Tiré du site du Réseau québécois sur l’intégration continentale
Au lendemain d’une élection très médiatisée, allons-nous observer une transformation radicale quant à l’avenir des relations économiques entre les États-Unis et le reste du monde ? Bien que les deux candidats à la présidentielle soient des partisans du libéralisme économique, on peut constater des différences notables qui, malgré tout, convergent vers le Buy American.
Joe Biden, un libre-échangiste multilatéralisme
En principe, Joe Biden se présente comme un candidat proglobalisation et libre-échangiste. Il est prédisposé, non seulement à repenser la manière dont les barrières tarifaires sont utilisées, mais aussi, à revoir les sanctions économiques imposées aux alliés par l’administration actuelle. Monsieur Biden promet de collaborer avec les alliés pour limiter la surproduction dirigée par la Chine, notamment, dans les secteurs tels l’acier, l’aluminium, la construction navale et la fibre optique.
À cette fin, il est prêt à abandonner en contrepartie les tarifs douaniers liés à la sécurité nationale, en l’occurrence, les tarifs imposés sur l’acier et l’aluminium produits et exportés par ses alliés. Pour Biden, les mesures unilatérales de Donald Trump, nuisent finalement à la population américaine, laissant entendre qu’il faut user des instruments de pression plus raisonnables que l’intimidation.
Mais une telle déclaration ne signifie pas son intention de signer d’autres accords. Monsieur Biden affirme clairement qu’il ne signera pas de nouveaux accords de libre-échange tant que celui-ci n’améliorera pas substantiellement les conditions de vie de la classe moyenne américaine.
Supply America est au cœur des priorités que vise son plan de relance Made in All of America. Ici, il s’agit de relocaliser les chaînes de valeurs les plus stratégiques aux États-Unis, notamment, la production des biens essentiels en cas de crise, entre autres, les biens alimentaires et sanitaires. À cette politique s’ajoutent d’autres politiques axées sur le marché national tel Buy American, Innovate in America, Invest in All of America, Make it in America, et Stand up for America. 400 milliards de dollars seront investis pour promouvoir l’achat local, d’une part, et, d’autre part, pour assurer que les produits et services américains soient distribués par les transporteurs nationaux.
Jusqu’ici, le candidat démocrate demeure prudent et tient un discours mondialiste,
sans pour autant compromettre les besoins et intérêts des entrepreneurs et travailleurs américains.
Donald Trump, un libre-échangiste mercantiliste
La perspective du président Trump, America First, a inauguré une nouvelle ère libre-échangiste, plus mercantile, voire protectionniste. Monsieur Trump opte pour une voie à l’intersection du libre-échange et du protectionnisme, quelque part entre le repli autarcique des années trente et la libéralisation des années quatre-vingt. En fait, reprenant les avantages de la déréglementation pour les grandes entreprises, notamment dans le domaine numérique, il utilise, selon ses propres dires, les droits de douane comme un instrument de négociation pour s’imposer devant ses alliés canadiens, chinois, européens et mexicains. Désormais, préserver les emplois industriels passe partiellement par le sacrifice des importations, malgré le fait que cette stratégie puisse conduire à l’augmentation du coût des marchandises.
Bien que le candidat républicain ait levé les barrières douanières sur l’aluminium canadien,
il se donne toujours le droit de les réinstaurer en cas d’afflux d’importation jugé exceptionnel. Le Canada s’engage à limiter ses exportations entre 70 000 et 83 000 tonnes par mois jusqu’en décembre, soit approximativement la moitié de la quantité mensuelle exportée de janvier à juillet 2020.
L’administration américaine ambitionne d’imposer de nouvelles règles de jeu au sein de l’OMC. L’OMC sera paralysée tant que les demandes du gouvernement américain ne seront pas exaucées, notamment, établir des mécanismes de règlement des différends moins contraignants, exiger des limites aux accords commerciaux entre les pays ne partageant pas de frontières, réduire les barrières tarifaires dans les pays en développement et mettre la pression sur la Chine. Quoique le Canada ait obtenu gain de cause au terme d’un neuvième litige sur le bois d’œuvre, les États-Unis ont porté l’affaire en appel devant le tribunal de l’OMC. Toutefois, l’OMC ne peut pas trancher, car l’administration Trump bloque la nomination des juges, tout comme l’avait fait l’administration Obama qui fut déjà sceptique face à la cour d’appel de l’OMC. Monsieur Trump serait parfaitement d’accord pour voir disparaître l’organe d’appel de l’OMC.
Quelques études concluent cependant que le mercantilisme trumpien demeure inefficace.
Non seulement la balance commerciale est déficitaire depuis l’élection du président Trump,
mais aussi, les délocalisations sont plus élevées qu’elles ne l’étaient lorsqu’il est entré en fonction. Son approche pro-entreprise a échoué à améliorer les conditions salariales et non salariales des emplois qui ont chuté dans les principaux états de la Rust Belt comme l’Ohio et le Michigan. Oxford Economic estime que la réélection du candidat républicain conduirait à un ralentissement, dont les effets entraîneraient une croissance du produit intérieur brut estimée à 3,7 % en 2021. Pis encore, cette croissance peut passer sous un balayage électoral à un taux de 2,3 %, menant ainsi à une baisse du revenu des ménages américains estimé à 3 300 dollars.
Même but, avec des différences
La victoire de Joe Biden occasionnerait certainement un changement de style, mais la différence sera au final assez minime, selon Mark Zandi et Bernard Yaros. Les deux candidats cherchent, non plus à promouvoir la globalisation néo-libérale, mais plutôt, à conférer aux pouvoirs publics américains un pouvoir accru sur les flux économiques. Chaque candidat mobilise des instruments de négociation différents pour y parvenir. À preuve, Donald Trump a déjà entamé une mondialisation fondée sur la priorisation des intérêts nationaux, sur le régionalisme plutôt que sur le multilatéralisme et sur la pression plutôt que sur le droit. Joe Biden promet quant à lui de passer du Free trade au Fair trade par le recours au multilatéralisme. Il n’exclut pas, en revanche, d’appliquer agressivement les lois commerciales américaines, chaque fois qu’il jugera que la tricherie étrangère constitue une menace pour les emplois américains.