Alexis Legault, correspondant

Il y a quelques mois encore, en Australie, les peuples autochtones semblaient se diriger vers la création historique d’une entité consultative enchâssée dans la constitution par voie référendaire. Celle-ci leur aurait offert un espace d’expression officiel, au sein de la structure politique du pays, sur les enjeux sensibles qui les concernent, allant de l’éducation à la santé en passant par le logement et le territoire. Il en a finalement été bien autrement.

Si d’autres tentatives avaient déjà été réalisées dans le passé pour que les Aborigènes et les Indigènes du détroit de Torrès disposent d’une voix forte au Parlement australien, les passages au pouvoir de forces conservatrices ont tour à tout balayé ces efforts. En principe, la voie constitutionnelle empruntée lors du plus récent référendum aurait toutefois permis de sécuriser et de pérenniser ce droit d’être entendu. Outre la création d’un organe consultatif, il était aussi question de mentionner dans la constitution australienne l’existence de peuples qui vivent en sol australien depuis plus de soixante mille ans avant… que ne soit fondée l’Australie.

Le momentum a cependant changé de camp au cours des mois précédant le jour du vote. Les sondages sont devenus moins encourageants pour les peuples premiers, et les partisans du Non se sont dirigés vers un gain confortable. Le 14 octobre, ce sont finalement 60 % de la population et chacun des six États qui se sont opposés à un plan prévoyant d’offrir plus de droits aux populations autochtones. Le Parti libéral d’Australie et le Parti nationaliste d’Australie, tous deux situés à la droite de l’échiquier politique, ont d’ailleurs choisi d’appeler au rejet de la proposition.

Autopsie d’un slogan

La campagne du camp du Non, arborant avec fierté un slogan aussi ridicule que méprisable, a donc filé avec la victoire. Laissant planer une ombre malveillante, le désormais célèbre «Don’t know? Vote no» aura convaincu ceux qui auraient pu être tentés de saisir cette occasion pour en apprendre sur les réalités autochtones, ou même sur la nature du référendum, de ne pas se laisser aller à la curiosité intellectuelle. Ce slogan aura conforté celles et ceux qui, ignorant les enjeux, ont été encouragés à voter sans savoir même sur quoi.

Et si seulement cette campagne s’était limitée à ce qui apparait éthiquement et intellectuellement comme l’un des pires slogans de l’histoire moderne. Malheureusement, cette formule n’est que le symbole d’un large mouvement d’opposition à l’autodétermination des peuples auxquels la colonisation et la marginalisation ont été imposées depuis des centaines d’années.

Haine et désinformation 

La campagne du Non a été ponctuée de haine et d’insultes raciales, en particulier sur les réseaux sociaux. Toujours sur ces mêmes médias, des observateurs internationaux, tels qu’Amnistie internationale, ont déploré la mise en œuvre d’un important processus de désinformation. La population australienne a assisté au retour du fameux mythe de l’arrivée européenne en terre vierge. Cette arrivée sur un territoire qui ne demandait qu’à être exploité n’est pas sans rappeler le mythe de la «Découverte» de l’Amérique.

Le service de vérification des faits de l’Australian Associated Press a d’ailleurs confirmé une quantité disproportionnée de désinformation provenant du camp du Non. Règles entourant la tenue du référendum, nature du groupe consultatif prévu ou ampleur des pouvoirs octroyés aux peuples premiers, les fausses informations se sont largement propagées sur les réseaux sociaux, nourrissant naturellement un sentiment de crainte chez de nombreux citoyens. La création de ce climat de tension et de peur a évidemment représenté un terreau fertile pour la prolifération d’une foule de propos haineux à l’endroit des individus et des groupes autochtones.

Au jour d’après

Cette démarche nationale n’aura toutefois pas été réalisée totalement en vain. Les droits des peuples autochtones de partout à travers le monde se sont retrouvés au centre de l’actualité internationale durant un certain moment, ouvrant inévitablement à des réflexions de fond sur ces enjeux. En Australie, des groupes autochtones envisagent déjà les prochaines étapes, et des alternatives plus régionales se profilent à l’horizon. Force est de constater que les droits des peuples autochtones prennent une place croissante dans les préoccupations sur la scène internationale.

Aussi désolante que fût cette campagne d’opposition à l’autodétermination des peuples autochtones, cette tentative s’inscrit dans un mouvement de fond que les forces de l’establishment semblent avoir de plus en plus de mal à freiner. Des voix s’élèvent et les murs érigés par les tenants du statu quo colonial peinent aujourd’hui à les contenir.