David Amalric et Joana Sisternas Tusell David Amalric et Joana Sisternas, Africultures , 8 octobre 2018
En ce début octobre 2018, alors que Bolsonaro lui-même déclare une nouvelle fois la guerre aux activistes politiques et combattants pour les droits des minorités et des populations opprimées, plusieurs militants ont été menacés, agressés, et tués. Et ce, dans un climat latent de violences d’Etat dont David Amalric et Joana Sisternas Tusell étudient le caractère profondément raciste.
Dans une favela de la zone Sud de Rio de Janeiro
Rio de Janeiro, 10h45 : une matinée de mai ensoleillée dessine la perspective d’un samedi plein de bonne humeur, d’allers et venues à la plage, de repas en famille au coin de la rue, d’odeurs de churrasco et de joutes musicales entre voisins. Après quelques minutes de balade dans les petites ruelles humides de cette favela centenaire, suspendue aux flancs d’une colline de la baie de Rio, et contrairement à l’ambiance festive qui était attendue, je tombe sur une scène tendue entre quelques habitants de la localité et les policiers de l’Unité de Police Pacificatrice (UPP) qui contrôlent ce territoire depuis 2009.
C’est une petite placette, symbole d’un passé de luttes et de l’histoire collective de cette « communauté », qui a été spontanément choisie par une cinquantaine d’habitants pour manifester contre les violences policières. En face du siège de l’association d’habitants de la localité, une femme ronde, noire, petite, portant un débardeur blanc usé et campée sur de vieilles claquettes de plage, fait face à l’un des policiers. Visiblement affolée, elle projette toute sa colère contre un jeune homme blanc au crâne rasé, corpulent, vêtu d’un uniforme et muni d’un grand fusil. La simplicité et la fragilité de ce petit corps noir enragé s’opposent en un simple geste à l’inexpression robotique (presque provocatrice) de celui qui exécute aveuglément la violence d’État.
Les policiers de l’UPP ont tiré sur un jeune homme ce matin pendant une ronde dans la forêt aux abords de la favela et l’ont grièvement blessé. L’argument de la légitime défense utilisé par les agents est démenti par les quelques témoins ayant assisté à la scène. Ils dénoncent d’un côté la brutalité et l’arbitraire de l’action, et de l’autre, les manquements dans l’assistance portée à la victime ; le jeune homme n’aurait pas été évacué assez rapidement, et ce parce qu’on l’accuse de participer au trafic de drogues. Cette scène, une parmi tant d’autres, manifeste la déshumanisation d’une jeunesse noire brésilienne, constamment associée au crime organisé et assassinée en toute impunité par une institution policière héritière des méthodes dictatoriales, et ceci au nom d’une certaine « justice » qui serait paradoxalement faite aux marges de la légalité. Cette logique honteuse qui se traduit parfaitement dans le proverbe « bandido bom é bandido morto » n’est pas propre aux seuls policiers ; elle est assumée sans gêne par une grande partie de la population et rendue ainsi légitime aux yeux d’une bonne partie de l’opinion publique.
Une jeune femme noire se tient sur le pas de la porte de l’association d’habitants ; le poing levé, elle adresse avec défiance aux policiers un : « NAO VAI TER COPA ». S’estimant maltraités, discriminés et persécutés par une police censée les protéger, les habitants de cette favela crient en ce jour leur résistance.
Ce jeune homme grièvement blessé, ces habitants qui crient leur colère : la scène, dans les favelas de Rio de Janeiro, n’a rien d’exceptionnel. En 2014, à la veille de la Coupe du monde de football, le nombre de morts suite aux conflits armés avec la police s’élève, dans l’État de Rio de Janeiro, à 584 en 2014, et en 2015, à 645. Les chiffres de la violence policière sont par ailleurs biaisés, et souvent occultés partiellement des statistiques officielles. Les enquêtes, souvent, n’aboutissent pas, sont excessivement différées et ralenties. Mais quand on considère ces morts, qu’elles soient intentionnelles ou « collatérales », on se heurte à un fait statistique massif : plus de 71 % des personnes tuées au Brésil sont noires. Selon la Commission d’enquête du Sénat sur l’assassinat des jeunes, toutes les 23 minutes un jeune noir meurt assassiné au Brésil. Si les assassinats commis par la police aux États-Unis ont fait l’objet d’un traitement médiatique important en France, ce n’est guère le cas de la situation brésilienne. La comparaison statistique est pourtant saisissante, puisque, rapportée à la population globale du pays, le nombre de personnes tuées suite à une opération policière est plus de sept fois supérieur au Brésil.
Dans ces statistiques imposantes se côtoient les cas qui sombrent dans une routine de la violence, ceux que les médias passent sous silence ou mentionnent en passant comme un simple chiffre, et ceux que les habitants, citoyens et militants parviennent à arracher à l’invisibilité. Certains cas sont si choquants qu’ils finissent irrémédiablement par faire les gros titres, échappant de manière éphémère à l’oubli médiatique : Cláudia Silva Ferreira, tuée d’une balle perdue et traînée sur près de trois cents mètres par une voiture de police qui voulait faire disparaître le corps ; Eduardo Santos Victor, 17 ans, que des policiers de la favela de Providência assassinent par erreur avant de déposer une arme dans sa main pour faire croire à un affrontement (c’est la vidéo faite par un habitant qui permettra de faire apparaître la mise en scène) ; ces cinq jeunes adolescents du quartier de Costa Barros, qui venaient de commémorer le nouvel emploi de leur ami, pris pour des trafiquants par la police et criblés de 111 balles dans leur voiture ; Maria Eduarda, 13 ans, atteinte par une balle perdue de la police en plein cours de sport dans le gymnase de son collège, suite à un affrontement entre policiers et trafiquants. Toutes ces victimes avaient en commun d’être noires et pauvres.
Peu de corrélations suggèrent aussi pleinement l’évidence d’un racisme d’État dans un pays persuadé d’être une « démocratie raciale ». Un tel mythe, appuyé sur un imaginaire du « mélange des races », a longtemps servi au Brésil à discréditer toute accusation de racisme. À partir de la fin du XIXe siècle, les intellectuels brésiliens se mettent à considérer que, à la différence notamment des États-Unis, le Brésil serait marqué par la tolérance raciale et la coexistence harmonieuse, mais aussi par un « dégradé » de métissage rendant inadéquate toute idée d’une division binaire entre des races inégales. Or depuis les années 1980, l’essor des mouvements noirs au Brésil contribue à faire apparaître cette vérité massive d’un racisme profondément ancré dans la structure sociale brésilienne. Selon les données de l’IBGE (Institut brésilien de géographie et de statistique) en 2014, 76 % des plus pauvres au Brésil sont noirs. Et ce racisme se décline en innombrables discriminations contre le corps noir, ce corps qu’on rejette de certains espaces (ascenseurs « sociaux » des immeubles de classe moyenne, centres commerciaux des quartiers huppés), ce corps qu’on se sent davantage en droit de traiter en objet, de suspecter, de violenter, de faire disparaître ou de traîner depuis le coffre d’une voiture.
L’esclavage et la dictature en héritage
La discrimination raciale institutionnalisée au Brésil est sans aucun doute possible l’héritage de l’esclavage ; il ne faut pas oublier que ce pays a eu la période d’esclavage la plus brutale et la plus longue du continent américain et qu’il n’y a jamais eu de véritables mesures réparatrices afin de garantir une place égale aux citoyens noirs. Et c’est dans l’histoire de la colonie portugaise que s’enracine celle de la police militaire. Au début du XIXe siècle, le roi Dom João VI craint qu’ait lieu au Brésil une révolte similaire à celle d’Haïti. Il crée en 1809 la « division militaire de la garde royale de la police », embryon de la police militaire telle qu’on la connaît aujourd’hui. Constituée dans ses origines comme outil de répression des esclaves, la police militaire ne modifie que marginalement ses objectifs et ses méthodes après l’abolition de l’esclavage, en 1888 – qui est au passage la plus tardive de toute l’Amérique. Les anciens esclaves constituent désormais une « classe dangereuse » qu’il s’agit de maîtriser et de tenir en respect. La police militaire pratique à cette fin des brimades quotidiennes et n’hésite pas à tuer fréquemment perpétuant le traitement réservé aux corps noirs avant l’abolition. De simples manifestations culturelles comme la capoeira sont sévèrement punies, et le moindre délit peut donner lieu à des coups de fouet en place publique. Donner la mort constitue à ce titre un recours parmi d’autres pour juguler une population noire dépourvue de véritables droits et systématiquement criminalisée. Plus de deux siècles après sa création, la police militaire continue de porter la trace de cet héritage colonial. Pour s’en convaincre, il suffit d’écouter l’enregistrement effectué dans une voiture de police peu avant la célébration de la Coupe du monde, où l’on entend des officiers déclarer qu’il faut tuer trois adolescents accusés de vol afin de « réduire le nombre d’entre eux, et atteindre ainsi l’objectif fixé ».
Il faut ajouter que vingt ans de dictature militaire ont également contribué à la banalisation des assassinats et des tortures. Et la fin de la dictature n’a pas mis fin à l’impunité de leurs auteurs : la plupart des gradés de la police et de l’armée sont restés les mêmes après la démocratisation. Aussi, l’on assiste depuis quelques décennies à la constitution de groupes privés prenant la justice à leur compte en toute impunité et qui ne font qu’aggraver le compteur des violences urbaines dans l’État de Rio de Janeiro. Le documentaire Nossos mortos têm voz, de Fernando Sousa et Gabriel Barbosa, décrit cette généalogie saisissante : aux « escadrons de la mort » des années 1970, payés par les commerçants et entrepreneurs pour assassiner des criminels avérés ou potentiels, succèdent dans les années 1980 et 1990 les « groupes d’extermination », puis de nos jours, les « milices », véritables mafias composées d’anciens policiers et agents de sécurité, qui systématisent ces pratiques en faisant des exécutions un recours extrêmement fréquent. Parallèlement, face au développement du narcotrafic dans les favelas depuis les années 1990, l’État s’engage dans une « guerre contre les drogues » qui ne laisse la place qu’à d’incessants affrontements entre policiers et trafiquants, à la faveur le plus souvent d’incursions ponctuelles menées par les troupes d’élite du Bataillon d’opération spéciales de la police militaire (BOPE). Cette « guerre » nullement métaphorique se traduit par des niveaux de létalité policière jusque-là inédits. On comprend à ce stade que les morts « collatérales » n’ont en rien un statut d’exception : elles sont au contraire un effet absolument constant de ces actions meurtrières. Plusieurs fois des hélicoptères de la police tentent de mitrailler depuis les airs des trafiquants, semant sur leur passage quantité considérable de balles perdues. La dernière fois en date, ce 20 juin 2018, ils prennent la vie du jeune Marcos, âgé de 14 ans, sur le chemin du collège, et de sept autres personnes. Et lorsque, comme en témoignent de très nombreux cas, un jeune noir qui court est considéré par la police comme un suspect dangereux qu’il vaut mieux abattre, on comprend à quel point le racisme est ici institutionnalisé.
« Pacification » ou perpétuation d’une logique de guerre ?
Dernière inflexion en date dans les politiques de sécurité publique, l’installation des Unités de Police Pacificatrice (corps de police spécialisé dans le contrôle de l’ordre public dans les favelas cariocas) était censée apporter une certaine stabilité – en termes de violence – dans les zones centrales et nobles de Rio de Janeiro, et c’est dans ce cadre qu’il faut situer le récit qui ouvre cet article. Un changement de paradigme était alors annoncé : abandon de la désastreuse politique de « tolérance zéro » pour apporter des solutions à plus long terme. Il s’agissait d’installer une sorte de police communautaire « pacificatrice » – paradoxalement lourdement armée – dans les favelas voisinant avec les quartiers chics et les zones touristiques de la ville. Le simple choix des favelas à « pacifier » – qualifiées par le grand public de « ceinture olympique » – semait d’emblée le doute sur les intentions réelles du programme : protéger les habitants des favelas de la violence issue du narcotrafic ou favoriser un sentiment de sécurité pour les milliers d’étrangers attendus lors des méga-événements sportifs à Rio ? Les sentiments étaient partagés à l’époque ; de nombreux habitants souhaitaient l’intervention de l’État afin d’améliorer leur qualité de vie alors que d’autres accusaient le gouvernement de se contenter de mesures para o inglês ver. Parmi les critiques adressées au programme, on reprochait notamment à l’État de perpétuer une logique de guerre à l’encontre des territoires dits périphériques ou informels de la ville. La militarisation des rapports sociaux et le contrôle répressif des populations noires appauvries continuaient à définir l’agenda et les modalités de l’intervention publique.
Loin d’accomplir les promesses tenues (et ce malgré les bons résultats escomptés lors des toutes premières années de mise en place du programme), la « pacification » a reconduit la logique d’intervention étatique violente, causant de plus en plus de blessés et de morts parmi la jeunesse des favelas. Dans la favela de Providência, un groupe de policiers de l’UPP connu comme « bonde do Paulo » (bande à Paulo) est dénoncé pour le harcèlement et les assassinats d’habitants qu’il pratiquerait en toute impunité, à la manière d’un groupe mafieux de miliciens. Les dysfonctionnements du programme gagnent notamment en évidence avec sa pérennisation à partir de 2013 (le trafic de drogue a eu le temps de se réorganiser et de s’adapter à la nouvelle situation), du fait de la tentative d’envahir des favelas plus grandes et au fonctionnement plus complexe (les UPP rencontrent dans les grandes favelas des difficultés majeures pour parvenir à contrôler militairement le territoire ; ceci se traduit en de nombreux conflits armés rendant visible la facette la plus violente du programme qui disait « amener la paix »), mais aussi du fait des tensions engendrées dans le pays par les premiers signes de déstabilisation économique et l’émergence de mouvements de protestation sociale. Le cas de l’aide-maçon Amarildo de Souza devient à ce moment emblématique. Cet habitant de la favela de Rocinha (la plus grande de la zone sSud de Rio de Janeiro) disparaît sans explications alors qu’il a été vu pour la dernière fois en train d’être emmené par les policiers de l’UPP. Peu à peu le mot d’ordre « Où est Amarildo ? » commence à circuler massivement, à être repris comme un slogan dans les manifestations et repris sur les réseaux sociaux par un nombre d’usagers considérable. Des centaines de milliers de personnes défilent devant la favela de Rocinha, troublant la tranquillité des quartiers riches adjacents de Gávea et São Conrado. Amarildo devient le symbole de toutes ces victimes d’une violence qui ne dit pas son nom. L’enquête révélera que les policiers de l’UPP sont bien responsables de la mort d’Amarildo, et qu’il est décédé suite aux tortures visant à lui soutirer des informations sur le trafic de drogue qu’il ne possédait probablement pas.
Résister, occuper : des réseaux sociaux aux lycées publics
De plus en plus de voix s’élèvent donc ces dernières années contre les violences policières et le racisme d’État, à l’image de ces habitantes décrites en ouverture de ce texte, et faisant courageusement face aux policiers de l’UPP. Plusieurs collectifs issus des favelas s’attachent à dénoncer les morts quotidiennes suites aux opérations, ont recours aux réseaux sociaux pour les rendre publiques, et, souvent, contraindre ainsi les grands médias à un traitement de l’information qu’ils tendraient à éviter. La généralisation d’internet et des smartphones fournit aux habitants des moyens inédits de dénonciation et de diffusion. Une application intitulée « Nós por nós » (« Par nous-mêmes, pour nous-mêmes ») est lancée en 2016 par un collectif de militants issus des favelas ; elle permet de dénoncer de manière anonyme les abus et violences policières, en les localisant sur une carte de Rio, et en joignant à son témoignage des photos et vidéos.
C’était là l’un des combats de la conseillère municipale Marielle Franco, assassinée le 14 mars 2018, sa voiture criblée de balles après avoir été suivie à la sortie d’une réunion militante (intitulée « Les Noires font bouger les structures »). La dernière intervention publique de Marielle dénonçait les nombreux assassinats commis par la police dans la favela d’Acari. Originaire du complexe de favelas de la Maré, elle consacrait son mandat à lutter contre les innombrables manifestations du racisme et du sexisme dans la société brésilienne, et l’absurdité de la politique de guerre contre les drogues. Farouchement opposée à l’intervention militaire mise en place à Rio de Janeiro par le président Michel Temer, elle faisait également partie de la commission d’enquête sur les « milices », ces nouvelles mafias de plus en plus omniprésentes dans la périphérie de Rio de Janeiro, qui entretiennent des liens organiques avec la police militaire. C’est probablement par des miliciens, policiers ou ex-policiers, que son assassinat a été commandité. Il s’agissait de réduire au silence une voix qui dérangeait, et dérangeait d’autant plus que c’était la voix avertie, critique et déterminée d’une « favelada » noire, occupant un espace institutionnel dont elle aurait dû être exclue.
Avec Marielle, le Brésil comptait un corps noir de plus assassiné par la police, mais, cette fois-ci, c’était l’un des symboles de la résistance populaire et des luttes du mouvement noir et féministe qui était brutalement exécuté. Et le fait que son assassinat n’ait d’aucune manière été camouflé en accident témoigne qu’il s’agissait aussi d’« envoyer un message » à celles et ceux des favelas qui osent dénoncer et s’opposer ; Nombre d’entre ces militants cauchemarderont les nuits suivantes leur propre assassinat… Mais cela n’empêchera pas une foule gigantesque de se lever au lendemain de la mort de Marielle et de gagner les rues de Rio aux cris de « Pour Marielle je dis non, je dis non à l’intervention », « Ils ne nous feront pas taire », « Pas d’hypocrisie, cette police tue des Noirs tous les jours ». Le deuil, la tristesse et l’effroi laissent place à la colère et à la révolte. La diversité des manifestants fait ici bloc pour incarner et défendre le combat de Marielle, et esquisser ensemble un début d’espoir face à cette adversité impitoyable. Sur une pancarte on lit : « Ils ont voulu t’enterrer, sans savoir que tu étais une graine ».
Dans la foule des manifestants, les milieux sociaux et les générations se côtoient. Les plus jeunes sont lycéens. Certains d’entre eux, issus pour la plupart des favelas et de la banlieue de Rio, ont occupé leur lycée il y a deux ans de cela, en 2016. Pendant quatre mois d’un mouvement inédit, ils ont habité et réinvesti leurs lieux de cours, organisé collectivement les tâches ménagères, pris leurs décisions au cours d’assemblées générales régulières, invité des intervenants extérieurs pour qu’ils réalisent divers ateliers. Face aux conditions désastreuses de l’enseignement public et à l’état d’abandon des infrastructures scolaires dans l’État de Rio de Janeiro, ils ont revendiqué fermement des améliorations qu’ils ont dans plusieurs cas obtenus. Alors qu’ils occupaient leur lycée, ils ont été exposés à la violence des opérations policières : c’est parfois à plat ventre dans le couloir, le plus loin possible des balles « perdues », qu’ils ont été contraints de dormir. Le 7 mai 2016, au cours d’une nuit d’affrontements particulièrement violents, onze personnes sont tuées dans la favela de Providência. Dans le lycée occupé CAIC-Tiradentes, situé au pied de la favela, une des occupantes a perdu son frère. Une autre, son cousin. Le BOPE (troupes d’élite de la police militaire) reste alors pendant huit jours dans la favela ; il entre sans mandat chez les habitants, tente de les intimider, éventre les matelas et canapés à la recherche de drogues, multiplie les contrôles et arrestations injustifiées. Un des lycéens se fera d’ailleurs embarquer par erreur. Les brimades, les interrogatoires et les contrôles arbitraires sont pour les occupants une routine, tout autant que les échanges de tir et leurs balles perdues. Mais dans le terrible vacarme des affrontements, ils continuent d’occuper, coûte que coûte. Ils continuent d’apprendre ensemble à faire de la politique, à délibérer collectivement, à critiquer l’ordre établi. Et à mettre des mots sur le racisme, les discriminations et les violences dont ils sont victimes au quotidien. Dans un Brésil en crise à tous les niveaux, cette nouvelle génération de lycéennes et de lycéens représente peut-être la « graine » de l’espoir et des résistances à venir.