Une manifestation ouvrière pour le salaire minimum est confrontée au blocus policier en novembre 2023 - @Clean Clothing Campaign

Amélie Nguyen et Valérie Babin, respectivement coordonnatrice et chargée d’éducation au Centre international de solidarité ouvrière

Depuis le 22 octobre, des dizaines de milliers de travailleuses et travailleurs de l’industrie du textile se mobilisent dans les rues de diverses villes du Bangladesh pour demander un salaire juste leur permettant de briser le cycle de la pauvreté et d’avoir des conditions de vie dignes. Pourtant, la répression policière à leur endroit ne fait que s’intensifier, car ce mouvement de solidarité ouvrière menace les profits des propriétaires des usines et des grandes marques du vêtement ainsi que le fonctionnement du premier secteur économique du Bangladesh, représentant environ 85 % de ses exportations.  

Depuis le début des mobilisations, quatre personnes sont décédées : Anjuara Khatun, Rasel Hawlader, Imran Hossain et Jalal Uddin. Plusieurs personnes ont été blessées par les tirs lacrymogènes, les coups de matraque et les balles utilisées par les forces policières. À cela s’ajoute un nombre croissant d’arrestations ou de menaces visant les représentantes et représentants syndicaux locaux1. Rappelons que le leader syndical Shahidul Islam a été assassiné le 25 juin dernier alors qu’il cherchait une résolution pacifique au conflit sur le salaire minimum au Bangladesh2.

L’usage de la force pour faire taire les mobilisations légitimes des travailleuses et travailleurs est routinier au Bangladesh. En 2019, lors de mobilisations similaires, 7500 personnes avaient été renvoyées et 1500 menacées d’être emprisonnées et mises sur une liste noire les empêchant de travailler dans l’ensemble des usines du textile3. Le Bangladesh est reconnu internationalement comme étant l’un des pays où les libertés d’association et de négociation sont les plus menacées au monde. Or, selon Kalpona Akter, du Bangladesh Center for Workers’ Solidarity (BCWS), permettre aux ouvrières et ouvriers de s’organiser collectivement pour défendre leurs droits est la condition sine qua non pour améliorer leurs conditions de travail à long terme. 

Le salaire mensuel de 8000 takas (environ 99 $ CA) est le même depuis 2018, et ce, alors que les travailleuses et travailleurs sont couramment à l’usine 60 h par semaine, souvent sans compensation pour leurs heures supplémentaires. Aujourd’hui, le gouvernement n’offre qu’un salaire de 12 500 takas mensuel (environ 155 $ CA, moins d’un dollar par heure). Cette proposition du gouvernement est bien en dessous d’un salaire viable selon les organisations syndicales et de défense des droits locales comme le BCWS et la Bangladesh Independent Garment Workers Union Federation. Elles demandent plutôt 23 000 takas par mois (environ 284 $ CA) pour être en mesure de subvenir à leurs besoins alors que l’inflation atteint presque 10 %. Quand les syndicats locaux ont refusé le salaire de misère proposé par le gouvernement, la première ministre, Sheikh Hasina, a répondu en demandant le retour au travail et en ouvrant la porte à une plus grande répression, causant un climat de peur chez les personnes mobilisées. 

Si le gouvernement du Bangladesh, dont près du tiers des député·e·s sont propriétaires d’usines de vêtements4 a la responsabilité de s’assurer de la hausse du salaire minimum et de la liberté d’association et de négociation, les grandes marques internationales du vêtement doivent également questionner leurs pratiques et exercer leur diligence raisonnable quant aux risques de violations des droits au Bangladesh. En choisissant de s’approvisionner dans des pays où les « avantages comparatifs » sont des salaires de misère et la faible protection des droits et de l’environnement, les multinationales sont, elles aussi, responsables du piètre salaire des ouvrières et des ouvriers au pays. Cette complaisance et cette complicité doivent prendre fin. Il est impossible depuis la tragédie de l’écroulement du Rana Plaza il y a dix ans que ces compagnies qui sous-traitent leur production au Bangladesh ne sachent pas que les droits des travailleuses et travailleurs qui produisent leurs vêtements y soient bafoués.  

Avec leurs énormes marges de profits qui ne sont pas redistribuées équitablement, ces compagnies contribuent à l’augmentation des inégalités au sein des pays. Par exemple, sur un T-shirt, 60 % du prix d’un chandail revient à la marque et au magasin qui le vend, 4 % à l’usine au Bangladesh et seulement 0,6 % reviennent aux ouvrières et ouvriers5. De plus, les grandes marques imposent régulièrement des rythmes de production sous pression, « à la demande », parfois intenables, qui augmentent les risques d’accidents et de blessures.   

Nous achetons ces vêtements. Aujourd’hui, soyons solidaires de ces travailleuses et travailleurs qui se mobilisent courageusement malgré les grands risques pour leur avenir et celui de leur famille en demandant aux compagnies de respecter leurs droits et de leur payer un salaire viable. Cette situation ne peut être tolérée si nous souhaitons bâtir un monde plus juste et où les droits et l’environnement sont respectés, ici comme ailleurs.  

 

  1. IndustriALL 2023. Calling on the Bangladesh government to stop police crackdown on workers’ minimum wage protests in Dhaka and reconsider the minimum wage demand of BDT23,000. En ligne 9 novembre []
  2. Oxfam Aotearoa 2023. Statement Of Solidarity: Oxfam Condemns The Killing Of Union Leader, Shahidul Islam. En ligne 6 juillet []
  3. Human Rights Watch 2019. Bangladesh : Investigate Dismissals of Protesting Workers. En ligne 5 mars []
  4. Bair, Anner et Blasi. 2020. The Political Economy of Private and Public Regulation in Post-Rana Plaza. En ligne 1er août []
  5. La Coordination du Québec de la Marche mondiale des Femmes (CQMMF) et le Centre international de solidarité ouvrière (CISO) 2023. Guide d’animation : Critique féministe de l’industrie du textile. En ligne 24 avril []