étudiant, je suis du peuple, et Dieu est avec le peuple)». «Sur les pancartes et les banderoles, les messages porteront sur la nécessité de la démocratisation de l’université, l’ouverture de celle-ci aux forums et aux débats, l’amélioration de la prise en charge et du niveau de l’enseignement, la revalorisation des diplômes, mais aussi le changement du système», note Wassim, avant que Yali ne lui emboîte le pas: «En fait, nous voulons que les étudiants se réapproprient leurs espaces et que chacun fasse la même chose.»
Investis dans la mobilisation, les deux étudiants passent tout leur temps entre les réunions, les prises de contact et la gestion des messages sur les réseaux sociaux. «Nous organisons les marches de mardi en tant qu’étudiants, mais aussi de vendredi en tant que citoyens. Nous sommes convaincus que nous aurions de meilleurs diplômes reconnus partout dans le monde, si notre université était gérée de manière démocratique, soit réellement celle des connaissances et du savoir et que les enseignants et les recteurs soient recrutés sur la base de la compétence et non des relations. Nous rêvons d’une Algérie meilleure, où le mérite est le principal critère d’avancement et de nomination. Nous pensons que c’est le moment ou jamais de forcer le changement. Nous sommes les demandeurs d’emploi d’un demain très proche. Nous sommes l’avenir de notre pays, que nous rêvons tous meilleur», concluent nos jeunes interlocuteurs. Ils sont si jeunes, mais ils ont conscience des enjeux auxquels ils sont confrontés.
Ils sont en train, disent-ils, de construire l’Algérie de demain. La marche qu’ils comptent organiser aujourd’hui est, pour eux, très «symbolique». «Elle doit avoir une identification : celle des étudiants», nous dit-on. Pas seulement à Alger, mais aussi dans une bonne partie des autres wilayas, comme Constantine, Béjaïa, Tizi Ouzou, Oran, Annaba, Sétif, Bouira, Skikda, Ouargla, pour ne citer que celles-ci.