Au lendemain de la COP16, le financement demeure incertain

Discours du président colombien Gustavo Petro à l'ouverture du segment de haut niveau de la COP16, le 29 octobre 2024.

Sabine Bahi, correspondante en stage et membre de la délégation de LOJIQ à la COP16

L’agenda de la COP16 était particulièrement chargé, alors que la mise en œuvre du Cadre mondial de la biodiversité de Kunming-Montréal (CMBKM) en était le sujet principal. Si certaines discussions ont abouti à des résultats concrets, notamment en ce qui concerne des revendications des communautés autochtones et locales, d’autres sujets d’importance majeure n’ont pas suscité de consensus et ont même mis en évidence de profonds différends. Le financement est le premier sur la liste.

Après deux semaines de négociations à la COP16, les parties n’ont pas réussi à conclure un accord sur le financement nécessaire à la mise en œuvre du CMBKM. Si les discussions devaient terminer le soir du 1er novembre, elles ont plutôt duré jusqu’à 8 h 30 le matin suivant. De nombreuses délégations ont dû quitter les lieux avant la fin pour ne pas manquer leurs vols de retour. Le quorum n’était plus atteint dans la salle de négociations, provoquant ainsi une fin abrupte de la COP16.

Cette conclusion inattendue à l’événement est une déception pour beaucoup, notamment car plusieurs enjeux de financement n’ont toujours pas de réponse. Face à l’urgence d’agir pour protéger et conserver la biodiversité, ce sont les pays du Sud global qui se voient plus lourdement affectés par les carences financières engendrées.

Un lourd vide financier à combler

L’application du CMBKM est soutenue par le Fonds-cadre mondial pour la biodiversité (GBFF). Créé en 2022, il a été entendu que les pays du Nord global y imposent 20 milliards de dollars par an pour assurer une distribution des moyens financiers nécessaires à l’atteinte des objectifs fixés pour 2030.

À l’inauguration de la COP16, le déficit global de financement de la biodiversité s’élevait à 700 milliards de dollars par an. En d’autres termes, les apports financiers au GBFF ont été beaucoup moins élevés qu’attendu, et ce particulièrement de la part des pays du Nord global. Ces derniers devaient constituer les principaux contributeurs au GBFF, à la demande des pays du Sud global.

Les objectifs financiers fixés selon la promesse du GBFF n’ont donc toujours pas été atteints, et un retard se maintient dans l’application du CMBKM. De nouvelles propositions financières ont toutefois été mises sur la table lors de la COP16. Huit gouvernements du Nord global, dont la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni et le Québec, ont promis d’injecter un total de 163 millions de dollars dans le GBFF.

Le Fonds Cali a également été créé lors de la COP16 pour assurer une distribution des profits que génèrent les entreprises par le séquençage numérique des ressources génétiques, une des grandes thématiques en termes de biodiversité. Les contributions y étant volontaires, des doutes planent quant aux montants que le fonds peut réellement générer.

Pour adresser le vide financier, deux revendications ressortent clairement du discours des pays du Sud global à la COP16 : le financement pour la conservation et la préservation de la biodiversité doit être direct, et les pays du Nord global doivent y contribuer de manière équitable.

Volonté d’un financement direct

Au-delà des chiffres manquants, le mode de fonctionnement du GBFF est dénoncé par les pays du Sud global. Bien que le fonds soit effectivement opérationnel et qu’il ait aidé certains pays dans leur mise en œuvre du CMBKM depuis sa création, plusieurs autres pays ont manifesté à la COP16 leur incapacité à accéder au financement prévu.

Ces mêmes pays déplorent que le financement ne soit pas octroyé de manière directe. La structure actuelle du GBFF prévoit que le Fonds pour l’environnement mondial (FEM), qui regroupe également d’autres fonds en matière de climat, assure la supervision de la réception et distribution du financement. Ce mode de gouvernance implique des démarches et délais qui se sont avérés être des obstacles pour certains pays du Sud global.

Une alternative ayant fait l’objet de nombreux débats à la COP16 est celle de la création d’un nouveau fonds pour la biodiversité, indépendant du FEM. Celui-ci serait adapté aux besoins et intérêts spécifiques des pays du Sud global et serait placé sous gouvernance de l’Organisation des Nations Unies. Selon ses tenant.es, ce fonds réglerait les enjeux d’accès au financement. La Ministerial Alliance for Ambition on Nature Finance a publié un communiqué signé par 20 pays africains à cet effet.

Principe de responsabilités communes, mais différenciées

Lors de l’atelier préparatoire francophone organisé par l’Organisation internationale de la Francophonie la veille de la COP16, Ousseynou Kassé, Président du Groupe des Négociateurs africains sur la Biodiversité (groupe Afrique), a évoqué le fait que le point de référence des négociations sur le financement devait être l’équité, et non l’aide au développement.

En ce sens, il importe d’appliquer le principe de responsabilités communes, mais différenciées (PRCD) aux décisions prises en matière de financement. Issu du droit international de l’environnement, le PRCD prévoit d’octroyer des responsabilités différentes aux États quant à la protection et la conservation de l’environnement, selon les impacts environnementaux qu’engendrent leurs modèles de production et de consommation.

Kassé a rappelé le fait que les pays du Nord global ont été les principaux responsables de lourdes émissions de serre durant la période d’industrialisation, engendrant ainsi une importante perte de la biodiversité à l’échelle mondiale. À ce jour, l’Afrique est responsable de 4 % des émissions totales de gaz à effet de serre dans le monde, alors que les émissions du G20 représentaient 77 % du total en 2023.

Pour le groupe Afrique et beaucoup d’autres pays du Sud global ayant négocié en ce sens, les pays du Nord global ont donc la responsabilité de mettre en œuvre le GBFF en y contribuant des sommes considérables, et ce dans une mesure nettement plus grande que les pays du Sud global.

Un clivage grandissant entre le Nord global et le Sud global

Les discussions et enjeux en matière de financement à la COP16 ont révélé un clivage grandissant entre le Nord global et le Sud global. La création d’un nouveau fonds pour assurer un financement plus direct a été un des plus grands points de discorde, les pays du Nord global considérant que la proposition générerait une multiplication inefficace et couteuse des mécanismes de financement existants.

Au début de la COP29 sur les changements climatiques, qui a actuellement lieu en Azerbaïdjan, des tensions planent entre les pays du Nord global et du Sud global. Les luttes pour le climat et la biodiversité, qui sont inextricablement liées, ne peuvent être menées autrement que conjointement et dans une optique de justice environnementale assumée.