AMLO contre Bolsonaro: deux visions du développement

Ricardo Martner, Médiapart, 30 NOV. 2018

 

« AMLO contra Bolso » : non, ce n’est pas l’affiche d’un match de boxe, ou, mieux encore, de « lucha libre ». Reste que déjà, on pressent la confrontation entre les futurs présidents des deux plus importantes nations d’Amérique latine.

Andrés Manuel López Obrador, que les Mexicains appellent AMLO, prendra ses fonctions de président ce samedi 1er décembre, un mois tout juste avant l’investiture de Jair Bolsonaro au Brésil. Les différences entre les deux hommes sont profondes, qu’on parle de leurs origines, de leurs trajectoires politiques, de leurs références idéologiques ou de leurs styles. Mais alors que les Etats latino-américains semblent être entrés pour leur majorité dans une spirale d’échecs, le principal champ de bataille sera celui des propositions économiques, dans deux pays qui sont les champions mondiaux de l’inégalité.

Près de 15% des Brésiliens vivent sous le seuil de pauvreté extrême. © Agencia Brasil

Le futur chef d’Etat brésilien, ouvertement d’extrême-droite, a déjà déclaré qu’il réduirait le nombre de ministères et qu’il « privatiserait jusqu’à l’extinction » une grande partie des entreprises publiques, une annonce qui a provoqué l’euphorie des marchés financiers. Jair Bolsonaro veut aussi réduire l’impôt sur le revenu des sociétés, le ramenant de 24 à 34% aujourd’hui à un taux unique de 20%. Son équipe justifie cette décision en prenant exemple sur la réforme fiscale de Donald Trump aux Etats-Unis, qui a réduit l’impôt des sociétés de 35% à 21%. Pour être compétitif et attirer les investisseurs étrangers, le Brésil devrait donc se joindre à cette course au moins disant fiscal.

Ce n’est pas une nouveauté. En Amérique latine, une des principales erreurs des stratégies de développement est depuis longtemps l’octroi d’incitations fiscales aux grandes entreprises, avec l’idée qu’elles sont gage de plus d’investissements, d’innovation et d’emplois de qualité. Pourtant, ce n’est pas ce n’est pas le principal déterminant. Les études montrent que l’investissement direct étranger est d’abord attiré par l’accès aux marchés, un cadre juridique et réglementaire prévisible, une main-d’œuvre qualifiée et des infrastructures développées.

D’autre part, la chute des recettes fiscales résultant de la baisse de l’impôt sur les sociétés a des conséquences dévastatrices. On calcule que le Brésil pourrait perdre 9 milliards de dollars avec cette mesure. Cela se traduit par un manque de ressources pour l’éducation, les soins de santé, les programmes de réduction de la pauvreté et l’infrastructure. Ce serait un nouveau coup dur pour le financement des politiques sociales après l’adoption, fin 2016, d’un amendement constitutionnel qui gèle les dépenses publiques pendant une décennie. Déjà l’an dernier, les dépenses fédérales combinées en santé et en éducation ont diminué de 3,1 % en termes réels.

Moins de financement pour les programmes sociaux signifie aussi moins de croissance dans un pays où une grande partie du capital privé préfère les revenus financiers aux investissements directs. L’Institut d’Enquête économique appliquée (Ipea) estime, par exemple, que quand le gouvernement dépense 1 real pour l’éducation publique, il génère 1,85 real pour le produit intérieur brut. La même valeur injectée dans la santé génère 1,70 real.

Il s’agit là d’effets multiplicateurs qui ne peuvent être laissés de côté dans un pays englué dans la récession depuis 2014 et où le nombre de personnes vivant dans l’extrême pauvreté (avec moins de 1,90 dollar par jour) a atteint 14,8 millions en 2017.

En réalité, la réduction du taux de l’impôt sur le revenu des sociétés n’est rien de plus qu’un cadeau aux entreprises et aux particuliers à revenu élevé, avec de profondes conséquences sur la répartition du revenu. De plus, l’érosion des assiettes fiscales est exacerbée par les stratégies agressives des multinationales, qui manipulent les transactions entre leurs filiales pour que leurs bénéfices soient imposés dans les pays où les impôts sont moins élevés et non dans ceux où l’activité économique et la création de valeur ont réellement lieu.

En Amérique Latine plus qu’ailleurs, il est urgent de réformer la taxation des multinationales. Elles devraient payer leurs impôts en fonction de facteurs tels que les ventes, l’emploi et les ressources utilisées par l’entreprise dans chaque pays, reflétant ainsi la véritable activité économique, et non dans des paradis fiscaux.

Pour éviter la course au moins-disant fiscal dans laquelle s’est déjà engouffré Trump, il faudrait aussi que la communauté internationale s’accorde sur un impôt effectif minimum sur les bénéfices des sociétés compris entre 20 et 25%. En Amérique Latine, cela impliquerait notamment le démantèlement des subventions et des exonérations dont jouissent les multinationales aux dépens du développement des pays.

Si le Brésil de Bolsonaro semble ne veut pas vouloir faire avancer cette réforme, le Mexique d’AMLO a une occasion historique de le faire. D’autant qu’il dispose d’une plus grande marge de manœuvre. Le taux d’imposition global au Mexique est un des plus bas du monde (20% en 2017 contre 35% au Brésil). Cette situation permettrait donc au nouveau président d’augmenter les revenus du gouvernement en taxant les multinationales de façon plus juste.

Car au Mexique aussi il y a urgence. La pauvreté et la violence continuent d’alimenter la fuite des cerveaux et des bras vers le nord et où la mobilité sociale est presque inexistante. Seulement 4,5 % des Mexicains âgés de 25 à 64 ans, dont la mère ou le père s’est arrêté à l’école primaire, ont obtenu un diplôme universitaire. Une situation qui ne changera pas sans investissements publics massifs – et efficaces.

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