Christophe Ventura, 7 novembre, à 20 h 18 ·
Depuis 25 jours, ils marchent depuis le Honduras. Certains sont à Ciudad de Mexico, d’autres dans d’autres villes du Mexique, d’autres certainement sur les routes.
Tous ont un objectif : rejoindre la frontière avec les États-Unis pour y faire valoir leurs droits de réfugiés, travailler, retrouver leurs familles. Certains, comme Quenedy (la cinquantaine), que nous rencontrons au stade « Padillo » de la « Ciudad Deportiva », là où la ville a mis en place un centre d’accueil d’urgence pour 5000 personnes du Triangle Nord (Honduras, Guatemala, El Salvador) – auxquelles s’ajoutent certaines du Nicaragua- ne transigeront pas : « je ne resterai pas ici. Je vivais avec ma femme et mes deux enfants aux États-Unis en Virginie, j’y travaillais avant d’être déporté (« deportacion » est le terme utilisé ici pour parler d’expulsion) en 2015. Et au Honduras quoi ? J’ai un petit commerce et chaque mois je dois donner la moitié de ce que je gagne au gang du coin (la « pandilla »). Que puis-je faire ? Je ne peux pas vivre dans ces conditions. L’État ne me protège pas, il n’existe aucune perspective économique pour nous. Je veux retrouver ma famille ».
Une histoire parmi tant d’autres. En réalité, rien de nouveau comme l’indique le propos de Quenedy (prénom qui vient de John Kennedy). Chaque année, entre 300 et 500 000 personnes du Triangle Nord traversent le Mexique pour les États-Unis. Beaucoup restent au Mexique. Et chaque année, les États-Unis procèdent pour leur part à de nombreuses expulsions tandis que ces flux de migrants baissent continuellement depuis 2000 (de 2 millions par an à moins de 500 000 en 2017). Le gouvernement mexicain a pour sa part déporté plus de 160 000 centre-américains en 2016.
En ce qui concerne Quenedy, ce n’est pas Donald Trump, mais l’administration Obama qui l’a deporté. Sous ses mandats, 3 millions de latino-américains ont en effet connu ce sort, plus que sous Trump jusqu’à présent.
Que fuient ces personnes ? La violence de l’état, celle d’une économie périphérique de surcroît laminée par les accords de libre-échange avec les États-Unis qui invalident toute possibilité de développement pour ces pays, la criminalité organisée – en partie liée à la politique de renvoi par les États-Unis de prisonniers qui étaient dans les pénitenciers américains, et qui sont venus nourrir et renforcer les groupes criminels locaux, la pauvreté, la militarisation de la société dans le cadre de l’Initiative Merida financée par Washington qui consiste à conditionner la coopération avec les gouvernements locaux à la mise en place de programmes sécuritaires visant à lutter contre le narcotrafic et bloquer les frontières pour empêcher- sans résultat- les départs.
Aujourd’hui donc, beaucoup de discussions ont lieu à Ciudad Deportiva, dans les médias mexicains et au sein du monde politique.
Faut-il laisser la caravane aller à la frontière où près de 15 000 militaires américains pourraient être mobilisés par Donald Trump, qui a utilisé la caravane pour mobiliser son électorat pendant la campagne des « midterms ?
Les migrants devraient-ils faire leur demande d’asile ici au Mexique et profiter de l’attention médiatique mondiale du moment pour avoir une chance de l’obtenir, et éviter d’échouer aux États-Unis, d’être violentés ou tués pendant l’exode ?
Doivent-ils rester tous ensemble, en groupe ? La constitution de la Caravane répond d’abord à une question de protection et de sécurité pour les migrants : être tous ensemble pour être visibles et diminuer les risques de séquestrations et de travail forcé par le crime organisé, d’agressions, de disparitions, d’assassinats, d’arrestations violentes, etc.
Mais rester tous ensemble en centre d’accueil d’urgence comme celui du stade « Padillo » ne fait-il pas le jeu du gouvernement mexicain qui, ainsi, « parque », contrôle et éloigne les migrants de leur objectif, conformément à la demande de Donald Trump ?
Soudain, derrière nous, une agitation s’empare d’une petite foule tendue réunie autour d’une camionnette blanche qui distribue un bien très recherché par tous ici – et en nombre insuffisant pour la demande – : des chaussures.
« Une paire de chaussures est la chose la plus précieuse pour nous. Sans elle, nous ne pouvons pas marcher. Or, nous devons marcher pour aller là où nous avons décidé d’aller et là où j’irai » nous dit, Quenedy, fatigué mais décidé,