Brésil : les favelas et les peuples autochtones en grand danger

IVAN DU ROY, Autres Brésil 30 MARS 2020

 

Dans les quartiers pauvres des grandes villes brésiliennes, surpeuplés, le confinement est presque impossible. Les médecins demandent des moyens pour le service public de santé. Le président d’extrême droite, Jair Bolsonaro, rejette toute mesure de lutte contre la propagation du coronavirus.

« L’ironie, c’est que cette maladie a été amenée au Brésil par avion, par les riches, mais c’est chez les pauvres qu’elle va exploser. » L’alerte est lancée le 23 mars par Paulo Buss, médecin pédiatre et responsable de la fondation Oswaldo-Cruz (Fiocruz) qui, sous l’égide du ministère de la Santé brésilien, coordonne la recherche, la production de vaccins et, désormais, la diffusion de kits de dépistages du coronavirus [1]. Le Brésil connaît alors depuis quelques jours ses premiers morts liés au Covid-19. Dans l’État de Rio de Janeiro, la première victime de l’épidémie est d’ailleurs une femme de ménage de 63 ans, contaminée par son employeur qui a ramené le coronavirus d’Italie [2].

La Fiocruz s’inquiète particulièrement pour les favelas, ces quartiers populaires densément peuplés et largement dépourvus d’infrastructures de base, comme le raccordement des habitations à l’eau courante. Plus de onze millions de Brésiliens (6 % de la population) vivent au sein des 6300 favelas recensées du pays. « Beaucoup des mesures adoptées ou des recommandations, toutes correctes, ne sont pas adaptées à ces populations qui vivent dans les favelas de Rio ou de São Paulo, par exemple. S’essuyer les mains avec du gel à l’alcool, utiliser des mouchoirs en papier, isoler les malades dans une des pièces de la maison… Comment mettre en quarantaine des maisons d’une seule pièce, avec plusieurs résidents qui y vivent, où souvent il n’y a même pas de salle de bain ? », s’interroge le médecin Valcler Rangel, membre de la Fiocruz [3].

À défaut d’accès à l’eau, les habitants des favelas n’ont en plus pas les moyens de se procurer du gel hydroalcoolique – dont le prix connaît une inflation délirante avec la crise sanitaire. Dans ces conditions, l’arrivée du virus pourrait faire des ravages. D’autant que les favelas sont déjà en général des zones propices à la propagation de maladies. À Rocinha, l’une des plus grosses favelas de Rio – plus de 70 000 habitants –, la tuberculose y fait déjà des dégâts, avec 300 cas pour 100 000 habitants selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), un indice 11 fois plus élevé que la moyenne nationale.

Bolsonaro veut que tout continue comme si de rien n’était

La fondation Fiocruz vient de lancer, avec l’appui de l’OMS, la construction d’un hôpital en préfabriqués de 200 lits spécialement destinés aux malades du Covid-19. L’hôpital sera situé dans la périphérie nord de Rio, très populaire. « Nous vivons un moment exceptionnel et nous avons besoin de mesures exceptionnelles », prévient le médecin de la Fiocruz. Face à cette tragédie annoncée, il appelle à un plan d’urgence et à débloquer cinq milliards de réais (près d’un milliard d’euros) au profit du Système universel de santé (SUS). Celui-ci garantit l’accès aux soins pour les 140 millions de Brésiliens qui n’ont pas les moyens de payer une très onéreuse assurance-santé et de recourir au système de santé privé. Il faudrait pour mettre en œuvre ce plan abroger un récent amendement de la Constitution qui limite les dépenses publiques. Cet amendement avait été adopté juste après la destitution de l’ancienne présidente issue du Parti des travailleurs Dilma Roussef (voir notre article)

Renforcer l’accès aux services de santé pour toute la population n’est absolument pas le chemin choisi par Jair Bolsonaro. Celui-ci ne cesse de nier la gravité de la situation. Son obsession : maintenir une activité – économique – normale. Lors d’une allocution télévisée le 24 mars, le président d’extrême droite a accusé les médias de tomber dans « l’hystérie ». Il a vivement critiqué les gouverneurs d’État qui ont déjà pris des mesures de confinement et fermé les établissements scolaires, qualifiant ces dispositions de politique de la « terre brûlée »« Le groupe à risques, c’est celui des personnes de plus de 60 ans. Alors pourquoi fermer les écoles ? », a-t-il déclaré. « Notre vie doit continuer. Les emplois doivent être maintenus. Les familles doivent continuer à vivre. Oui, nous devons en revenir à la normalité. »

De nombreux gouverneurs et maires, de différentes couleurs politiques, ont vivement critiqué l’irresponsabilité du président. Pendant que les partisans de Bolsonaro ont tenté d’organiser des manifestations contre les mesures de confinement. Certains de ses rassemblements ont cependant été interdits par la Justice, comme dans la ville de Volta Redonda (État du Minas Gerais). Alors faire des favelas une priorité des politiques sanitaires… La présidence vient même de lancer une campagne de communication officielle intitulée « Le Brésil ne peut pas s’arrêter » (#OBrasilNãoPodeParar), pour un coût de 4,8 millions de réais (850 000 euros). La justice fédérale vient cependant d’interdire la diffusion des spots de communication prévus.

Les communautés autochtones particulièrement vulnérables

Autre inquiétude : la situation des peuples autochtones, déjà stigmatisés par le pouvoir d’extrême droite. Les décès liés au Covid-19 se concentrent pour le moment à São Paulo et Rio de Janeiro. L’Amazonie a cependant connu son premier mort le 24 mars, un entrepreneur de la ville de Parintins, sur les rives du fleuve Amazone (État d’Amazonas). Plusieurs suspicions de cas de Covid-19 au sein de communautés autochtones sont en cours d’investigations. Deux femmes de la communauté Pataxó, dans le sud de l’État de Bahia, ont ainsi été isolées dans leur village en attendant le résultat de leurs tests. L’une d’elle travaillait dans un hôtel recevant des touristes.

« Nous sommes très vulnérables », alerte l’avocat Dinamam Tuxá, membre de la « Coordination de peuples indigènes du Brésil » [4]. « Les équipes de santé ne disposent pas de masques, de combinaisons et des moyens nécessaires pour empêcher le coronavirus de se propager dans une zone indigène. » Le gouvernement de Bolsonaro avait tenté en 2019 de démanteler le système de santé spécifique aux communautés autochtones (le secrétariat spécial de la santé indigène, SESAI), dont bénéficient 760 000 personnes, et essayé de fermer de nombreux dispensaires. « Nous n’avons reçu aucune communication officielle, ni par courrier, ni par bulletin officiel, du ministère de la Santé et du SESAI sur le sujet. En revanche, de manière non officielle, nous avons été invités à éviter les agglomérations, les aéroports et à rester à l’intérieur des territoires en évitant tout contact avec l’extérieur », a expliqué Dinamam Tuxá aux journalistes de Reporter Brasil [5].

Villages et communautés s’isolent donc des visiteurs extérieurs. Reste à voir si les grands propriétaires terriens – ceux-là mêmes qui ont mis le feu à la forêt amazonienne en août dernier (voir notre article) –, l’industrie minière ou les promoteurs respecteront cet isolement. Dans la périphérie de São Paulo, une communauté guarani tente de s’isoler temporairement depuis le 25 mars. Mais un promoteur immobilier a exigé de pouvoir continuer d’accéder, sous protection policière, à leur terrain pour poursuivre un gros chantier voisin [6]. Depuis le 16ème siècle, les populations amérindiennes ont régulièrement été décimées par les virus et maladies infectieuses apportés par les colons européens.