S’il y a un domaine au Proche-Orient où le président élu Joe Biden a pris des engagements c’est celui du nucléaire iranien. Mais il risque de se heurter à de multiples obstacles, sans parler de ceux que va lui opposer Donald Trump d’ici le 19 janvier.
En septembre 2019, Joe Biden a pris position à l’égard de l’accord nucléaire avec l’Iran, dit aussi JCPOA (Joint Comprehensive Plan of Action), conclu en 2015 à Vienne par les cinq membres permanents du Conseil de sécurité et l’Allemagne, dont Donald Trump a sorti les États-Unis en mai 2018. Le nouveau président des États-Unis a présenté comme un échec la politique de « pression maximale » qui a suivi. De fait, la multiplication des sanctions américaines a infligé des coups terribles à l’économie et à la population iraniennes, mais n’a pas ramené la République islamique à la table des négociations, comme le calculait la Maison-Blanche. L’Iran a finement joué en demeurant au sein du JCPOA, tout en mettant en place une série d’infractions calculées à l’accord, sur lesquelles il s’est dit prêt à revenir si les choses s’arrangeaient. Ces infractions, en somme modérées, l’ont néanmoins rapproché de la capacité à se doter, s’il en prenait la décision, de l’arme nucléaire. Et dans cette période, les cinq autres pays parties à l’accord — Russie, Chine, Royaume-Uni, France et Allemagne — ont plutôt été du côté de l’Iran, mettant en lumière la solitude de Washington.
« RÉPARER LES ERREURS DU PASSÉ »
Biden a donc manifesté l’intention de ramener les États-Unis dans le JCPOA si l’Iran en respectait à nouveau scrupuleusement les termes. Mais il veut aussi que ce retour ouvre une nouvelle séquence diplomatique. Il s’agirait d’abord d’améliorer le texte avec les autres parties à l’accord en renforçant ses dispositions protectrices à l’égard des tentations de prolifération de Téhéran. L’Iran devrait en outre libérer les Américains injustement détenus, progresser en matière de droits humains, et reculer dans ses « entreprises de déstabilisation » de la région. Biden enfin souligne qu’il continuera d’user de sanctions ciblées pour contrer les violations des droits humains, le développement du programme balistique et « le soutien au terrorisme ».
Côté iranien, la réponse est mesurée. Le Guide suprême Ali Khamenei ne s’est pas prononcé. Le président Hassan Rouhani a déclaré que les États-Unis devaient « réparer leurs erreurs passées et revenir au respect de leurs engagements internationaux ». Son ministre des affaires étrangères Mohamad Djavad Zarif a fait savoir qu’il n’était pas question de renégocier les termes du JCPOA. Son porte-parole a ajouté que les États-Unis devraient garantir l’Iran contre le risque d’une nouvelle sortie de l’accord. Il faudrait alors qu’ils ratifient le JCPOA — mais le Congrès sera difficile à convaincre —, ou du moins qu’ils fassent adopter par le Conseil de sécurité une résolution donnant à l’accord une force obligatoire. Quant aux autres sujets — droits humains, terrorisme, programme balistique, influence régionale —, on voit mal l’Iran accepter de lever la barrière qu’il a posée entre le nucléaire et ces autres sujets sur lesquels ses interlocuteurs, en particulier le président Emmanuel Macron, ont déjà tenté de l’entraîner. De telles questions échappent d’ailleurs à la compétence du ministère des affaires étrangères, qu’il s’agisse de la balistique et des opérations régionales, chasse gardée des pasdaran, ou des droits humains, à la merci du système judiciaire.
LE POIDS ISRAÉLIEN
Biden va devoir aussi compter avec d’autres acteurs. D’abord l’administration finissante de Donald Trump, en place jusqu’au 19 janvier. Celle-ci a tout récemment multiplié les sanctions contre l’Iran et fait passer le message qu’elle pourrait continuer jusqu’au dernier moment, avec l’idée de rendre indémêlable le dense dispositif mis en place. À noter que les dernières vagues de sanctions ont été pour l’essentiel lancées au nom de la lutte contre le terrorisme ou de la violation des droits humains. Or, la mise en œuvre du JCPOA n’avait entraîné que la levée — partielle — des sanctions liées au nucléaire. Même si ces sanctions nucléaires, rétablies par Trump, sont bien levées à nouveau par Biden, toutes les autres sanctions, touchant à des domaines vitaux comme le pétrole ou les banques, resteront en place, neutralisant le bénéfice attendu du retour des États-Unis dans l’accord de Vienne. Biden aura certes la capacité de revenir aussi sur ces autres sanctions, du moins pour celles dont la levée n’obligerait pas à solliciter l’accord du Congrès, mais il sait également que tout mouvement en ce sens serait aussitôt dénoncé par son opposition comme une démission en matière de lutte contre le terrorisme ou de défense des droits humains.