Pathway at peel station in montreal's subway

Sophie O’Manique

J’ai appris en juillet 2023 qu’une société d’investissement avait acheté l’immeuble que j’habite à Montréal. Jusqu’ici, le bâtiment appartenait à une famille qui ne s’était pas donné beaucoup de mal pour l’entretenir, mais n’avait pas non plus haussé le loyer de manière significative.

Crédit photo: Frapru

Dans le passé, les appartements locatifs à Montréal étaient plus abordables que dans les autres grandes villes canadiennes, comme Toronto et Vancouver. Mais au cours de la dernière décennie, la crise d’accès au logement s’est étendue à l’ensemble du pays. Selon le Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ), les loyers moyens à Montréal ont grimpé de 27 % entre 2020 et 2024, avec des augmentations encore plus importantes dans certaines autres localités de la province.

La situation au Québec reflète un phénomène mondial de domicide qui pousse de plus en plus de personnes à vivre dans la rue ou à s’établir dans des installations informelles, à accepter de mauvaises conditions d’habitation et des loyers élevés ou à s’endetter pour se maintenir en logement.

Afin d’accroître le rendement de son investissement, le nouveau propriétaire de mon immeuble a vite fait d’augmenter les loyers de 8 % (un taux supérieur au 3,3 % recommandé cette année-là par le Tribunal administratif du logement), avant de lancer des travaux de démolition et de remodelage dans les appartements vacants, y compris ceux situés au sous-sol et au-dessus du nôtre. Une dalle de béton a fini par traverser le plafond de la salle de bains d’un voisin sous l’intensité des travaux de démolition. À la fin des rénovations, les loyers affichés pour ces appartements avaient presque doublé. Cette histoire, pourtant anecdotique, illustre bien à quel point les locataires sont touché·es par la crise mondiale qui fait du logement une classe d’actifs ou un produit d’investissement.

On a souvent tendance à expliquer la crise actuelle par une question d’offre et de demande : trop peu d’habitations pour le nombre de personnes qui cherchent à se loger. On justifie alors des politiques qui visent à freiner l’immigration et à subventionner le secteur privé pour la construction de logements. Cette vision ne tient pourtant pas compte d’une tension essentielle décrite par le sociologue David Madden et l’urbaniste Peter Marcuse entre la valeur lucrative d’un logement considéré comme un bien de consommation et son rôle social en tant que foyer. Le logement comme refuge du monde extérieur est un besoin universel et une condition préalable pour participer à d’autres secteurs de la vie sociale, économique et politique. Il ne sera pas possible de freiner la crise sans donner primauté à la valeur sociale du logement plutôt qu’à son profit potentiel.

À quand une politique de logement viable?

Depuis un siècle, de vastes programmes de logements publics ont vu le jour en Amérique du Nord, et il n’est pas impossible que l’État décide de réinvestir de nouvelles sommes importantes dans le logement social. En même temps, il faudra ralentir les profits générés par le marché locatif privé, s’attaquer aux iniquités du revenu et redistribuer l’argent aux travailleuses et aux travailleurs pour leur garantir une retraite suffisante qui réduira leur dépendance à la spéculation immobilière. Une politique de logement viable ne sera possible que si elle considère le droit de se loger comme un bien public et non une simple commodité.

Sophie O’Manique est candidate au doctorat en géographie au Graduate Center de la City University of New York.