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Jan Torras Griso, correspondant basé à Paris
«Les politiques antidrogues ne sont pas pour la santé publique, mais pour la politique du pouvoir.» Ces mots du président colombien Gustavo Petro à l’ONU résonnent avec force après le massacre survenu à Rio de Janeiro.
Une opération de guerre dans les favelas
Le mardi 28 octobre, à l’aube, 32 véhicules blindés et 2 500 membres de la force policiaire civile et militaire ont envahi les complexes de l’Alemão et de la Penha, favelas contrôlées par le Comando Vermelho. Toute la journée, les quartiers se sont transformés en champs de bataille. Le bilan : 132 morts, dont quatre policiers, 110 arrestations et 120 armes saisies, selon le bureau du défenseur public de l’État de Rio. La population évoque des victimes supplémentaires, leurs corps demeurant introuvables.
À la tête de l’opération, le gouverneur Cláudio Castro, allié de Jair Bolsonaro, s’est félicité d’un «succès», considérant que les seules victimes étaient les policiers tués. Il justifiait l’intervention par l’exécution de 100 mandats d’arrêt, sans que les morts correspondent nécessairement aux personnes visées. Lors d’une conférence de presse, les responsables ont affirmé que les victimes étaient «forcément des criminels» — en raison de leur tenue, de leur lieu et du contexte.
Le Comando Vermelho : des prisons au narcotrafic
Deuxième organisation criminelle du pays derrière le PCC (Primeiro Comando da Capital), le Comando Vermelho est né dans les années 1970 lorsque la dictature militaire brésilienne fit cohabiter prisonniers politiques et délinquants à Ilha Grande. Les militants communistes apprirent aux détenus de droit commun à s’organiser. En hommage, ces derniers formèrent le «Commando rouge».
Dans les années 1980, le groupe passa des braquages de banques au narcotrafic, plus rentable et moins risqué. Aujourd’hui, il compterait 30 000 membres, impliqués dans le trafic international de cocaïne, de cannabis et d’armes. Depuis 2022, il a reconquis plusieurs zones stratégiques de Rio.
L’«opération de contention» du 28 octobre visait à réduire son influence. Mais selon de nombreux témoignages, les forces de l’ordre ont exécuté sommairement des personnes : corps ligotés, crânes perforés, têtes exposées dans les arbres. Tout indique une exécution massive plutôt qu’une intervention légale.
Un cycle de répression sans fin
L’histoire se répète : le PCC lui-même naquit en prison, après le massacre de Carandiru (1992), où 111 détenus furent tués par la police. Le Comando Vermelho a désormais déclaré la guerre à Castro, promettant de venger ses membres.
Comme l’écrit la journaliste Cecilia Olliveira pour Intercept Brasil : «Si tuer résolvait les problèmes — et nous tuons beaucoup —, le Brésil serait la Suisse.» Tant qu’il y aura des gens qui consomment, il y aura des gens qui vendent. Les opérations sanglantes ne s’attaquent pas aux causes structurelles de la drogue : pauvreté, exclusion, absence de perspectives. À chaque tuerie, de nouveaux trafiquants émergent, plus armés et déterminés — le Comando Vermelho est même allé jusqu’à bombarder la police avec des drones.
Calcul politique et militarisation
L’opération relève moins de la sécurité publique que du calcul politique. Arrivant à la fin de son deuxième mandat, Cláudio Castro ne peut pas se représenter pour un troisième et ne dispose toujours pas de successeur clair. Il cherche à renforcer son image d’homme fort afin de transmettre sa popularité au candidat de son choix en vue des élections de 2026. Le jour même de l’assaut, il réunissait par visioconférence plusieurs gouverneurs conservateurs et proches de Bolsonaro pour discuter d’alliances électorales.
Pourtant, à son arrivée au pouvoir en 2021, Castro promettait de rompre avec la logique de guerre : «La police doit être proche de la population. La meilleure opération est celle où l’on arrête sans tirer une balle.» Quatre ans plus tard, il est devenu le gouverneur le plus meurtrier de l’histoire de Rio, avec 1 846 morts causés par la police.
L’essor de l’extrême droite et la polarisation politique ont fait du spectacle de la répression un outil électoral. La mise en scène d’une lutte implacable contre le «crime» galvanise l’électorat radicalisé, sans jamais améliorer la sécurité.
La rhétorique du «narco-terrorisme»
En adoptant le vocabulaire trumpiste, Castro reprend la rhétorique de la «main dure» et qualifie les trafiquants de «narco-terroristes», terme popularisé par Flávio Bolsonaro. Ce dernier a récemment suggéré que les États-Unis bombardent les embarcations suspectes naviguant au large de Rio.
Cette assimilation du crime au terrorisme transforme des citoyens et citoyennes en ennemis de l’État, brisant la frontière entre droit et exception. Elle légitime la militarisation de la police, l’usage disproportionné de la force et les exécutions extrajudiciaires. Sous couvert de sécurité nationale, les favelas deviennent des territoires de guerre, où ceux et celles qui y habitent sont traité.es comme des suspects en permanence.
Le pouvoir des mots et des armes
Le massacre du 28 octobre illustre la stratégie politique d’un gouverneur prêt à instrumentaliser la peur pour maintenir l’État de Rio sous la coupe de la droite radicale. Les mots et les fusils deviennent des pions sur un échiquier électoral : flatter l’électorat le plus conservateur, renforcer les alliances avec les clans bolsonaristes, séduire les adeptes de Trump ou de Bukele.
Mais derrière cette mise en scène politique se cachent 132 morts, des familles brisées et une population terrorisée. En déclarant la guerre aux pauvres sous prétexte de combattre la drogue, l’État brésilien perpétue un système d’exclusion et de violence qui nourrit les mêmes réseaux qu’il prétend détruire.
Comme le rappelait Petro à l’ONU, les politiques antidrogues ne servent pas la santé publique : elles servent le pouvoir.
Sources
- A pior operação policial no Rio de Janeiro será sempre a próxima, Cecília Olliveira pour Intercept, Brasil, 29 octobre 2025 ( https://www.intercept.com.br/2025/10/29/pior-operacao-policial-rio-de-janeiro-sera-sempre-a-proxima/ )
- Testemunhas denunciam execuções e torturas no Rio: ‘Carnificina’, Isabela Vieira pour Brasil de Fato, 30 octobre 2025
- O massacre no Rio dans le podcast Foro de Teresina de Fernando de Barros e Silva, Ana Clara Costa et Celso Rocha de Barros, pour Revista Piauí, 31 octobre 2025
- Rio conta corpos da mais letal ação policial do país, Vanilson Oliveira, Rafaela Bonfim et Iago MacCord pour Correio Braziliense, 30 octobre 2025, p.2
- Cláudio Castro promove necropolítica com conceito de « narcoterrorismo », Luiz Carlos Azedo pour Correio Braziliense, 30 octobre 2025, p.6
- Três operações mais letais do Rio desde 2007 ocorreram durante gestão de Cláudio Castro,
- Les Cariocas horrifiés par le massacre, Paula Gosselin pour L’Humanité, 31 octobre 2025, p.14
- La operación policial más letal de Brasil siembre de cadáveres Río de Janeiro, Naiara Galarraga Gortázar pour El País, 30 octobre 2025, p.2
- Comando Vermelho, 30.000 hombres volcados en el narco, Naiara Galarrafa Gortázar pour El País, 31 octobre 2025, p. 6









