Claude Morin, Le Devoir, 22 novembre 2019
Le 10 novembre dernier, le président Evo Morales et plusieurs de ses ministres démissionnaient. Ils réagissaient à l’escalade de la violence à La Paz et ailleurs. Ils croyaient mettre fin à la contestation des élections et ramener la paix.
Ce dénouement correspond au schéma des « révolutions de couleur » pensé par Gene Sharpe et appliqué localement sous la supervision de la CIA. La manière dont le processus s’est déroulé montre que les instigateurs suivaient un scénario.
La déclaration de l’Organisation des États américains (OEA) à propos du délai dans la transmission des résultats a donné le la. Les protestations se sont transformées en actions violentes. Des hordes paramilitaires ont assailli les partisans de Morales et de son parti (MAS). Un climat de terreur s’est installé.
La défection des appareils de sécurité répondait aussi au plan. Le coup de grâce fut le dépôt du rapport provisoire de l’OEA et l’adhésion publique des forces armées au plan en « suggérant » à Morales de se retirer. L’armée annonçait qu’elle n’assurait plus la protection des autorités.
Des opérations antérieures annonçaient déjà ce coup d’État. Carlos Mesa, arrivé en seconde place, a été le premier à invoquer la fraude, mais Fernando Camacho a été l’acteur le plus virulent en réclamant la démission de Morales.
À la tête de comités civiques constitués sur le modèle des phalanges franquistes, il a dirigé les attaques. Déjà en 2016, l’opposition s’était mobilisée contre le référendum pour autoriser un troisième mandat. Elle avait fabriqué des mensonges pour discréditer Morales, de sorte que le « non » l’avait emporté par une marge de 2 %.
Déséquilibre
Le coup d’État a créé un énorme déséquilibre en produisant plus de perdants que de gagnants. Sous Morales, tous les Boliviens avaient profité de la croissance, les pauvres plus que d’autres. Morales s’est montré conciliant avec l’élite économique, mais la droite finit par trahir afin de gouverner directement et prendre sa revanche. Les partisans de Morales ont tout à redouter d’un nettoyage ethnique et d’une destruction des acquis. La résistance a commencé dès l’annonce de la démission forcée.
Les putschistes ont échoué à préserver les apparences d’une transition constitutionnelle. La sénatrice d’opposition Jeanine Áñez s’est autoproclamée présidente en l’absence des parlementaires du MAS, donc sans le quorum. Les démissions n’ont pu être validées comme l’exige la loi. Brandissant la Bible, elle a reçu l’écharpe présidentielle des mains du chef de l’armée.
Son cabinet se compose de ministres ultraconservateurs. Les ministres de l’Intérieur et des Communications menacent de s’attaquer à tous les « séditieux ». Ils créent un « ennemi intérieur ». Les hauts commandements de la police et de l’armée ont été changés. Des élections auront lieu avec un nouveau Tribunal électoral. Morales et García Linera seront inéligibles. On peut craindre qu’elles soient truquées […].
La droite n’a pas pris le pouvoir pour le perdre dans des élections. Criminalisant la résistance, elle se donne le temps de décimer le MAS qui détient une majorité aux deux chambres. On prépare même le terrain pour s’affranchir de sa participation pour la refonte du Tribunal électoral. Le gouvernement putschiste a déjà réaligné ses relations extérieures.
Deux rapports indépendants ont conclu que les « irrégularités » dénoncées par l’OEA s’expliquaient et n’auraient pas mis en cause la victoire de Morales dès le premier tour. On ne peut parler de « fraude » comme l’a fait Luis Almagro le 12 novembre lors de la réunion extraordinaire de l’OEA.
Donald Trump a salué la démission de Morales comme « un moment significatif pour la démocratie ». La vérité est que les États-Unis ont été le cerveau de ce coup d’État. Les acteurs boliviens l’ont réalisé sous la conduite de l’ambassade à La Paz et de la CIA, avec la participation d’exilés installés aux États-Unis, en relation avec des parlementaires de ce pays. Le secrétariat de l’OEA a été un complice. L’objectif était un changement de régime en Bolivie afin d’y installer un gouvernement ami.