Vingt ans après la victoire de Lula à l’élection présidentielle brésilienne, le scrutin de 2022 risque, comme celui de 2018, d’être soumis à son calendrier judiciaire. En attendant, le Parti des travailleurs accumule les échecs et peine à rassembler une
Rio de Janeiro (Brésil).– Une altercation, un festival de trahisons, les larmes du président du perchoir au moment de quitter son poste et une fête de 300 personnes sans masques célébrant la victoire des deux alliés de Jair Bolsonaro ont conclu, le 1er février, une saga électorale de plusieurs mois. « Les élections des présidents de la Chambre des députés et du Sénat étaient cette année particulièrement importantes, une sorte de continuation des municipales de novembre. Les équilibres politiques ont été modifiés et les oppositions vont maintenant se réorganiser », assure Josué Medeiros, professeur à l’université fédérale de Rio de Janeiro (UFRJ).
Pour le Parti des travailleurs (PT), la principale formation d’opposition, le bilan n’est pas bon. Là où certains espéraient un tremplin pour 2022, le PT est apparu apathique. Sans réelle influence sur ce scrutin, le parti a été incapable d’unifier ses troupes à l’Assemblée (52 élus sur 513 députés). « Ce niveau de division lors d’un événement majeur est l’indicateur d’une crise profonde », analyse Josué Medeiros.
Pour cette élection, le vote est secret mais plusieurs députés « pétistes » auraient voté en faveur du candidat allié au président d’extrême droite, Arthur Lira (Parti progressiste). Juste après l’élection, une députée du PT s’est présentée, contre les consignes du parti et avec le soutien de Lira, à un poste clé au sein de l’Assemblée. Du jamais vu au PT depuis 1985. Au Sénat, le parti a officiellement soutenu le candidat de Jair Bolsonaro, rendant sa ligne peu compréhensible.
« L’ensemble de l’opposition, du PT jusqu’à la droite traditionnelle, ressort affaibli de ces élections. L’implosion de la coalition du candidat de centre-droit en faveur du favori de Bolsonaro met en évidence la difficulté pour les oppositions de s’unir contre un ennemi commun », explique Tatiana Roque, professeure de philosophie à l’UFRJ et affiliée au Psol (Parti socialisme et liberté). Avec l’élection d’un allié à la présidence de la chambre basse, Jair Bolsonaro voit s’éloigner le risque d’une destitution.
« Le PT continue de fuir une réflexion nécessaire »
Le résultat des municipales de novembre était déjà préoccupant pour le PT. Pour la première fois, il n’avait remporté aucune des 27 capitales régionales du Brésil, réalisant parfois des scores historiquement bas, comme à Belo Horizonte, avec 1,88 % des voix. Après l’énorme déroute de 2016 (60 % de mairies en moins), le parti espérait se refaire lors de ce scrutin. Il n’a réussi qu’à stagner, malgré un nombre important de candidats.
Alberto Cantalice, membre de la direction nationale, reconnaît « une défaite sans équivoque ». Certaines figures de proue du parti semblent faire preuve de moins de réalisme, comme la présidente Gleisi Hoffmann, qui célèbre sur Twitter la bonne performance « d’une gauche qui sait lutter ».
Une attitude inquiétante pour Josué Medeiros : « Après une première inflexion du nombre de députés en 2014, le problème a été ignoré. Puis, en 2016, la déroute a été attribuée exclusivement à l’impeachment de Dilma Rousseff. Le PT continue de fuir une réflexion nécessaire. » Depuis les immenses manifestations de juin 2013, le parti traverse une mauvaise passe, dont il a le plus grand mal à se dépêtrer. En 2014 commence la crise économique, puis Dilma Rousseff est destituée en 2016, année de la Bérézina électorale. Enfin, en 2018, Lula est emprisonné et le PT est défait à l’élection présidentielle.
Alors qu’un « antipétisme » diffus continue de prospérer dans la société brésilienne, le parti a du mal à réagir à cette succession de coups durs. Mais le PT n’est pas mort, loin de là. Grâce à son réseau de militants présents sur l’ensemble de l’immense territoire brésilien, à ses nombreux parlementaires et à la popularité de Lula, il reste incontournable. Pour Jaques Wagner, sénateur et figure importante du parti, sa formation politique n’a pas réussi à s’adapter aux évolutions de la société, notamment dans le monde du travail, où le syndicalisme a perdu de sa superbe. Dans un entretien paru au journal The Intercept, il déclare que le parti « a été formé dans un monde qui disparaît et a besoin d’un changement générationnel ».
De nouvelles figures charismatiques ont émergé à gauche à la faveur des municipales, notamment des Noirs, auparavant presque totalement absents de la vie politique au Brésil. Sauf qu’au sein du PT, cette rénovation tardive est limitée principalement aux pouvoirs législatifs. Ailleurs à gauche, des figures comme Guilherme Boulos (Psol) se sont sérieusement consolidées et émergent au niveau national. « Mais ils se sont construits sur la durée. À court terme, le PT est en manque de nouvelles têtes », assure Josué Medeiros.
Lula incarne son parti et cette hégémonie a empêché l’émergence de nouveaux profils. Pressé par l’échéance de la présidentielle de 2022, le PT devrait choisir son candidat sans véritable consultation de la base, comme en 2010 lorsque Lula avait désigné Dilma Rousseff. « C’est plutôt bien accepté par les militants, mais c’est une tendance moins démocratique qui fait perdre une certaine énergie à ce parti qui s’est historiquement construit sur un mode beaucoup plus participatif », analyse le chercheur.
S’il y a eu de nombreuses occasions manquées, Tatiana Roque considère que « les persécutions judiciaires contre Lula ont balayé le discret mouvement en faveur d’une rénovation en interne ». Pour la prochaine échéance présidentielle, c’est d’ailleurs encore Lula, 75 ans, qui est présenté comme le candidat naturel. Quelques rares cadres sont pourtant prêts à briser le tabou publiquement.
« Notre parti est grand, d’autres noms sont solides. Lula peut nous guider, présenter notre nouveau projet, participer à la campagne… Mais il n’a pas besoin d’être candidat pour ça », assure Alberto Cantalice, qui reconnaît que ses idées rencontrent de sérieuses résistances. Le dernier mot revient de toute façon à Lula, qui, le 5 février, a annoncé que, s’il n’était pas autorisé à se présenter, il soutiendrait la candidature de Fernando Haddad, prétendant malheureux de la dernière présidentielle, resté pour le moment discret.
Comme en 2018, la stratégie du parti va dépendre d’une décision de la Cour suprême. À l’époque, les juges avaient rejeté une demande d’habeas corpus qui aurait permis à Lula de rester en liberté jusqu’à épuisement des recours, invalidant de fait sa candidature (qui fut officiellement rejetée en septembre de la même année par le Tribunal supérieur électoral).
Cette fois, ils doivent se prononcer sur l’annulation de sa condamnation. Difficile d’anticiper leur décision, mais de nouvelles révélations sur les actions très contestables du juge Sérgio Moro durant le procès pourraient influencer les juges suprêmes. Ce climat d’incertitude laisse craindre un scénario à la 2018. Pour éviter de répéter les erreurs de la dernière campagne, durant laquelle Haddad n’avait officialisé sa candidature qu’à quelques semaines de la présidentielle, les deux hommes devraient commencer prochainement à parcourir le pays.
Quoi qu’il en soit, depuis sa sortie de prison en novembre 2019 et un premier discours incisif contre Jair Bolsonaro, Lula ne s’est pas vraiment imposé comme la figure d’opposition que beaucoup espéraient. Josué Medeiros est partagé sur ses intentions. « Il dit vouloir profiter de la vie avec sa nouvelle femme, dans une région connue pour ses plages et éloignée des centres de pouvoir. Il s’est aussi fait discret pendant les municipales… » D’un autre côté, l’universitaire sait que l’homme est un animal politique, un prédateur qui sait attendre son heure. Alberto Cantalice assure, de son côté, que l’ex-syndicaliste est plus que motivé. « C’est juste que la pandémie a limité les mouvements de cet homme de terrain. »
Mais à mesure que le temps passe, le souvenir des gouvernements Lula s’amenuise et l’hégémonie conquise par le PT depuis 1999 sur le camp progressiste semble révolue. À gauche, les forces s’équilibrent progressivement. Une alliance avec un candidat « pétiste » comme vice-président sur un ticket présidentiel de gauche reste hautement improbable, « mais ce n’est plus impossible », estime Josué Medeiros.
Pas de quoi mettre à mal la relative bonne entente entre le PT et des personnalités émergentes du Psol, mais il s’agit d’un écueil de plus dans la construction d’une gauche unie. Flávio Dino, figure montante du PCdoB (Parti communiste du Brésil), vient de déclarer qu’il se retirerait de la course si Lula se présentait. « Les relations sont par contre beaucoup plus tendues avec le centre-gauche, notamment avec le PDT [Parti démocratique travailliste] de Ciro Gomes. Ce dernier a rencontré Lula en septembre, ce qui était une bonne nouvelle, mais il semble que ça n’ait abouti à rien », souligne Josué Medeiros. Or, pour le chercheur, les partis d’opposition doivent s’adapter en urgence à la logique autoritaire de Jair Bolsonaro, qui a bouleversé le jeu politique brésilien.