Felipe Milanez pour Carta Capital, 4 janvier 2018
À quelques jours du premier tour du scrutin pour l’élection brésilienne, les camps sont polarisés dans une atmosphère lourde créée par la montée de l’extrême droite. Des mouvements se mobilisent, notamment les femmes et les autochtones
Felipe Milanez pour Carta Capital
Nous sommes en train de vivre la période électorale la plus inquiétante de la démocratie. Pour la première fois, dans l’histoire du Brésil, un candidat prônant des propositions caractéristiques du fascisme – militarisation, autoritarisme, idéologie officielle, nationalisme, culte de la personnalité – et portant des discours de haine ouvertement décomplexés contre les « minorités » a des chances d’arriver au pouvoir par le vote démocratique. C’est une contradiction effrayante : la démocratie prêchant sa propre fin.
En s’autodétruisant, ils veulent surtout détruire « l’autre » : Noirs, Quilombolas, populations autochtones, LGBTQI, communistes, n’importe qui pouvant être étiqueté de « vagabond », « filou », « indolent » et se voir exécuter par la police en toute impunité.
Il est effrayant de voir comment l’avenir peut être si sombre.
Résultant d’un processus complexe d’érosion du contrat social, marqué par l’hégémonie du néolibéralisme, du sacrifice de la démocratie en faveur du capitalisme, le nouveau « fascisme social », comme l’appelle Boaventura de Sousa Santos, est marqué par l’Apartheid social, le fascisme parapublic et le fascisme de l’insécurité.
Les peuples autochtones sont l’une des victimes les plus vulnérables de l’émergence de ce fascisme social, qui détient, avec l’industrie agroalimentaire, un puissant tracteur pour avancer. Un rapport du Conseil des droits humains a classé la situation des peuples autochtones, vivant dans le sud du Brésil – justement là où le candidat fasciste est fortement appuyé, comme « contexte d’apartheid ».
Et c’est justement lors de ces élections, alors que le fascisme quitte ses grottes que 130 personnes qui s’identifient comme autochtones, se présentent aux élections législatives et exécutives. Il est triste de constater que, malheureusement, beaucoup de ces candidats autochtones sont du côté de la droite et vont jusqu’à soutenir un fascisme qui prêche la destruction de l’Indien et qui ne délimitera pas un pouce de terres autochtones.
Cela ne devrait pas être surprenant – car l’homogénéisation des sociétés est un vieux leurre du colonialisme et du racisme. Il suit la même contradiction de la classe ouvrière qui vote pour ceux qui défendent la réforme du code du travail et de la fin de tous les droits sociaux qui maintiennent leurs propres vies. Un grave problème de conscience de classe.
Selon Francisco Piyãko, le candidat du Parti Socialisme et Liberté (PSOL), à député fédéral pour l’Acre, ces indigènes sur les estrades du candidat fasciste « défendent leurs propres intérêts ». Et, selon lui, pas les intérêts des peuples autochtones.
Piyãnko dit : « De la même façon qu’il y a des Indigènes qui sont en train de lutter farouchement pour la défense de leur origine et de leur l’histoire, qui ont vécu ces processus de combat, il y a ceux qui ne participent pas à ce processus, qui n’ont pas ce vécu de lutte, et qui utilisent l’image de l’indigène comme une marchandise, surtout en politique. Ils s’exhibent sur les estrades des adversaires en échange de quelque chose. Ce n’est pas qu’ils représentent les intérêts autochtones, ils représentent leurs intérêts, leurs propres intérêts. Ce sont des gens qui font leurs propres affaires. »
Avec Guilherme Boulos, son compagnon de parti et candidat à la vice-présidence pour le PSOL, Sonia Guajajara a été catégorique dans ses discours en affirmant que la lutte indigène n’est pas une lutte à séparer des autres problèmes sociaux, mais une lutte à part entière pour la démocratie : « En ce moment, ce qui est important c’est de s’unir pour combattre le fascisme qui est là au quotidien, s’élevant contre nous, dans les rues, dans les réseaux, contre nous » a-t-elle déclaré lors du programme télévisé de Mariana Godoy sur la chaîne RedeTV. Dans son dernier discours à Salvador, vendredi 21, Sonia a souligné la nécessité d’unir les luttes pour combattre le fascisme. « Le fascisme tue, nous résisterons et réagirons à l’avancée du conservatisme ! »
Il existe d’autres candidats des peuples autochtones, à gauche. Des candidats qui eux défendent les droits de leur peuple en tant que droits sociaux de toutes les minorités et combattent le fascisme : Cristine Takua se présente sous un mandat collectif pour le PSOL, à São Paulo ; pour le PSOL également, Kerexu, la cacique de village Morro dos Cavalos, où vit le peuple Guarani Mbya, au cœur de l’Apartheid social de l’État de Santa Catarina ; Telma Taurepang, pour le Parti Communiste Brésilien (PCB), est en lice pour le Sénat pour l’État de Roraima, face à un ennemi historique des peuples autochtones, Romero Jucá ; le cacique Aruã Pataxó se présente pour le Parti communiste du Brésil (PCdoB), à Bahia, un parti qui compte également sur la candidature de Mario Nicácio, à Roraima, entre autres.
Si la mobilisation indigène de gauche ne date pas d’aujourd’hui, il y a sans aucun doute un renouveau. Au début de la Nouvelle République, dans l’Acre, le cacique du peuple Yawanawá, Biraci Brasil Nixiwaka, alors affilié au PCdoB, s’est présenté comme député fédéral aux côtés de Chico Mendes. [1] Le réalisateur britannique Adrian Cowell [2] a documenté un discours de Bira Nixiwaka aux côtés de Chico lors duquel il critiquait le développementalisme qui détruisait l’Amazonie, « Le traçage de la route BR 364 est un danger pour les peuples de l’Amazonie. Où sont les travailleurs ruraux ? Le gouvernement de la Nouvelle République utilise les banques de développement comme monnaie d’échange dans les négociations avec les grandes entreprises multinationales. »
S’il est effrayant « de voir le monstre émerger du lac », il est également beau de voir, dans le même État où Chico Mendes a été assassiné, il y a 30 ans, apparaître des candidatures comme celle de Francisco Piyãko, dirigeant du peuple Ashaninka. Bira Nixiwaka, qui est avec Piyãko et de nombreux autres caciques et leaders seringueiros dans l’État de l’Acre, a donné un bref entretien téléphonique au sujet des préoccupations actuelles concernant ces élections.
Felipe Milanez : Quel est l’objectif de votre candidature ?
Francisco Piyãko : Elle représente la lutte des peuples autochtones et non autochtones pour la garantie de leurs droits. Nous sommes sérieusement menacés. Tous nos droits conquis, nos territoires, nos histoires sont tout bonnement menacés. Et pas seulement menacés, il y a des propositions clairement faites pour envahir nos territoires, affaiblir notre lutte, nous déposséder de notre identité et de qui est le plus sacré à nos peuples. Cette candidature ne représente pas seulement une lutte pour préserver les droits des peuples autochtones, mais aussi les segments les plus vulnérables de la société.
FM : Quels sont vos principaux projets en tant que leader indigène de l’Amazonie ?
FP : Le projet principal vise à protéger la forêt en luttant contre la déforestation, à protéger les populations de la forêt en luttant contre la violence qui leur est faite. Ce n’est pas un problème spécifique à l’Acre, c’est une problématique amazonienne et planétaire. Je suis ici dans l’Acre, je viens d’une ethnie, d’un peuple d’ici, de l’Acre, mais la force de ce mandat consiste à défendre des causes qui dépassent la frontière du peuple Ashaninka, ou des peuples autochtones ou des peuples de l’Acre. Ce mandat est amazonien.
Autre question ; le fait que les villes de l’Acre sont des villes dans la forêt. Nous devons penser à des modèles de villes durables, penser à des valeurs qui ne sont pas débattues dans le modèle actuel. Il existe une très forte friction, une guerre, entre ville et forêt, choses qui pourraient marcher ensemble. Il faut faire en sorte que ces causes soient nôtres, de nous tous. L’impact de la destruction d’une forêt de cette ampleur atteindra la population des villes.
L’impact de la perte de biodiversité, des peuples qui cessent d’exister, affecte tout le monde. C’est l’équilibre, dans cette diversité de peuples, de connaissance, qui a une grande importance. Il faut en comprendre le sens. Il faut activement former la jeunesse, dans les universités, dans les institutions éducatives, pour être compris par les politiciens et la puissance publique. Tout le monde y gagne. Le manque de compréhension, de sensibilité à ces valeurs, de l’importance de l’unité entre tous, c’est ce qui fait que nous ayons une société de tant d’injustices, de tant de pauvreté, de tant de guerres et de tant de conflits, dans laquelle les jeunes ne savent pas où aller.
Nous aurons un autre outil pour combattre : le renforcement et l’autonomisation des mouvements sociaux, qu’ils soient indigènes ou non indigènes, des mouvements de base mais aussi des différentes croyances. Nous devons construire un autre concept et la politique doit se renouveler et innover.
FM : Votre candidature est soutenue par des proches de Chico Mendes, qui a dirigé l’Alliance des peuples des forêts avec Ailton Krenak, et a également émergé d’un mouvement populaire local mais a acquis une dimension mondiale. Quelle est la relation ?
FP : Chico Mendes a été un grand leader, un porte-parole que nous avons tous comme référence. Chico Mendes ne pensait pas seulement à créer des réserves, il a toujours discuté du modèle de développement durable. Les drapeaux de la lutte n’étaient pas en retard sur leur temps, ils cherchaient la sécurité, l’éducation et le développement sans perdre de vue les valeurs de la tradition de la forêt. C’est ce que je fais quotidiennement avec nos Ashaninka.
Nous devons refaire une alliance, un mouvement où nous pourrons avoir plus d’autonomie. Sinon, nous redeviendrons esclaves. Nous courons un très grand risque de perdre nos conquêtes. Je crois que le moment est maintenant à l’union des peuples. Nous ne rendrons pas nos conquêtes.
Notre forêt est importante debout, notre biodiversité est importante, notre diversité de savoirs sur les peuples des forêts est importante. Ce n’est pas une marchandise, c’est notre vie et je vais la défendre tous les jours. Les drapeaux sont très clairs. Protéger, garantir, maintenir ces acquis historiques est un objectif. Aujourd’hui, pour nous renforcer, il est nécessaire de promouvoir le développement durable de cette population des forêts.
[1] Chico Mendes, 1944-1988
[2] A. Cowell (1934-2011) a filmé sans interruption le Brésil et en particulier l’Amazonie dont il a surement la plus grande collection d’images sur la mémoire de l’Amazonie et ses peuples. Dans les années 1980, il produit la série télé-documentaire “La Décénie de destruction » ; mis aussi le Cendres de l’Amazonie ou « Je veux vivre » sur Chico Mendes. Au final, ce sont plus de 7 tonnes de bandes qui ont été donnée à l’université de la PUC de Goias. Cette collection Adrian Cowel est tout à fait inestimable avec des films en 16 mm, des cassettes ; desenregistrements audio, des photos et des journaux de terrains sur l’Amazonie.)