Comité pour les droits humains en Amérique latine, 19 avril 2021
Plus de 30 organisations, groupes et collectifs du Québec et du Canada se sont joints à l’appel à la solidarité internationale pour continuer à faire pression face à la grave crise des droits humains qui se déroule au Chili. Ils exigent la libération des prisonnières et prisonniers politiques et dénoncent la répression et la criminalisation de la protestation sociale, qui ne cesse de s’aggraver depuis le soulèvement social d’octobre 2019.
Depuis cette date, environ 27 000 personnes ont été arrêtées et 2 500 prisonnières et prisonniers politiques ont été détenu.e.s pour leur participation aux manifestations massives qui ont eu lieu dans le pays. Six missions internationales d’observation des droits humains ont constaté le recours généralisé à la détention, le plus souvent de manière illégale, associée à des cas de torture, de mauvais traitements, de violences sexuelles et lemanque d’accès à la défense juridique. Le droit de manifester, le droit à la vie et l’intégrité personnelle ont ainsi été violés face à la brutalité et à l’usage excessif de la force par la police.
Plusieurs recommandations ont été adressées à l’État chilien et au gouvernement de Sebastián Piñera. En février de cette année, l’Institut national des droits humains (INDH) du Chili a confirmé que les violations des droits humains commises par les agents de l’État n’ont pas cessé au cours de l’année 2020 et que même les recommandations les plus de base n’ont pas été mises en place de façon intégrale. Les cas de violence sexuelle, de lésions oculaires et de lésions causées par les tirs de fusil de la police n’ont pas cessé et l’usage d’agents chimiques pour blesser et brûler la population ont augmenté.
Au cours de l’année 2020, plusieurs lois ont été mises en place afin d’intensifier la criminalisation de la protestation sociale, dont la loi anti-barricade et anti-saccage. Des initiatives visent également à accorder de nouveaux pouvoirs à la police afin de bénéficier de l’exception de responsabilité pénale pour assurer l’ordre et la sécurité.
En plus de lois qui ont renforcé les poursuites pénales et la répression, le Chili a investi des sommes considérables dans les services d’intelligence de l’État et dans des véhicules anti-émeutes de dernière génération, notamment des lanceurs de gaz blindés, les mêmes que ceux utilisés par Israël et les États-Unis dans différents conflits militaires.
Le Comité pour les droits humains en Amérique latine, CDHAL, a eu l’occasion de s’entretenir avec le Comité de coordination pour la liberté des prisonnières et prisonniers politiques 18 octobre au sujet du travail de soutien et de lutte qu’ils ont mené jusqu’à présent :
« Compañeros, compañeras, je vous salue tout d’abord en tant que membre du comité de coordination 18 octobre. Le Comité de coordination est né en soutien aux prisonniers et prisonnières politiques du Chili, initialement dans le contexte de la révolte, mais aussi en élargissant le soutien et la solidarité aux prisonniers et prisonnières de tous les territoires depuis avant la révolte, jusqu’à maintenant. Notre travail s’inscrit dans deux grands domaines d’action. L’un d’entre eux concerne davantage le soutien plus opérationnel et plus direct que nous apportons aux personnes incarcérées et à leurs familles : dans la question de l’aide pour l’octroi des colis pour les personnes en prison et le soutien juridique aux familles également. Soutien de certains besoins spécifiques, également des besoins économiques qui sont nécessaires, etc. L’autre domaine d’action est plus en rapport avec la question politique, il s’agit de rendre visible l’existence de l’emprisonnement politique au Chili, la demande de liberté de tous les compañeros et compañeras qui luttent. Dans une perspective de solidarité, bien sûr révolutionnaire, qui se reconnaît dans la lutte, dans la révolte. Et à partir de là, nous soutenons nos compañeros et compañeras. Nous cherchons à générer la mobilisation sociale nécessaire pour exiger leur liberté”.
Plus d’un an s’est écoulé depuis que les prisonnières et prisonniers politiques sont en détention provisoire dans l’attente de leur condamnation. Au cours des derniers mois, certains de ces procès judiciaires ont commencé. Il y a eu des situations dans lesquelles des personnes ont été libérées par manque de preuves et même des cas de personnes qui risquent plus de 20 ans de prison.
« Je voudrais également vous parler brièvement de la situation de nos compañeros et compañeras aujourd’hui. De nombreux prisonniers et prisonnières de la révolte sont toujours en détention provisoire, ce qui montre à quel point c’est un outil de répression, un outil punitif de la part des puissants. Beaucoup d’entre eux sont également chez eux par mesure de précaution, mais aussi en attente de jugement. Et il y a également eu plusieurs procès judiciaires où nous avons eu des résultats différents. Certains compañeros ont malheureusement déjà été condamnés. Certaines des personnes reconnues coupables ont été condamnées à la prison et d’autres à la probation. Nous avons également eu plusieurs cas d’acquittement, mais il y a encore beaucoup de cas qui doivent être résolus et nous avons besoin de toute la solidarité et sans aucun doute le soutien international est fondamental comme il l’a été jusqu’à présent. Et à partir de cet appel au soutien, nous voulons aussi rendre visible ce qui se passe aujourd’hui avec la grève des compañeros anarchistes et subversifs qui sont en grève de la faim depuis le 22 mars où ils demandent principalement d’une part l’abrogation du décret-loi 3-21 et la libération immédiate du camarade Marcelo Villaroel. Le décret 3-21 parce qu’il y a eu une modification en 2019. Ce décret pérennise les peines et la punition de nombreux compañeros y compañeras, où la libération conditionnelle n’est plus un droit, mais un bénéfice avec beaucoup de restrictions et que pour y accéder la durée est allongée. La période d’accès à la liberté conditionnelle ne représente plus la moitié de la peine mais les deux tiers de celle-ci. Et concernant la liberté de Marcelo Villaroel, cette modification du décret le touche directement. C’est un combattant qui a été en prison pendant des années, il a purgé sa peine, il vient de l’histoire des années 90 et paradoxalement il purge encore sa peine sous la justice militaire, sous les lois militaires de la dictature. Pour ces raisons nous lançons cet appel à la solidarité, de tous les endroits et de toutes les manières possibles, particulièrement ce 17 avril qui est la Journée internationale des prisonnier-e-s politiques et en tant que Comité de Coordination pour la Liberté des Prisonniers et prisonnières Politiques du 18 octobre nous appelons à une journée d’agitation nationale et internationale où nous espérons que toutes les manifestations de soutien seront présentes. Sur ce, je vous dis au revoir et j’espère que nous continuerons à articuler la volonté et la solidarité pour la liberté de nos camarades”.
Actuellement, plusieurs prisonnières et prisonniers politiques détenu.e.s dans différents prisons du Chili font une grève de la faim depuis 20 à plus de 80 jours afin de dénoncer les irrégularités dans leurs procédures judiciaires. La déclaration souligne également la situation des prisonniers politiques mapuches. En 2014, la Cour Interaméricaine des droits humains (CIDH) a condamné l’État chilien pour son utilisation depuis les années 2000 de la loi antiterroriste comme principal moyen de criminalisation de la protestation sociale mapuche. Le pourcentage élevé d’acquittements des Mapuches après avoir été jugés dans le cadre de la loi antiterroriste révèle la persécution politique. Ces dernières années, il a été possible de démontrer publiquement des cas de montages et d’implantation de preuves par la police dans des cas emblématiques, qui ont permis l’acquittement des accusés.
Nous avons eu l’occasion de parler avec le bureau de défense de droits humains de la Cinquième Région de Valparaiso au sujet de quatre prisonniers politiques de la ville de San Antonio accusés en vertu de la loi de sécurité interne de l’État pour divers délits, l’un d’entre eux étant le délit de tentative d’homicide contre un officier de la police d’investigation du Chili (PDI) :
« Je m’appelle Ana et je fais partie du bureau de Défense des Droits Humains de la cinquième région de Valparaíso. Aujourd’hui, il est urgent pour nous de sensibiliser l’opinion publique au cas particulier de quatre jeunes de San Antonio : Jordano, Jorge, Claudio et Pato. Ils sont en détention préventive depuis mars 2020. Ils n’ont aucun casier judiciaire d’aucune sorte et aucune preuve des accusations portées contre eux n’est concluante. Ils sont accusés d’avoir brisé les vitres de la PDI, d’avoir pillé une pharmacie et d’avoir tenté de tuer un policier de la Police d’investigation du Chili PDI. Les preuves sont : un lance-pierre, des carnets et de la peinture ainsi qu’une vidéo des vitres brisées de la police d’investigation PDI où aucune personne n’est montrée dans les faits. Le 2 mars 2020, les quatre jeunes participaient aux manifestations de San Antonio, aidant les personnes blessées par des balles de plomb. Comme ils l’ont toujours fait depuis qu’ils participent aux manifestations, ils aident les blessés et tous ceux qui en ont besoin. Le même jour, ils sont allés déposer de nombreux blessés à leur domicile. Lors de leur dernier voyage, la PDI les a interceptés et enlevés vers deux heures du matin, les emmenant à la caserne où ils ont été sauvagement torturés. Il les ont déshabillés, battus de différentes manières, ils ont été menacés avec des armes à feu sur la tête. Ont leur a dit que s’ils n’assumaient pas la responsabilité de faits qu’ils ne comprennent même pas, ils tueraient leurs familles, qu’ils savaient où ils vivaient, entre autres choses horribles. Après des heures de torture et en les laissant dans un état déplorable, le lendemain, le 3 mars, ils ont été envoyés à une audience, dans laquelle les plaignants étaient et sont à ce jour : la gouverneure de San Antonio, le maire de Valparaiso, le procureur et la PDI, qui a déposé une plainte en vertu de la loi de sécurité de l’État, décrétant la détention préventive pour les juger comme un danger pour la société. Nous nous demandons si les plaignants et le pouvoir judiciaire savent qu’une personne sans casier judiciaire et donc sans récidive ne devrait pas être placée en détention provisoire. Les institutions judiciaires savent-elles qu’elles ignorent le droit pénal interne relatif à la détention provisoire ainsi que les pactes internationaux ratifiés par le Chili? Les institutions chiliennes savent-elles qu’elles sont là pour rendre la justice et qu’elles ne respectent pas le droit pénal ou humain? Les jeunes emprisonnés aujourd’hui ne sont pas un danger pour la population, cette dernière est davantage représentée par ceux qui les accusent, les torturent et fabriquent de fausses preuves, décontextualisées et incohérentes. Les jeunes de San Antonio risquent en ce moment trente ans de prison. Nous demandons aux citoyen.ne.s de Valparaíso, de la région et de tout le Chili de soutenir les campagnes, les manifestations et toutes les actions qui vont être menées afin de dire la vérité et d’ obtenir justice. Pour la libération de Pato, Claudio, Jorge et Jordano et de tous les prisonniers et prisonnières de la lutte. Liberté aux prisonniers et prisonnières de la révolte sociale« .
Depuis le soulèvement social d’octobre 2019, des organisations, groupes et collectifs du Québec et du Canada ont à plusieurs reprises demandé au gouvernement canadien de condamner les graves violations des droits humains au Chili. L’une de ces dernières actions a été menée en décembre dernier dans le cadre de la campagne internationale pour la libération des prisonnières et prisonniers et politiques, par le collectif “Chile despertó internacional”.
En janvier 2020, le gouvernement de Justin Trudeau a déclaré qu’il faisait confiance au gouvernement de Sebastian Piñera pour être ouvert aux différentes visites des missions d’observation des droits humains qui se rendent dans le pays. Plus d’un an après, aucune des recommandations n’a été mise en œuvre. Dans la déclaration des organisations et de groupes du Québec et du Canada, ont souligné que le silence du gouvernement de Justin Trudeau peut être interprété comme une complicité, montrant clairement que le Canada donne la priorité à ses investissements au détriment des droits humains. Il ne faut pas oublier que le Canada est le premier pays qui investit le plus au Chili, principalement dans le secteur minier.